Il y a quelques semaines, le 17 décembre 2019, la décision du Saint-Père d’exclure du « secret pontifical » les plaintes, procès et décisions concernant des cas d’abus sexuels commis au sein de l’Église a été publié. Cette décision a eu un large écho et a été saluée par beaucoup comme une avancée très importante – certains l’ont même qualifiée d’« historique » – dans la lutte contre ces crimes très graves.
Dix mois après la Rencontre sur la protection des mineurs dans l’Église (21-24 février 2019)[1], il convient de saisir cette occasion pour retracer le chemin parcouru depuis lors, car entre-temps le pape François a pris d’autres mesures non moins importantes.
La protection des mineurs dans la Cité du Vatican et la Curie romaine
Le premier pas a été franchi quelques semaines après la Rencontre, qui fut alors le fruit d’un travail déjà en cours auparavant. Le 26 mars, le pape avait signé un Motu proprio sur la protection des mineurs et des personnes vulnérables dans la Curie romaine et l’État de la Cité du Vatican, intitulé La protection des mineurs, accompagné d’une nouvelle loi de l’État de la Cité du Vatican sur le sujet, et de « Lignes directrices » pour le Vicariat de la Cité du Vatican[2].
À première vue, on pourrait penser que ces mesures sont d’une importance limitée, car elles couvrent une zone géographique et un nombre de personnes assez restreints. En réalité, ce pas a été très important. Grâce au Motu proprio, la nouvelle loi ne s’applique non seulement sur le territoire de l’État de la Cité du Vatican, mais concerne tout le personnel de la Curie romaine, y compris le corps diplomatique à l’étranger et les employés du Vatican. Le document du Pape énonce des principes fondamentaux, notamment le « devoir de signaler les abus aux autorités compétentes » ; le droit des victimes « d’être accueillies, entendues et accompagnées » ; le droit des accusés à « un procès équitable et impartial, respectant la présomption d’innocence, ainsi que les principes de légalité et de proportionnalité entre le crime et la peine » ; l’éloignement du condamné de ses fonctions, mais aussi le soutien pour sa réhabilitation psychologique et spirituelle ; une formation appropriée pour la protection des mineurs et des personnes vulnérables.
Les nouveautés les plus importantes de la loi sont les suivantes : l’assimilation des personnes « vulnérables » aux mineurs[3] ; les crimes liés à la maltraitance des enfants sont poursuivis « d’office », même sans plainte des parties ; le délai de prescription est porté à 20 ans après le 18e anniversaire de la victime ; tout « fonctionnaire publique » (c’est-à-dire la majorité de ceux qui travaillent au Vatican ou pour le Saint-Siège) a l’obligation de dénoncer ; un service d’accompagnement pour les victimes a été créé auprès de la Direction de la santé du gouvernorat de la Cité du Vatican ; des garanties procédurales sont introduites pour les mineurs appelés à déclarer.
Les « Lignes directrices » pour le Vicariat de la Cité du Vatican – qui définissent les devoirs et les compétences non pas dans le domaine.
Cela répond au besoin, maintes fois exprimé, de voir les institutions exerçant leur service pour l’Église universelle donner le bon exemple et servir de modèles à toute l’Église, et que les lois et règlements en vigueur dans l’État de la Cité du Vatican et les institutions de la Curie romaine soient conformes aux conventions internationales, ratifiées par le Saint-Siège, y compris au nom et pour le compte de l’État de la Cité du Vatican.« civil » mais dans les domaines « canonique » et « pastoral » – donnent aussi de nombreuses indications opérationnelles, qui seront d’une grande utilité non seulement pour traiter d’éventuels cas d’abus mais aussi pour diffuser et enraciner une véritable culture de protection et de prévention dans toute la sphère de la vie et des activités des institutions du Vatican et du Saint-Siège.
