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LE PANAFRICANISME : UTOPIE OU RÉALITÉ ?

Le panafricanisme, à la fois mouvement et idéologie politique, vise à défendre la souveraineté complète du continent africain et à favoriser la coopération et la fraternité entre les individus, groupes et associations d’origine africaine, qu’ils résident en Afrique ou à l’étranger. Les prémices du mouvement panafricain peuvent être retracées jusqu’aux premières interactions entre les populations africaines et les Afro-Américains. Ces échanges ont notamment été marqués par des luttes conjointes contre l’esclavage et la colonisation, démontrant ainsi une solidarité et une unité naissantes entre ces deux groupes.

Les échanges intellectuels et sociaux, qui ont eu lieu à l’époque, ont joué un rôle fondamental dans la construction d’une conscience panafricaine naissante. Cette conscience panafricaine visait à rassembler les peuples africains ainsi que ceux de la diaspora, dans le but de s’opposer à toute forme d’oppression qui les affectait. Ces premières étapes ont joué un rôle essentiel en établissant les bases idéologiques, c’est-à-dire les principes et les convictions fondamentales qui ont servi de fondement à ce mouvement. En revanche, il est possible d’affirmer que le mouvement panafricain a vu le jour au cours du XIXe siècle, en réponse aux effets dévastateurs de la traite négrière et de la domination coloniale qui ont marqué cette période.

Le Congrès des peuples africains, également appelé Premier Congrès panafricain, a été organisé par Blaise Diagne et William Edward Burghardt Du Bois. Cette réunion historique s’est déroulée à Paris les 12 et 13 février 1919. Les participants ont formulé des revendications réformistes visant à améliorer les conditions de vie des populations colonisées en Afrique. Cet événement historique a joué un rôle crucial dans l’émergence du mouvement panafricain en tant que force politique et idéologique. En effet, il a réuni des délégués provenant de divers horizons afin de discuter des problèmes auxquels étaient confrontés les Africains et les personnes d’ascendance africaine. De ce fait, il a posé les fondations pour les luttes futures visant l’indépendance et l’émancipation des peuples du continent[1].


La notion de panafricanisme peut être définie de différentes manières selon le contexte historique et sociopolitique dans lequel elle est abordée. D’une part, elle peut être considérée comme un concept philosophique émergé en lien avec les mouvements émancipateurs et abolitionnistes qui ont pris forme dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. D’autre part, elle peut être perçue comme un mouvement sociopolitique élaboré et promu par des Afro-Américains et des Antillais entre la fin du XIXe siècle et la fin de la Seconde Guerre mondiale. Enfin, elle peut également être interprétée comme une doctrine prônant l’unité politique, développée par des nationalistes africains dans le cadre des luttes anticoloniales et indépendantistes. Néanmoins, il convient de souligner que les captifs africains qui ont été déportés aux Amériques entre le XVIe et le XIXe siècle dans le cadre de la traite transatlantique ont joué un rôle fondamental en tant que pionniers d’une histoire mouvante. Leur expérience a été marquée par une capacité d’adaptation remarquable face aux défis rencontrés dans chaque lieu et à chaque époque, ce qui a contribué à façonner leur parcours migratoire et leur héritage[2].

 

Fondateurs du panafricanisme

Edward Wilmot Blyden (1832-1912) figure parmi les précurseurs du mouvement panafricain. Il s’agit d’un intellectuel et homme politique originaire du Libéria. On peut également citer Anténor Firmin (1850-1911), qui était un intellectuel originaire d’Haïti. Il est le premier à souligner l’impératif d’accorder aux populations noires un statut d’égalité totale sur le plan politique et légal, en considérant qu’elles étaient équivalentes aux blancs sur le plan racial. Un groupe restreint d’intellectuels et de penseurs, principalement composé de notables noirs de l’Empire Britannique, d’anciens esclaves affranchis américains et d’intellectuels socialistes français blancs, se réunit pour soutenir les idées de Firmin, lesquelles sont souvent utilisées pour critiquer l’entreprise coloniale européenne.

Les événements ultérieurs ont renforcé la mouvance panafricaniste, notamment la défaite de l’empire colonial italien lors de la bataille d’Adoua en Éthiopie en 1890, face au roi Menelik II. C’est la première fois qu’un État africain réussit à résister et à repousser de manière définitive une puissance coloniale européenne, une victoire qui permettra à l’Éthiopie de devenir le seul État africain à ne jamais avoir été colonisé par les Européens.

