Pourquoi les guerres continuent-elles ?
La récente invasion de l’Ukraine par la Russie a réveillé de vieilles peurs à l’Ouest et l’a forcé à affronter un problème qu’il pensait avoir laissé derrière lui une fois pour toutes. La guerre montre l’un des nombreux aspects paradoxaux de l’être humain, le seul parmi les espèces vivantes à entreprendre cette activité totalement irrationnelle. En fait, la guerre est essentiellement dévastatrice : ceux qui y prennent part mettent en danger leur bien le plus précieux, la vie ; elle engendre la pauvreté, détruit des nations, apporte des maladies, des blessures et des traumatismes qui durent de nombreuses années, même quand elle est terminée. Pourtant, elle est attestée depuis l’aube de la vie humaine, et elle n’est totalement absente à aucune époque. Il est symptomatique que l’histoire elle-même, tant sacrée que profane, commence par un fratricide.
Le fait qu’il n’est pas facile de se débarrasser de la guerre est illustré par sa présence constante, même dans la vie quotidienne paisible : les noms des rues et des places, des gares et des stations de métro, des monuments, des essais, des films, des œuvres d’art, des bandes dessinées et des jeux vidéo sont consacrés à des batailles, des héros et des dirigeants. La structure actuelle de la plupart des États est liée aux guerres, tout comme leur histoire. Et il y a derrière elle une organisation complexe qui finit par affecter tous les domaines de la vie : « De toutes les activités de l’homme, la guerre est peut-être la mieux planifiée et a, en retour, stimulé une plus grande organisation de la société […]. En augmentant le pouvoir des gouvernements, la guerre a aussi apporté le progrès et le changement […]. Nous sommes devenus plus habiles à tuer et, en même temps, moins tolérants à l’égard de la violence envers le prochain[1] ».
La guerre est à la fois redoutée et fascinante. Lorsque l’homme a la patience de l’étudier, en surmontant la tentation de détourner le regard, il est obligé de regarder à l’intérieur de lui-même, le mystère qui le constitue et qui dément sa dimension essentiellement rationnelle.
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[1] M. MacMillan, War. Come la guerra ha plasmato gli uomini, Milan, Rizzoli, 2021, 22. Tout au long de l’ouvrage, l’auteur montre comment les guerres ont en fait façonné le monde tel que nous le connaissons, et pas seulement dans sa version destructrice : outre sa grande présence dans la production culturelle, la guerre « a influencé l’économie, la science, le progrès technologique et la recherche médicale. Elle a inspiré, pour le meilleur et pour le pire, des poètes, des écrivains, des dramaturges, des musiciens, des peintres et des réalisateurs. Sans les conflits armés, nous n’aurions pas connu la pénicilline, l’émancipation des femmes, les radars ou les missiles » (ibid. ; cf. 44-54).
[2] Cf. S. Freud, Considerazioni attuali sulla guerra e la morte, Rome, Newton Compton, 1976, 16-43.
[3] Id., Al di là del principio del piacere, in Id., Opere, Turin, Boringhieri, 1977, vol. IX, 248 ; 241 ; Cf. 207 ; 221 s. Ce thème était également familier à Nietzsche : « La cruauté constitue la grande joie festive de la plus ancienne humanité. […] Sans cruauté, il n’y a pas de fête » (Genealogia della morale, Milan, Adelphi, 1984, 54 s).
[4] Cf. E. Fromm, Anatomia della distruttività umana, Milan, Mondadori, 1973, 12 ; H. Marcuse, Eros e civiltà, Turin, Einaudi, 1968, 226.
[5] « Depuis le dernier rapport du ministère de l’Économie et des Finances (Mef), plus de 10 milliards d’euros ont été liés aux exportations d’armes. Comme le dénonce la campagne banchearmate.org, les établissements de crédit se sont de plus en plus mis au service des entreprises d’armement italiennes. Cette croissance a été imparable ces dernières années, si l’on pense qu’en 2014 les exportations s’élevaient à 2,5 milliards d’euros. Les principaux groupes bancaires concernés sont Unicredit, Deutsche Bank et Intesa Sanpaolo » (L. Maggiori, « Anche mettere i soldi in banca può avere un enorme impatto sociale e ambientale », Il Fatto Quotidiano, 7 avril 2021).