Dans toute l’Église : Des centres dans chaque diocèse et l’obligation de dénoncer
Cependant, un deuxième pas en avant – cette fois-ci adressée directement à l’ensemble de l’Église universelle, et donc d’une portée beaucoup plus large – s’est fait le 9 mai, lorsque le pape François a publié un nouveau Motu proprio sur les abus et violences sexuels, intitulé Vos estis lux mundi – Vous êtes la lumière du monde (dit VELM, d’après les initiales du titre)[4]. Il faut souligner qu’il s’agit d’une loi valable pour toute l’Église, qui impose donc des obligations juridiques, dont certaines sont nouvelles et d’autres plus clairement formulées que par le passé. Ainsi, les mots prononcés par le Pape dans son discours final lors de la Rencontre de février, dont peu avaient noté l’importance, trouvent une application lorsque, parlant de « renforcer et vérifier » des « Lignes directrices » des Conférences épiscopales, il a insisté sur la nécessité de « l’application des mesures qui ont valeur de normes et non pas uniquement d’orientations. Des normes, pas uniquement des orientations ![5] ».
Il est bon de rappeler que, après les indications données il y a une dizaine d’années par la Congrégation pour la doctrine de la foi, la plupart des Conférences épiscopales avaient formulé les demandes de « Lignes directrices » et beaucoup de diocèses s’étaient employés à les mettre en pratique. Cependant, tous ne l’avaient pas encore fait et, de plus, ces « Lignes directrices » ne sont pas contraignantes (sauf aux États-Unis, à la demande de la Conférence épiscopale), c’est-à-dire qu’elles n’obligent pas les évêques des différents diocèses à mettre en œuvre les mesures proposées.
Maintenant, le pape François, avec sa nouvelle législation, a soudainement surmonté les retards et les doutes ; et avec son autorité de pasteur de l’Église universelle, il a obligé tous les évêques, de toutes les régions du monde, à prévoir, dans un délai très court – un an à partir de la promulgation de la loi ! –, la mise en place d’un système public, fiable et accessible pour garantir que les victimes soient accueillies et entendues, et que ceux qui dénoncent soient protégés contre les représailles. Autrement dit, il doit y avoir dans chaque diocèse un bureau avec un responsable chargé de présenter les rapports.
C’est un pas très important : trop de personnes ne savaient pas à qui s’adresser et ont malheureusement été envoyées d’une instance à une autre, avec beaucoup de souffrance et de frustration. Désormais, tous les fidèles ont le droit de savoir comment et à qui ils peuvent signaler des abus ou des violences. Face à la complexité des relations dans un système global et articulé comme l’est l’Église catholique, avec toutes ses différences culturelles et administratives dans les diverses parties du monde, cette démarche est un étonnant signe de courage.
Un autre aspect décisif du document est le fait qu’il énonce en termes très clairs l’obligation de dénoncer, en précisant à qui l’obligation incombe et l’objet de l’obligation[6]. Tous les clercs et religieux – hommes et femmes (donc aussi toutes les religieuses) – sont soumis à l’obligation de dénoncer, tandis que les laïcs et même les personnes n’appartenant pas à l’Église peuvent dénoncer, sans y être obligés. Les rapports peuvent faire référence non seulement à la violence sexuelle contre des mineurs ou des adultes vulnérables, mais aussi à la possession ou à la distribution de matériel pédopornographique, à des actes de violence ou d’intimidation sexuelle et – point significatif – à la dissimulation de ces crimes, même lorsqu’elle est pratiquée par des autorités ecclésiastiques supérieures (comme les évêques, les cardinaux, les supérieurs généraux ou supérieures générales).
C’est un très grand pas en avant dans la direction de l’implication de tout le Peuple de Dieu dans la coresponsabilité pour éradiquer le fléau des abus sexuels, conformément à ce que le Pape François a exprimé et espéré dans ses Lettres au Peuple de Dieu[7]. Il est également remarquable que la dénonciation des différentes formes d’abus doit passer par un seul canal principal, qui doit avoir son lieu dans chaque diocèse. Il n’y a pas que les violences sexuelles contre les mineurs commises par des clercs – qui ont une gravité et une procédure spécifiques –, mais il y a aussi d’autres crimes, tels que la pornographie enfantine, les actes sexuels contre des adultes comme conséquences de violence ou d’abus de pouvoir, la dissimulation par des supérieurs, etc.
