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SAINT JOHN HENRY NEWMAN : FOI, SAINTETÉ ET IMAGINATION

Dans les Pyrénées catalanes, sur le plateau de la Cerdagne se trouvent des villages avec des églises romanes solides et sombres comme le ventre maternel. Souvent, un enrichissement transitoire à l’époque baroque a permis d’y ériger de beaux retables très hauts, avec des colonnes en spirale dorées, remplies de statues de saints de différentes époques et états de vie. Ainsi, dans le retable de Saint-Martin d’Hix, on contemple non seulement le saint patron et la Vierge mais aussi Isidore le fermier, François Xavier, Antoine le Grand, saint Roc et quelques saints malheureusement anonymes.

Ceux qui y célèbrent un baptême peuvent facilement relier le sacrement de la foi à la vocation universelle à la sainteté affirmée par le Concile Vatican II dans Lumen gentium. La sainteté est imaginée comme cet « horizon ordinaire » que le pape François souligne souvent : « Bien des fois, nous sommes tentés de penser que la sainteté n’est réservée qu’à ceux qui ont la possibilité de prendre de la distance par rapport aux occupations ordinaires, afin de consacrer beaucoup de temps à la prière. Il n’en est pas ainsi. Nous sommes tous appelés à être des saints en vivant avec amour et en offrant un témoignage personnel dans nos occupations quotidiennes, là où chacun se trouve » .

Ainsi une « classe moyenne de la sainteté » se forme de génération en génération. Les sculpteurs retables anticipaient avec leur imagination ce que, trois siècles plus tard, le magistère de l’Église allait exprimer en paroles. En effet, il n’est pas rare dans l’histoire de la foi et de l’Église que les images précèdent les écrits, car les métaphores bibliques et les célébrations liturgiques annoncent souvent de façon poétique la nécessaire précision des formules dogmatiques canoniques.

John Henry Newman , canonisé par le pape François le 13 octobre dernier, est le premier Anglais postérieur au 17e siècle que l’Église catholique a reconnu comme saint. Saint Paul VI et, plus intensément encore, saint Jean-Paul II et ses successeurs se sont préoccupés de montrer la vocation universelle à la sainteté en canonisant un grand nombre de femmes et d’hommes de tous les pays et des temps plus récents. Ainsi, ils ont dépassé les cercles habituels formés de religieux, religieuses, clercs et monarques prémodernes, pour reconnaître comme saints beaucoup de membres ordinaires de la « classe moyenne de la sainteté ». Ils ont mis en lumière combien de laïcs, modernes et postmodernes, jeunes ou vieux, martyrs ou confesseurs, s’étaient engagés à sanctifier le monde et eux-mêmes en suivant les traces du Christ.

À première vue, il pourrait sembler que le cardinal Newman, prêtre et célibataire, appartient au cercle des clercs « candidats habituels » que l’on porte à la gloire des autels. Mais sa nationalité, son âge, son passage de la Tamise au Tibre, les circonstances de l’enterrement et de l’exhumation, l’absence de miracles depuis plus de 100 ans et bien d’autres détails ont en réalité rendu son cas particulier. À bien y penser, la sainteté de Newman demande un « élargissement de l’esprit », une utilisation de l’imagination qui est aussi vraiment chrétienne. Il faut être « imaginatif ». La sainteté de Newman vient donc traverser notre imagination à différents niveaux. Cet article va essayer d’en montrer brièvement quelques-uns, afin d’éveiller notre foi en Christ aujourd’hui.

Désormais beaucoup de travaux théologiques tentent de relier la foi et l’imagination. Parmi les pionniers, nous pouvons citer William Lynch, un jésuite américain et penseur aphoristique. À leur façon, certainement plus systématique, il y a Karl Rahner et Hans Urs von Balthasar ; du point de vue de la théologie morale, William Spohn ; et, de manière suggestive et ample, le théologien jésuite et docteur en lettres Michael Paul Gallagher .

Ce dernier a pu indiquer, dans divers articles publiés par la Civiltà Cattolica, les liens organiques entre foi, culture et imagination. En particulier, dans un article paru à l’occasion de la béatification de Newman en 2010 , il a montré que le nouveau bienheureux était l’un des premiers penseurs chrétiens à avoir explicitement enquêté sur le rapport entre la foi, la vie, la réalité, le cœur, la conscience et l’imagination.

Cependant, il convient de signaler d’emblée que Newman a toujours mené cette enquête dans une perspective eschatologique. Au fond, il a toujours parié sur la sainteté et la béatitude qui attendent ceux qui, aidés par la grâce, préparent leur cœur et leur conscience à accueillir Dieu et à écouter sa voix. Maintenant, nous allons essayer, avec Newman, de mettre en évidence le lien entre la foi, la sainteté et l’imagination.

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Nicolas Steeves

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