[6] M. MacMillan, op. cit., 67.
[7] En présentant le Heroic Imagination Project, Philip Zimbardo a souligné : « Historiquement, le héros est un guerrier masculin, comme Achille, Agamemnon ou Ulysse. Ils tuent des femmes et des garçons. Ce sont essentiellement des hommes, des adultes, des assassins » (www.stanforddaily.com/2011/01/07/zimbardo-begins-heroic-imagination-project).
[8] M. MacMillan, op. cit., 300 s.
[9] Ibid., 298.
[10] Thucydide décrit la première guerre civile en Grèce en ces termes : « Certains furent tués par inimitié personnelle, d’autres enfin par intérêt sous les coups de leurs débiteurs, à qui ils avaient avancé des sommes d’argent […]. Le père poignardait son fils : on retirait des autels les suppliants et là, sur place, ils furent criblés de balles. Certains furent emmurés et supprimés dans le temple de Dionysos. La spirale atroce de la guerre civile a progressé jusqu’à ce point ; et la blessure infligée à la conscience du monde a saigné plus amèrement, car c’était la première d’une longue chaîne d’horreurs qui, dans une progression du temps, impliqua et submergea jusqu’à ses limites extrêmes, pourrait-on dire, l’univers grec » (Storie, l. III, nos 81-82).
[11] Cf. G. Cucci, La forza dalla debolezza. Aspetti psicologici della vita spirituale, Rome, AdP, 20183, 87-95.
[12] R. Beiner (éd.), Theorizing Nationalism, Albany, State University of New York Press, 1999, 91 s. ; Cf. A. Oliverio Ferraris, La costruzione dell’identità, Turin, Boringhieri, 2022, 106-112.
[13] Cf. R. Merton, « La profezia che si autoadempie », in Id., Teoria e struttura sociale, 2 : Studi sulla struttura sociale e culturale, Bologne, il Mulino, 2000, 765-789 ; Id., « The Unanticipated Consequences of Purposive Social Action », American Sociological Review I (1936) 894-904.
[14] M. MacMillan, op. cit., 63.
[15] La Repubblica, 17 mai 2004.
[16] M. MacMillan, op. cit., 66.
[17] G. Younge, Un altro giorno di morte in America. 24 ore, 10 proiettili, 10 ragazzi, Turin, Add, 2018, 70.
[18] L. Evans, « Straight Talk from General Anthony Zinni », UCLA, Center for International Relations, 14 mai 2004.
[19] https ://wid.world/news-article/world-inequality-report-2022.
[20] Comme l’a écrit Susan Sontag : « Il faut des conditions particulières pour qu’une guerre devienne vraiment impopulaire (et la perspective d’être tué n’en fait pas nécessairement partie). Dans de telles circonstances, le matériel recueilli par les photographes, qui, à leurs yeux, pourrait avoir le pouvoir de révéler le conflit, devient en effet très important. Mais si une telle protestation est absente, la photographie anti-guerre elle-même peut être lue comme montrant le pathos, ou l’héroïsme, l’héroïsme admirable, d’une lutte inévitable qui ne peut se terminer que par une victoire ou une défaite. Les intentions du photographe ne déterminent pas le sens de la photographie, qui aura une vie propre, soutenue par les fantasmes et les convictions des différentes communautés qui l’utiliseront » (S. Sontag, Davanti al dolore degli altri, Mondadori, Milan, 2003, 32 s).
[21] Cf. W. Shannon, Seeds of Peace : Contemplation and Non-Violence, New York, Crossroad, 1996, 107 ; T. Radcliffe, Accendere l’immaginazione. Essere vivi in Dio, Vérone, Emi, 2021, 234.
[22] Cf. G. Cucci, « L’odio. Un sentimento complesso e potente », dans : Id., La forza dalla debolezza, 369-399.
[23] T. Radcliffe, op. cit., 252. Cf. G. Pani, « Il Mahatma Gandhi : la forza della verità e della « nonviolenza » », Civ. Catt. 2022 I 552-566.
[24] Cf. G. Cucci, « La prudenza. Una virtù scomparsa ? », Civ. Catt. 2021 III 11-22.