La différence de compétences en matière de jugement et d’action dans ces différents cas a souvent été une source de désorientation. Nous voulons maintenant que tous les cas soient renvoyés au même système, qui devra les traiter de manière appropriée. Par exemple, la violence ou les abus subis par des religieuses de la part de clercs (un problème dramatique qui a été plus ouvertement discuté ces dernières années) doivent également être signalés – c’est maintenant une obligation légale pour les religieuses aussi ! –, et les plaintes doivent être examinées avec rigueur.
La procédure pour les plaintes d’autorités ecclésiastiques supérieures
Un aspect très important du Motu proprio, développé dans la deuxième partie de la Loi, concerne la procédure d’enquête sur les abus et les violences ou leur dissimulation par des évêques et des cardinaux, ainsi que par les supérieurs généraux et supérieures générales[8]. Il s’agit de personnes qui occupent des postes de pouvoir dans l’Église qui, en eux-mêmes, ne prévoient aucune autre autorité supérieure (à part le pape).
L’attente que ces personnes puissent elles aussi être appelées à rendre compte de leurs actes et omissions dans le domaine des abus et de la violence, en particulier de leur comportement de « dissimulation » de crimes qu’elles-mêmes ont commis – malheureusement, un fait non pas rare, surtout dans le passé –, était très forte, croissante et souvent exprimée tant par de nombreuses victimes et leurs organisations que par le monde de la presse et des communications, en particulier dans les régions anglophones, mais pas seulement.
C’est l’un des principaux aspects du thème de la accountability (« la responsabilité de rendre des comptes »), qui a été mis, explicitement et non par hasard, au centre des réflexions du deuxième jour de la Rencontre de février et faisait déjà l’objet d’une réflexion et d’un débat intenses de la part des Conférences épiscopales des régions anglophones, en particulier des États-Unis.
À ce sujet, la VELM formule courageusement une norme universelle – autrement dit, valable pour toute l’Église – en soutenant la procédure à suivre dans la première phase de l’enquête, c’est-à-dire celle qui doit avoir lieu au niveau « local », sur un élément clé de la constitution hiérarchique de l’Église, à savoir la figure du « métropolitain » ou archevêque à la tête d’une « province ecclésiastique » composée de plusieurs diocèses voisins. En effet, il doit recevoir les rapports concernant les évêques et procéder à l’enquête, en utilisant, si nécessaire, l’aide de laïcs experts et compétents.
Quant à la deuxième étape de la procédure – celle qui se déroule à Rome, avec le jugement final du Pape, aidé par les services de la Curie romaine compétents dans les différents cas –, il existe déjà un précédent Motu proprio de 2016, Comme une mère aimante (CUMA), qui traite non seulement des questions d’abus sexuels et leur prise en charge mais plus généralement des cas de négligence de la part des évêques et d’autres supérieurs.
Un autre des aspects qui suscitent souvent du trouble et de vives critiques dans les cas d’abus sexuels est celui du temps, c’est-à-dire les retards et les lenteurs qui empêchent de réagir rapidement et efficacement aux rapports reçus, et donc d’arriver à des conclusions dans un délai raisonnable. Le VELM répond à ce problème en fixant des délais très courts pour la réalisation des enquêtes.
L’évêque ou le métropolite doit rapidement transmettre le rapport au dicastère de la Curie romaine compétent ; ce dernier est tenu de répondre à l’évêque dans un délai de 30 jours, en donnant des instructions pour l’enquête ; l’évêque est ensuite obligé de faire un rapport tous les 30 jours au dicastère et de conclure l’enquête dans un délai de 90 jours (sauf prolongation). Si ces indications sont mises en pratique, le progrès par rapport à aujourd’hui sera très sensible.