Un important congrès est organisé à l’été 1900 au centre de Londres, dans le but de réunir tous les intellectuels de ce groupe hétéroclite afin d’établir une doctrine commune. Dès le premier congrès panafricaniste, des divisions sont observées entre les factions modérées, prônant l’égalité des droits entre les populations noires et blanches au sein du système colonial, et les radicaux, rejetant entièrement la colonisation et préconisant l’unité de tous les Africains dans une lutte commune contre les inégalités et l’impérialisme européen[3].

Un autre précurseur incontournable du panafricanisme est William Edward Burghardt Du Bois (1868-1963). Ce sociologue et activiste afro-américain, s’est distingué par son engagement en faveur de la cause panafricaine et par l’organisation de divers congrès panafricains.

Une autre personnalité emblématique du panafricanisme est Marcus Garvey (1887-1940), un activiste originaire de Jamaïque, célèbre pour son plaidoyer en faveur du rapatriement en Afrique.

On peut également citer Kwame Nkrumah (1909-1972). Premier président du Ghana indépendant, il a joué un rôle central dans le mouvement panafricain au cours du XXe siècle. Après avoir envisagé une carrière dans le domaine religieux, Nkrumah s’oriente finalement vers le secteur de l’enseignement. Son engagement militant l’a amené à poursuivre ses études aux États-Unis, où il a pris la direction de l’association des étudiants africains. Il se rend ensuite en Angleterre pour superviser l’organisation du cinquième congrès panafricain en 1945. Il soutient le droit des populations colonisées à l’autodétermination. Son engagement demeure constant et il retourne dans son pays d’origine pour participer aux manifestations contre les colons. Suite à une brève période d’incarcération, il émerge en tant que leader du mouvement indépendantiste et fonde son propre parti politique en 1949, le Convention People’s Party (CPP). En raison d’importantes victoires du CPP lors des élections, les Britanniques ont été contraints d’accorder l’indépendance à leur colonie, qui a ensuite pris le nom de Ghana en 1956. Après son mandat de Premier ministre, Kwame Nkrumah accède à la présidence en devenant le premier chef d’État du Ghana indépendant, à la suite de l’établissement de la République le 1er juillet 1960. Il a toujours été fermement convaincu de la primordialité de l’unité africaine. Déjà en 1943, Kwame Nkrumah fait paraître un pamphlet de nature anticolonialiste intitulé « Towards Colonial Freedom » (Vers la liberté coloniale). Pendant les années 1960, le Ghana était devenu un lieu de refuge pour les panafricanistes venant de divers horizons. C’est ainsi que Nkrumah accueille, entre autres, W.B. Du Bois, des artistes et intellectuels tels que la poétesse Maya Angelou, le militant Malcolm X et l’essayiste Julius Mayfield. En 1963, Kwame Nkrumah est impliqué dans l’établissement de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA). Il publie également l’ouvrage « L’Afrique doit s’unir » au cours de la même année. Il recommande la mise en place des États-Unis d’Afrique. Cependant, la nature radicale de cette proposition d’union en tant que seule mesure de protection contre l’exploitation des grandes puissances suscita des divergences[4].

Il est impossible d’évoquer le panafricanisme sans faire référence à Julius Nyerere. Julius Nyerere, le président de la Tanzanie, ne partageait pas entièrement les opinions de Nkrumah, ce qui a entraîné de nombreux désaccords pratiques ou tactiques entre eux. Il avait néanmoins adhéré à la tradition « progressiste » du panafricanisme. Après le renversement de Kwame Nkrumah en 1966, il prit la relève du mouvement panafricain. En accueillant de nombreux militants révolutionnaires africains et afro-américains engagés dans la lutte contre l’impérialisme occidental, le colonialisme dans les territoires portugais, l’apartheid en Afrique du Sud et la discrimination raciale aux États-Unis, son pays, la Tanzanie, cherche également, par le biais d’une politique de développement novatrice, à s’affranchir du modèle économique colonial persistant malgré les indépendances politiques[5].

