RELIGIONS ET VIOLENCE
Last Updated Date : 5 février 2021
Published Date:17 juin 2020

Depuis les attentats du 11 septembre, le monde – et pas seulement l’occidental – vit à l’heure du terrorisme d’inspiration islamiste. Après New York, il y a eu Madrid, Londres, Paris, Nice, sans compter la lancinante série des attentats et des massacres en Syrie, au Pakistan ou au Nigéria. Cette réalité a contribué à associer fortement, dans les esprits de beaucoup de nos contemporains, religion et violence. Mais ce lien existait bien avant dans les esprits et le Pape Jean Paul II, avec la rencontre d’Assise (1986), avait déjà voulu s’inscrire fortement en faux contre cette idée et montrer le désir de paix des grandes religions du monde. Ce désir de s’opposer de façon décidée au lieu commun associant religion et conflits se remarque aussi dans la récente déclaration signée à Abu Dhabi le 4 février 2019 par le Pape François et le grand imam de Al-Azhar, Ahmad Al-Tayyeb : « Nous déclarons – fermement – que les religions n’incitent jamais à la guerre et ne sollicitent pas des sentiments de haine, d’hostilité, d’extrémisme, ni n’invitent à la violence ou à l’effusion de sang »[1].

La question en effet de ce lien a des sources culturelles et intellectuelles qui remontent bien plus loin qu’au début du 21ème siècle. Cette temporalité courte vient en rejoindre une autre qui est beaucoup plus longue dans notre culture européenne. Car l’idée reçue que les religions entraînent nécessairement de la violence a en réalité des racines beaucoup plus anciennes. Il suffit de mentionner les fameuses « guerres de religion » dans l’Europe du 16e et du 17ème siècle et la façon dont toute une tradition de philosophie politique s’est construite sur une certaine lecture de ces événements. Et l’on pourrait remonter plus loin avec les Croisades ou l’expansion de l’Islam.

La question n’est donc pas nouvelle et l’accusation ancienne. Mais ce lieu commun tient-il vraiment la route ? Une enquête s’impose, nécessairement pluridisciplinaire. Si l’histoire est bien sûre centrale, la question touche aussi à l’anthropologie fondamentale, à la sociologie, au droit et à la psychologie. On peut observer par exemple que l’axiome de sagesse populaire, ‘le bien ne fait pas de bruit’, est particulièrement pertinent. Les milliers de religieuses et de religieux, sans oublier les innombrables fidèles laïcs, qui ont au long de l’histoire et encore aujourd’hui, en tant de pays, se dévouent au bien des enfants et des malades, des personnes de la rue ou des prisonniers, ne font jamais là une des journaux alors que quelques individus armés de kalachnikov, et ayant dans certains cas ‘redécouvert’ leur ‘religion’ quelques semaines auparavant, vont avoir une couverture médiatique planétaire pour quelques minutes d’horreur. Nous sommes tous conscients de cet écart mais nous ne mesurons parfois pas à quel point il pèse sur nos imaginaires et nos représentations et réactions spontanées.

Distinguer ‘politique’ et ‘religion’ n’est pas aisé

Commençons par quelques observations au plan historique. Une première remarque s’impose d’emblée. Distinguer ‘politique’ et ‘religion’ n’est pas aisé. D’une certaine manière même, la distinction est assez récente dans l’histoire de l’humanité. Les grands empires, celui de Rome par exemple, ont toujours été des systèmes politico-religieux de domination où il est difficile de dire où commence et où finit l’aspect religieux. C’est ce qui a rendu d’ailleurs l’attitude de Rome vis-à-vis du mouvement chrétien particulièrement complexe et variable.

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