Enfin, notons que la VELM s’inscrit dans la continuité de la réglementation déjà promulguée le 26 mars dernier, en reprenant l’assimilation des mineurs et personnes vulnérables, ainsi que la définition de ces dernières. Une attention particulière est aussi accordée à la formulation des devoirs de prise en charge des victimes et de leurs familles, à la protection de ceux qui signalent les abus, par la précision qu’« Aucune personne qui effectue un signalement ne peut se voir imposer une contrainte au silence sur le contenu de celui-ci » (article 4.3), et à la protection des accusés (leur information et leur présomption d’innocence).
La suppression du « secret pontifical » sur les abus
Le troisième pas important, franchi par le pape François le 6 décembre dernier, consiste dans la publication du Rescrit pour l’Instruction Sur la confidentialité des causes[9]. Le document précise que « les dénonciations, les procès et les décisions relatifs aux délits énoncés » dans le domaine de l’abus d’enfants, de la violence sexuelle, de la pornographie enfantine et du camouflage des abuseurs par les supérieurs ne sont pas couverts par le « secret pontifical ».
Pour bien comprendre et éviter tout équivoque et confusion au sujet de cette abolition du « secret pontifical », il faut distinguer trois types de « secret » différents. Il y a tout d’abord celui dit « de la confession », relatif au sacrement de la confession. L’Église la considère comme intangible, bien qu’elle soit aujourd’hui encore remise en question dans certains pays dans le cadre des débats sur les abus (par exemple, en Australie, mais aussi ailleurs). La nouvelle Instruction ne parle nullement de cette question[10]. Il y a ensuite ce qu’on appelle le « secret professionnel » qui, dans le domaine qui nous intéresse, est réglementé par le droit canon pour « garantir la sécurité, l’intégrité et la confidentialité, afin de protéger la bonne réputation, l’image et la vie privée de toutes les personnes concernées ». Cela non plus n’est nullement remis en cause par l’Instruction qui, au contraire, le réaffirme explicitement au nº 3. Il serait donc totalement faux de penser que l’Instruction entend permettre une vague de publicité incontrôlée sur toutes les questions et causes d’abus, favorisant le scandale et une curiosité mal placée.
Ce qui est supprimé, en ce qui concerne le domaine des abus sexuels, c’est le « secret pontifical », c’est-à-dire un devoir particulier de confidentialité imposé, dans certains cas, à certaines catégories de personnes (par exemple, les évêques, les représentants pontificaux ou les fonctionnaires de la Curie), sur des sujets déterminés qu’ils doivent traiter en raison de leur fonction, afin de protéger le bien commun de la communauté ecclésiale et le bien des personnes individuelles.
Or, l’Instruction Continere Secreta Continere de 1974, qui réglemente encore le secret pontifical, mentionne parmi les sujets soumis à cette législation (par exemple, la rédaction de documents pontificaux, les consultations sur les nominations épiscopales, les informations des représentants pontificaux auprès du Saint-Siège, etc.) également les dénonciations, les procès et les décisions relatifs aux délits graves contre la morale – donc, en pratique, tous les sujets relatifs aux problèmes des abus et des violences sexuelles. Cela a posé un certain nombre de problèmes qu’il était urgent de clarifier, relativement à l’obligation de dénoncer en vertu de la nouvelle législation et pour respecter des lois de l’État et répondre aux demandes d’information et de documentation de la part des autorités judiciaires civiles, et concernant l’information donnée sur les causes et les peines, y compris aux victimes d’abus.
Ces sujets ont également été longuement débattus lors de la Réunion de février dernier, dont la troisième journée a été expressément consacrée au thème de la « transparence » dans la vie et le comportement de l’Église. Le Motu proprio de mars et celui promulgué en mai ont, par l’insistance sur l’obligation de signalement, le respect des lois de l’État et la collaboration avec les autorités civiles, rendu imminent un changement dans la discipline du secret pontifical dans cette matière et une clarification des limites du « secret professionnel », qui – comme le précise la nouvelle Instruction – ne peut en aucun cas être opposé à l’accomplissement des obligations des lois de l’État et des demandes exécutives des autorités judiciaires civiles (nº 4).