Il faudrait aussi ajouter que le président sénégalais Léopold Sédar Senghor a également contribué à la promotion du panafricanisme par l’identité culturelle africaine, à travers son mouvement de la négritude.

Aimé Césaire, Français de Martinique, a aussi contribué au panafricanisme par sa littérature et son engagement pour la Négritude[6], tandis que l’ancien président de la République démocratique du Congo, Mobutu Sese Seko, à travers son idéologie de l’authenticité, a tenté de promouvoir une identité africaine distincte, bien que son impact sur le panafricanisme soit plus controversé[7].

Quant à Frantz Fanon, psychiatre et essayiste français d’origine martiniquaise, il a joué un rôle crucial dans le panafricanisme à travers ses écrits et son engagement politique[8].

L’ensemble de ces dirigeants a grandement influencé l’évolution du panafricanisme en tant que mouvement politique et idéologique cherchant à promouvoir l’émancipation et la solidarité des peuples africains et de la diaspora.

 

Fondement du panafricanisme

Les principaux fondements du panafricanisme reposent sur plusieurs piliers essentiels. Tout d’abord, il prône l’unité et la solidarité entre les peuples africains, mettant en avant l’idée de collaboration et de soutien mutuel. Ensuite, il défend ardemment les notions d’indépendance et d’autodétermination, soulignant l’importance pour chaque nation africaine de pouvoir décider de son propre destin. De plus, le panafricanisme met en avant la nécessité d’un développement économique et social harmonieux sur le continent, visant à améliorer les conditions de vie de l’ensemble de la population. Il accorde également une grande importance à l’identité culturelle africaine, valorisant les traditions, les langues et les coutumes propres à chaque communauté. Par ailleurs, la justice et l’égalité occupent une place centrale dans les idéaux panafricanistes, prônant un traitement juste et équitable pour tous, sans discrimination. Enfin, le panafricanisme vise à mettre en place une organisation politique intégrée, favorisant la coopération entre les différents États africains pour faire avancer ensemble les intérêts du continent.

L’un des objectifs fondamentaux de ce mouvement est de permettre aux nations africaines de gagner leur indépendance totale en se libérant de toute forme de contrôle étranger, qu’il s’agisse de la colonisation passée ou de l’exploitation néocoloniale actuelle. Cela englobe la lutte visant à obtenir l’indépendance dans les domaines politique, économique et culturel, ce qui implique la recherche de souveraineté et d’autonomie dans ces différents aspects de la vie d’une nation qui contribuent à forger l’identité panafricaine. Le but final de cette démarche est de mettre en place une structure politique unifiée regroupant l’ensemble des nations africaines. Ce projet est souvent envisagé sous la forme d’une fédération ou d’une union politique à l’échelle du continent.

Ces principes fondamentaux du panafricanisme demeurent au centre des préoccupations et des actions visant à renforcer l’unité et à favoriser le développement de l’Afrique ainsi que celui de sa diaspora à travers le monde[9].

 

Évolution du panafricanisme

Au fil des décennies, le panafricanisme a connu une évolution dynamique en s’ajustant aux différents contextes politiques, économiques et sociaux qui ont évolué au fil du temps. À l’origine, le mouvement du panafricanisme avait pour objectif principal de soutenir les luttes des nations africaines pour leur indépendance. Au fil du temps, il a évolué pour mettre davantage l’accent sur la promotion de l’intégration régionale entre les pays du continent africain. Des institutions telles que l’Union africaine (UA) ont été mises en place dans le but de favoriser la collaboration et les échanges tant sur le plan politique que sur le plan économique entre les différentes nations du continent africain. Dans sa forme actuelle, le panafricanisme contemporain accorde une importance capitale à la promotion du développement économique en Afrique et à la diminution de la dépendance envers les anciennes puissances coloniales ainsi que les organisations financières mondiales.

Des initiatives telles que la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) ont pour objectif de favoriser l’essor du commerce entre les pays africains en éliminant les barrières commerciales et en encourageant les échanges économiques au sein du continent. Cette démarche vise également à dynamiser la croissance économique en favorisant une plus grande intégration des économies africaines et en créant un marché commun plus compétitif à l’échelle du continent. Par ailleurs, on observe actuellement un regain d’intérêt pour la mise en valeur des cultures africaines, mettant particulièrement l’accent sur la redécouverte et la promotion des langues, des traditions et des arts propres à l’Afrique. Ce mouvement culturel, qui prend racine dans la volonté de préserver et de promouvoir l’identité africaine, cherche également à s’opposer aux conséquences néfastes de l’acculturation, c’est-à-dire de l’influence des cultures étrangères. Le mouvement panafricaniste a évolué pour inclure les populations africaines dispersées à travers le monde, notamment dans la diaspora, dans ses aspirations et ses actions.

Des événements tels que les festivals panafricains, qui célèbrent la diversité culturelle et artistique du continent, ainsi que les conférences internationales, qui offrent une plateforme d’échange et de réflexion sur les enjeux mondiaux, constituent des occasions uniques. Des Africains venant des quatre coins du globe se réunissent pour partager leurs expériences, discuter des défis qui les concernent collectivement et envisager ensemble des solutions potentielles pour un avenir meilleur. Ce mouvement s’engage activement dans la lutte contre les inégalités, qu’elles soient liées à la race, à l’économie ou à la société, que ce soit en Afrique ou à l’échelle de la planète. L’objectif de cette initiative est de mettre en avant la nécessité de garantir une justice sociale équitable et de promouvoir l’égalité des droits pour l’ensemble des citoyens africains, afin de favoriser un développement inclusif et durable sur le continent. Les évolutions récentes observées dans le panafricanisme démontrent sa capacité à rester dynamique et à évoluer en réponse aux nouveaux défis qui se présentent. Malgré ces changements, le panafricanisme demeure attaché à ses valeurs fondamentales telles que l’unité entre les peuples africains, la solidarité entre les nations du continent et l’émancipation de l’Afrique dans son ensemble[10].

 

Les panafricanistes modernes

Après les pères fondateurs, on peut observer l’émergence d’autres figures révolutionnaires qui continuent à incarner et à promouvoir l’idéal panafricain. Ces nouveaux acteurs, inspirés par les idées et les luttes passées, s’engagent à leur tour dans la promotion de l’unité, de la solidarité et de la prospérité de l’Afrique et de sa diaspora.

Parmi les figures emblématiques de la lutte pour l’indépendance et le développement en Afrique, on peut mentionner le leader bissau-guinéen Amílcar Cabral, qui a joué un rôle majeur dans la lutte pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert, ainsi que le président burkinabé Thomas Sankara, connu pour ses réformes progressistes et son engagement en faveur de l’autosuffisance et de la justice sociale.

Cependant, après la chute du mur de Berlin en 1989, une période s’ouvre pendant laquelle le concept de panafricanisme perd de son essence et de sa signification. Pendant les années 1990 et 2000, de nombreuses personnes revendiquent leur soutien envers Mouammar Khadafi, le dirigeant libyen, connu pour financer des projets de grande envergure en Afrique subsaharienne. En plus de cela, ce dernier apporte son soutien à des mouvements de rébellion armée dans divers pays[11].

Actuellement, on peut observer l’émergence de plusieurs figures et courants panafricanistes contemporains. Le Sud-africain Julius Malema est l’une des personnalités les plus célèbres en Afrique. Il est connu pour être le leader du parti politique sud-africain appelé les Combattants pour la Liberté Économique, (Economic Freedom Fighters, EFF). Malema, par ses actions et ses discours, se positionne comme un ardent défenseur de l’unité africaine, prônant la solidarité entre les nations du continent. De plus, il s’engage activement dans la lutte contre les inégalités économiques, mettant en avant la nécessité de réduire les disparités sociales pour une société plus juste et équitable.

Au Sénégal, Fadel Barro, qui est l’un des co-fondateurs du mouvement citoyen Y’en a Marre, s’engage activement en faveur de la promotion de la démocratie, de la transparence et de la bonne gouvernance sur le continent africain. L’activiste franco-béninois Kemi Seba (son vrai nom est : Stellio Gilles Robert Capo Chichi) s’est fait remarquer à travers son engagement militant en faveur de la lutte contre le néocolonialisme et pour la promotion de la souveraineté africaine[12]. Claudy Siar figure parmi les panafricanistes engagés en faveur de la promotion de l’africanité. Selon Siar, qui est un journaliste français d’origine guadeloupéenne et qui travaille comme animateur à la radio et à la télévision, « le panafricanisme, c’est l’amour et le respect des nôtres, pas la haine des autres ! Le panafricanisme, c’est la promesse de bâtir un monde qui nous ressemble et nous rassemble »[13].