Conformément à ce qui a été dit précédemment au sujet de la VELM, l’Instruction réitère encore une autre limite au devoir de confidentialité, en précisant qu’aucune contrainte de silence ne peut être imposée « Aucun devoir de silence sur les faits en cause ne peut être imposé à celui qui effectue un signalement, à la personne qui affirme avoir été offensée et aux témoins » (nº 5). Pensant au nombre de fois que l’on a tenté – même avec des négociations maladroites – d’obtenir le silence des personnes offensées, il faut reconnaître que ce point indique aussi une volonté claire d’avancer sans incertitude sur la voie de la transparence totale.
En commentant l’Instruction, le professeur Giuseppe Dalla Torre[11] souligne combien l’abolition du secret pontifical est pertinente pour faciliter toutes les étapes de la procédure canonique, de la dénonciation aux enquêtes, à la phase préliminaire et au débat, jusqu’à la décision, tant dans les bureaux locaux qu’à la Congrégation de la Foi à Rome. Toutefois, l’auteur souligne surtout son importance et ses avantages pour éviter des situations d’incertitude, de difficultés ou de conflit dans les rapports avec les autorités civiles et lors de leurs demandes légitimes de coopération pour obtenir des renseignements et de la documentation. Le professeur Dalla Torre conclut avec optimisme que les innovations introduites « contribuent à favoriser le passage dans l’ordre canonique d’une attitude de méfiance et de défense vis-à-vis des systèmes étatiques à une attitude de confiance et de saine collaboration ».
Le jour même où la nouvelle Instruction a été publiée un autre Rescrit du pape François a été publié avec deux dispositions particulières, attendues et utiles pour l’achèvement et la cohérence des prescriptions dans la matière dont nous traitons. Il s’agit du fait que le rôle d’avocat et de procureur dans les tribunaux diocésains et celui de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi peuvent désormais être exercés non seulement par des prêtres, mais aussi par des fidèles laïcs ayant les qualités nécessaires ; et du fait que le crime de pornographie enfantine existe aussi du point de vue canonique, lorsque les sujets filmés dans les images ont moins de 18 ans (et non plus moins de 14 ans), comme c’était déjà le cas en vertu du droit de l’État du Vatican.
La lutte contre les abus et pour la dignité des mineurs se poursuit
Toutes les dispositions évoquées jusqu’à présent doivent être considérées comme une suite efficace donnée par le pape François à l’engagement de lutter sans concession contre les phénomènes d’abus, qui a connu un moment crucial lors de la Rencontre de février. Mais cette lutte reste toujours ouverte et, de ce fait, d’autres actes sont attendus et suivront certainement[12].
En attendant, il est juste de noter que les épiscopats et les églises locales dans différentes parties du monde font aussi de grands progrès dans le traitement du problème. À titre d’exemple, nous voudrions signaler le premier grand Congrès latino-américain sur la prévention des abus dans l’Église, qui s’est tenu à Mexico du 6 au 8 novembre dernier, avec la participation de 400 délégués de toute l’Amérique latine, évêques, prêtres, consacrés et laïcs, et avec la présence – parmi les intervenants – de trois organisateurs et protagonistes de la Rencontre de février, à savoir le Card. Blaise Cupich, l’archevêque Mgr Charles Scicluna et le père Hans Zollner.
Cependant, des rassemblements similaires ont eu lieu sur d’autres continents et dans d’autres pays, tandis que se multiplient les rencontres et les cours de formation, de divers types et niveaux, pour le personnel dédié au service ecclésial dans ce domaine. En Italie, le « Service pour la protection des mineurs » se construit non seulement au niveau national mais aussi au niveau régional (tous les responsables ont été nommés) et diocésain (au début du mois de décembre, 100 diocèses sur 226 avaient nommé des responsables)[13]. La Rencontre de février produit donc les effets que le pape François proposait, c’est-à-dire le lancement d’une réponse en chœur de l’Église au défi dramatique des abus.
Enfin, nous notons que sur le front de la protection des mineurs dans le monde numérique, le pape François a fait une nouvelle intervention importante à l’occasion de la Rencontre internationale pour la Promoting Digital Child Dignity. From Concept to Action – promue conjointement par l’Académie pontificale des sciences sociales, l’Alliance pour la dignité de l’enfant et l’Alliance interconfessionnelle (basée aux Émirats arabes unis) – qui s’est tenue à l’Académie pontificale des sciences sociales les 14 et 15 novembre.
La Rencontre a été conçue comme la continuation de l’engagement commencé avec le Congrès mondial de 2017 sur la Child Dignity in the Digital World[14], tenu à l’Université Grégorienne, et a réuni une centaine de chercheurs, d’experts et d’opérateurs techniques et économiques du monde numérique, des représentants d’institutions internationales et d’ONG, et des leaders religieux et politiques. Nous pouvons rappeler, entre autres durant les deux jours de travail, les interventions de la reine Silvia de Suède et du grand imam d’al-Azhar, Ahmad al-Tayyeb. Il convient aussi de mentionner – ce qui, semble-t-il, fut une « première » – la présence de représentants de tous les Big Five du monde numérique (Microsoft, Apple, Amazon, Google, Facebook), qui se sont déclarés prêts, en principe, à développer un discours commun de responsabilité dans le domaine de la protection des mineurs, au-delà des pressions de la concurrence mutuelle.
Le Pape a adressé un long discours aux participants, les recevant à l’ouverture de la conférence, dans lequel il a réitéré la nécessité d’un engagement commun de tous – scientifiques, politiques, législateurs, opérateurs économiques et techniques, éducateurs et responsables religieux – pour faire face aux défis du développement du monde numérique et, en particulier, aux risques qu’ils représentent pour les mineurs, leur intégrité et leur croissance humaine et spirituelle (abus en ligne, pornographie, etc.). Le pape François a déclaré qu’il est nécessaire de « trouver un équilibre adéquat entre l’exercice légitime de la liberté d’expression et l’intérêt social qui doit assurer que les moyens numériques ne soient pas utilisés pour commettre des activités criminelles au détriment des mineurs » ; puis, il a lancé un fort appel à la responsabilité des grandes entreprises dans le monde numérique, à la créativité des informaticiens pour développer une « éthique des algorithmes », en prévenant les conséquences négatives sur les internautes[15].
Le Secrétaire d’État, le Card. Pietro Parolin, est ensuite intervenu à la fin de la Conférence, pour réaffirmer l’engagement solidaire du Saint-Siège et de l’Église catholique sur un front d’étude et d’action si vaste et décisif pour les nouvelles générations et la famille humaine tout entière.
En résumé, l’Église continue à s’engager, tant à l’intérieur pour sa purification qu’à l’extérieur, en collaboration avec toutes les personnes et les institutions intéressées par le vrai bien de la jeunesse. C’est la bonne voie. Et le pape François la guide avec détermination et charisme. Au-delà de la souffrance, de l’obscurité des scandales et de la présence du mal, l’Église retrouve de l’élan dans sa mission.
[1] Les actes de la Réunion ont été publiés en italien dans le volume Consapevolezza e purificazione, Cité du Vatican, LEV, 2019. Sur le site du Vatican, les textes de tous les rapports sont également disponibles en d’autres langues: http://www.vatican. va/resources/index_it.htm/ Cf. F. Lombardi, « Dopo l’Incontro su “La protezione dei minori nella Chiesa” », Civ. Catt. 2019 II 60-73.