Une personnalité féminine notable dans le contexte du panafricanisme contemporain est Nathalie Yamb, Suisso-camerounaise.

Au sein des mouvements panafricanistes contemporains, on peut citer Y’en a Marre, un groupe de jeunes sénégalais engagés dans la promotion de la démocratie et la lutte contre la mauvaise gouvernance. Au Burkina Faso, le Balai Citoyen a eu un rôle déterminant dans la destitution du président Blaise Compaoré en 2014. Filimbi et La Lucha représentent deux mouvements engagés en République démocratique du Congo en faveur de la promotion de la démocratie et du respect des droits de l’homme.

 

Évaluation/critique du panafricanisme

Une analyse critique du panafricanisme nécessite d’étudier attentivement ses accomplissements, ses obstacles et ses contraintes. En ce qui concerne les succès du panafricanisme, il est indéniable que ce courant a joué un rôle essentiel dans les luttes pour l’indépendance à travers le continent africain au cours du XXe siècle. Des personnalités telles que Kwame Nkrumah et Julius Nyerere ont été influencées par cette idéologie dans leur quête de l’indépendance de leurs nations. De la même manière, le panafricanisme a su instaurer un sentiment de solidarité au sein de la population africaine et de sa diaspora. Des institutions telles que l’Union africaine (UA) et des rassemblements tels que les congrès panafricains ont contribué à consolider les relations entre les États africains. De plus, le panafricanisme a favorisé la mise en avant des cultures africaines, la réémergence des traditions et la diffusion des langues africaines. Cela a contribué à renforcer l’identité et la fierté africaines.

Néanmoins, malgré les tentatives d’unification, il reste encore des défis importants à relever. Prenons le cas de financement de l’Union africaine. Il est regrettable que ce soient l’ONU et l’Union européenne (UE) qui continuent à être des principaux partenaires de cet organisme africain, avec l’UE comme principal contributrice au budget de l’Union africaine. Le financement est un enjeu crucial qui influence les relations extérieures de l’UA, souvent orientées par les priorités de ses partenaires plutôt que par celles de l’Afrique. L’UA dépend ainsi largement de ses partenaires pour financer ses activités. Deux tiers de son budget 2023 provenaient de sources extérieures[14].

En outre, l’Afrique demeure politiquement morcelée. Les différences idéologiques et les tensions internes entre les nations africaines ont fréquemment constitué des obstacles à la concrétisation des aspirations panafricanistes. Ces divisions peuvent affaiblir le mouvement et rendre difficile la réalisation d’objectifs communs. Sakiko Nakao évoque l’évolution du panafricanisme, qui oscille entre identité et unité. Il fait remarquer que déjà en 1962, Colin Legum notait un désir croissant d’unité mais aussi de graves tensions internes. Il attribuait la désunion africaine à des facteurs tels que le système tribal, les États non viables, les nationalismes rivaux et les divergences idéologiques. Cette dualité entre union et désunion a marqué la décolonisation africaine. La création de l’Organisation de l’Unité Africaine en 1963, censée symboliser l’unité, n’a pas échappé à ces tensions, exacerbées par les rivalités politiques et nationales. Nakao fait aussi référence à Jacqueline Ki-Zerbo pour qui les identités africaines n’ont pas convergé vers une vision collective de l’Afrique[15].

Abordant l’évaluation sous l’aspect social, Issa Shivji appelle à une redéfinition et ré-imagination du panafricanisme historique, en achevant la libération nationale et en recentrant l’attention sur les classes laborieuses. Il propose de voir le panafricanisme comme une pensée d’émancipation sociale, liée à la lutte des classes et contre le patriarcat. Il retrace également l’histoire des 500 dernières années, marquée par la domination occidentale, les pillages, les destructions et les guerres, et souligne que cette histoire doit être comprise dans le contexte de l’accumulation capitaliste mondiale. Il insiste sur la complexité de cette histoire, qui ne peut être réduite à des théories simplistes ou purement économiques[16].