[2] Les trois documents sont cités intégralement dans l’Osservatore Romano du 30 mars 2019 et sur le site Internet du Vatican. La nouvelle loi est N. CCXCVII « Sur la protection des mineurs et des personnes vulnérables ». La législation antérieure figurait dans le Motu proprio « A notre époque », du 11 juillet 2013, accompagné de la loi n° VIII, qui avait également introduit le délit de « pornographie enfantine ».
[3] L’art. 1.3, dit : « Est vulnérable toute personne en état d’infirmité, de déficience physique ou mentale ou de privation de liberté personnelle, ce qui en fait, même occasionnellement, limite sa capacité de comprendre ou de vouloir ou, en tout cas, de résister à l’offense».
[4] Texte intégral et des commentaires se trouvent dans Oss. Rom., 10 mai 2019.
[5] François, Discours au le terme de la Rencontre « La protection des mineurs dans l’Église », 24 février 2019.
[6] Il s’agit bien sûr d’une obligation « canonique », c’est-à-dire relative à l’Église et à son organisation, alors que dans le domaine civil il faut suivre les lois de l’État dans lequel l’on vit, y compris en ce qui concerne les dénonciation d’abus.
[7] Nous rappelons en particulier la Lettre au Peuple de Dieu en marche au Chili, du 31 mai 2018, et surtout la Lettre au Peuple de Dieu, du 20 août 2018, adressée à toute l’Église universelle, qui traite pour la première fois du fléau des abus et de la crise qui s’ensuit. De façon constante, le pape François a invité des représentants de toutes les Conférences épiscopales et de toute la vie religieuse à la Rencontre de février dernier pour exprimer le caractère synodal et collégial de la réponse de l’Église.
[8] Bien qu’il ne s’agisse pas de cas fréquents, les abus commis par les hautes autorités ecclésiastiques suscitent un scandale et des dommages incalculables pour les personnes concernées et pour l’Église : il suffit de penser aux cas du P. Marcial Maciel et du Card. Theodore McCarrick.
[9] L’Instruction fut promulguée le 17 décembre et entra immédiatement en vigueur. Le texte et des commentaires se trouvent Oss. Rom. du 18 décembre 2019. L’article de Mgr Juan I. Arrieta, « Riservatezza e dovere di denuncia »est très utile pour une juste interprétation de l’Instruction..
[10] A ce sujet, la note du Pénitencier apostolique, Sull’importanza del foro interno e l’inviolabilità del sigillo sacramentale, datée du 29 juin 2019, est très importante ; elle a été publiée dans l’Oss. Rom., 1-2 juillet 2019, avec un commentaire du Pénitencier majeur, le Card. Mauro Piacenza.
[11] Cf. G. Dalla Torre, « Un atto che facilita la collaborazione con l’autorità civile », Oss. Rom., 18 dicembre 2019.
[12] Dans notre article « Dopo l’Incontro su “La protezione dei minori nella Chiesa” », Civ. Catt. 2019 II 60-73, nous indiquions une série d’engagements qui restent à mettre en œuvre, comme la révision du Livre VI du Code de Droit Canonique (dédié aux « Sanctions dans l’Église ») ou la publication d’un Manuel pour les évêques ou d’un système d’aide pour les diocèses qui se trouvent en difficulté devant leurs devoirs dans ce domaine délicat et complexe, etc.
[13] Cf. « Intervista a mons. L. Ghizzoni », Avvenire, 7 décembre 2019.
[14] Cf. H. Zollner – K.-A. Fucks, « La dignità dei minori nel mondo digitale. Un Congresso internazionale alla Gregoriana », Civ. Catt. 2017 IV 333-338.
[15] Le texte du discours a été publié dans l’Oss. Rom., 15 novembre 2019. Nous rappelons également le précédent discours général du Pape sur le thème de la protection des mineurs dans le monde numérique, prononcé le 6 octobre 2017. Sur le thème des « algorithmes éthiques », cf. aussi A. Spadaro – P. Twomey, « Intelligenza artificiale e giustizia sociale. Una sfida per la Chiesa », publié dans ce même numéro.