Le phénomène du néocolonialisme ainsi que les actions d’ingérence étrangère persistent en tant que défis significatifs. Les économies et les politiques africaines demeurent sous l’influence marquée des puissances étrangères, ce qui risque de compromettre les initiatives d’autodétermination. Les interventions économiques et politiques de puissances étrangères peuvent en effet saper les efforts d’autodétermination et de développement autonome. Il convient également d’aborder les défis économiques locaux persistants, tels que la pauvreté, le chômage et les inégalités, qui entravent les avancées du panafricanisme. En outre, malgré la promesse des initiatives telles que la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf), leur exécution demeure complexe.

Beaucoup d’autres initiatives panafricanistes ont aussi eu du mal à se concrétiser en actions tangibles. Par exemple, des projets ambitieux comme la création d’une monnaie unique africaine ou d’une fédération politique continentale, n’ont pas encore vu le jour. Le panafricanisme, bien qu’il propose des solutions, n’a pas toujours réussi à apporter des améliorations significatives dans ces domaines. Enfin, la corruption et la gouvernance déficiente dans certains pays d’Afrique sapent les initiatives panafricanistes. Ces problèmes internes ont la capacité de compromettre la crédibilité et l’efficacité du mouvement. Ces critiques montrent que, bien que le panafricanisme ait des objectifs nobles et importants, il doit surmonter de nombreux obstacles pour réaliser pleinement son potentiel[17].

 

Que conclure ?

Afin d’exploiter pleinement le potentiel du panafricanisme, il est impératif de consolider les institutions régionales et continentales en vue de favoriser une intégration plus poussée. Il convient également de promouvoir l’implication active de la diaspora africaine dans les projets panafricanistes. Il est en outre nécessaire de développer des mécanismes efficaces afin de combattre la corruption et d’améliorer la gouvernance. Un autre aspect important à considérer est la promotion de politiques économiques inclusives qui profitent à l’ensemble de la population africaine.

Dans l’ensemble, le panafricanisme demeure une idéologie influente qui présente un potentiel important pour le futur de l’Afrique, néanmoins, il doit relever divers défis afin d’atteindre ses objectifs[18]. Cependant, le panafricanisme présente un avenir prometteur à condition que les initiatives en faveur de l’intégration et de la coopération se maintiennent. Les jeunes générations, munies des outils technologiques et d’une conscience globale plus développée, ont la capacité de concrétiser les idéaux panafricains. Il est nécessaire de consolider la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) en renforçant les infrastructures, en soutenant les initiatives de paix et de sécurité, et en promouvant des programmes éducatifs et culturels. Le panafricanisme doit ainsi satisfaire les exigences et les désirs des Africains du XXIe siècle. Sinon, il demeurera simplement une idéologie.

 

 

[1] Cf. M. GÉLIN, « Qu’est-ce que le panafricanisme ? » in Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe (https://ehne.fr/fr/eduscol/qu%27est-ce-que-le-panafricanisme), 14 décembre 2023. Lire aussi : « 1919 – Le Premier congrès panafricain et la Conférence de la paix », in https://maitron.fr/spip.php?article252920, 27 novembre 2023.

[2] Cf. A. BOUKARI-YABARA, Africa Unite! Une histoire du panafricanisme, Paris, La Découverte, 2014, 2017, 5-14.

[3] Cf. CLUB INFLUENCE DE L’AEGE, « Panafricanisme. Guerre de l’information contre la France en Afrique. Enquête, cartographie et recommandations », in https://www.portail-ie.fr/wp-content/uploads/2024/06/PANAFRICANISME-MARS-2024.docx.pdf, mars 2024.

[4] Cf. « Qui était Kwame Nkrumah, le père fondateur du panafricanisme ? » in https://www.geo.fr/histoire/qui-etait-kwame-nkrumah-le-pere-fondateur-du-panafricanisme-212972, 31 décembre 2022.

[5] Cf. A. BOUKARI-YABARA, Africa Unite! Une histoire du panafricanisme, cit., 226-237.

[6] Cf. A. BODDY-EVANS, « The Origins, Purpose, and Proliferation of Pan-Africanism », in ThoughtCo, (https://www.thoughtco.com/what-is-pan-africanism-44450), 21/11/2019.

[7] Cf. J. KAMBA – A. DJAO, « REVISITER L’IDEOLOGIE DE « L’AUTHENTICITE » DE MOBUTU », in Collection recherches et regards d’Afrique, Vol 3, n° 7, Avril 2024, 131-151.

[8] Cf. «Frantz Fanon: Prophet of African liberation » in Pambazuka News, (https://www.pambazuka.org/pan-africanism/frantz-fanon-prophet-african-liberation), 05/12/2011.

[9] Cf. « Le Panafricanisme : Histoire, Principes et Impact sur l’Unité Africaine », in https://fr.africally.com/2023/07/le-panafricanisme-histoire-principes-et.html, 04 juillet 2023.

[10] Pour informations complémentaires : A. AYRTON, « Des congrès panafricains à l’Organisation de l’unité africaine : les circulations transimpériales dans la formation des diplomates africains postcoloniaux », in Revue d’Histoire Contemporaine de l’Afrique, n° 3, 2022,157-168. (https://oap.unige.ch/journals/rhca/article/view/03aubry)

[11] Cf. R. CARAYOL, « En Afrique de l’Ouest, le panafricanisme rime désormais avec « dégagisme » », in Le Monde diplomatique, (https://www.monde-diplomatique.fr/2024/09/CARAYOL/67464), septembre 2024.

[12] Kemi Seba est très engagé dans son panafricanisme jugé parfois sévère. Dans son ouvrage, voulant mettre l’accent sur l’autodétermination, il affirme que « la décolonisation a systématiquement échoué, car, à l’image de l’aigle conditionné voulant sortir de sa cage, une fois libres, nous avons voulu nous comporter comme le pigeon auquel le chasseur nous avait dit que nous ressemblions. Nous avons voulu gérer nos pays comme des Occidentaux, mais en vain, car le fait est qu’ontologiquement, nous ne sommes pas des Occidentaux et ne le serons jamais. Nous avons voulu fonctionner avec leurs mœurs, avec leur grille de lecture politique, que ce soit le marxisme, le léninisme, le socialisme, le radicalisme de gauche, alors qu’aucune de ces notions n’est intrinsèquement adéquate à la façon de fonctionner des Noirs ». Cf. K. SEBA, SUPRA-NEGRITUDE. Autodétermination, antivictimisation, virilité du peuple, Editions Fiat Lux, Paris, 2013, 215-216. Et dans son ouvrage Philosophie de la panafricanité fondamentale, publié en 2023, Kemi Seba explore la corrélation entre la conscience noire universelle, la métaphysique, l’histoire et la géopolitique, tout en opposant traditionalisme et progressisme. Il propose une pensée critique pour aider les Noirs du monde entier à trouver en eux-mêmes les clés de leur survie face à la domination temporaire de la suprématie occidentale.

[13] Cf. C. SIAR, in https://x.com/Claudy_Siar/status/1561853498903388166, 23 août 2022.

[14] Cf. « L’indépendance financière de l’UA est indispensable au renforcement de ses partenariats », in ISSAFRICA, (https://issafrica.org/fr/iss-today/lindependance-financiere-de-lua-est-indispensable-au-renforcement-de-ses-partenariats), 23/02/2023.

[15] Cf. S. NAKAO, Nationaliser le panafricanisme. La décolonisation au Sénégal, en Haute-Volta et au Ghana (1945-1962), Paris, Karthala, 2023, 289-295.

[16] I. SHIVJI, « Le panafricanisme, un projet inachevé d’émancipation sociale » (Traduction de l’anglais Olivier Peeters), in F. THOMAS (Coord.), Anticolonialisme(s), in Alternatives Sud, Vol. 30, n°3, 2023, 25-40.

[17] On peut lire à ce sujet l’opinion de Gauz (de son vrai nom Armand Patrick Gbaka-Brédé): GAUZ, « [Tribune] Panafricanisme : la panne africaniste », in Jeune Afrique (https://www.jeuneafrique.com/1094312/politique/tribune-panafricanisme-la-panne-africaniste/), 9 janvier 2021.

[18] Lire : P. NANTULYA, « Vers une renaissance du panafricanisme ? », in https://africacenter.org/fr/spotlight/renaissance-du-panafricanisme/, 3 avril 2024.

 

 

 

Jean-Pierre Bodjoko SJ

Journaliste et expert politique. Ancien responsable de la section africaine francophone de Radio Vatican.

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