NOËL EN TEMPS DE GUERRE
Published Date:2 janvier 2025
Articles Gratuits

C’est le troisième Noël consécutif que nous vivons en temps de guerre. Le conflit russo-ukrainien, qui a débuté en 2014 par l’annexion de la Crimée et le soutien apporté aux forces séparatistes du Donbass par la Russie, est entré dans une phase cruciale le 24 février 2022, impliquant les pays européens et les États-Unis dans leur soutien à l’Ukraine. Le 7 octobre 2023, le Hamas a lancé une attaque soudaine d’une violence extrême sur le territoire israélien, causant la mort d’environ 1 200 civils et soldats et emmenant plus de 240 otages dans la bande de Gaza. La réponse d’Israël, malgré la légitime défense invoquée, a pris au fil du temps le caractère d’une violence disproportionnée et terrifiante. Cela dure depuis plus d’un an et on n’en voit pas la fin. Ces derniers mois, le conflit entre Israël et le parti libanais du Hezbollah a repris. L’Iran et les Houthis du Yémen sont également intervenus, aggravant encore le conflit. Ce que le pape François avait dit il y a quelques années en évoquant « une guerre mondiale fragmentée » se concrétise aujourd’hui. Seulement les différents « morceaux » s’unifient maintenant tragiquement.

Une fureur incontrôlée touche tout le monde, notamment les civils, les personnes âgées, les femmes et les enfants. Des maisons détruites enterrent leurs habitants, des quartiers entiers sont rasés, des hôpitaux sont considérés comme de possibles refuges pour terroristes, des gens délirants errent sans savoir où aller, partout des enfants innocents sont ballottés. L’eau, les produits de première nécessité, les médicaments, les soins pour les blessés, les abris sûrs et la possibilité de rétablir la chaîne d’approvisionnement alimentaire font cruellement défaut. Partout nous voyons des décombres, du sang, du désespoir, la mort : des réalités qui rappellent un passé lointain aujourd’hui oublié et que l’on croyait avoir laissé derrière nous pour toujours. Les appels répétés du Pape en faveur d’une trêve et de négociations restent sans réponse, tandis qu’il réaffirme que « la guerre est toujours une défaite » et un « massacre inutile ». L’avertissement contenu dans l’article 11 de la Constitution italienne, qui « rejette la guerre comme instrument d’atteinte à la liberté des autres peuples et comme moyen de régler les différends internationaux », est plus que jamais d’actualité.

 

La Civilta Cattolica souscrire

Le mystère de Noël

Dans cette situation dramatique, nous célébrons cette année la Naissance du Seigneur : Jésus renaît dans notre histoire et dans notre vie, qui est celle de tous les temps : une histoire riche et paisible dans le dessein de Dieu, mais qui se transforme en misères, échecs, violences et mort. Pourtant, c’est précisément ce qui nous amène à comprendre le vrai sens de Noël. Que signifie pour nous que Jésus naisse et soit mis dans une crèche, qu’il devienne un enfant sans défense, qu’il se retrouve seul, parce qu’« il n’y avait pas de place pour lui dans l’auberge » (Lc 2, 6) ?

En 1933, Bonhoeffer écrivait : « Le Christ dans la crèche […]. Dieu n’a pas honte de la bassesse de l’homme ; il y pénètre, choisit une créature humaine pour instrument et accomplit des prodiges là où on s’y attend le moins. Dieu est proche de la bassesse, il aime ce qui est perdu, ce qui n’est pas considéré ou insignifiant, ce qui est marginalisé, faible et brisé. Là où les hommes disent : « perdu », il dit : « retrouvé ». Là où les hommes disent : « jugé », il dit : « sauvé ». Là où les hommes disent : « Non ! », il dit : « Oui ! » Là où les hommes détournent leur regard avec indifférence ou avec hauteur, il pose son regard plein d’un amour ardent incomparable. Là où les hommes disent : « Méprisable », Dieu s’écrie : « Bienheureux ». Là où, dans notre vie, nous nous sommes retrouvés dans une situation de profonde honte, non seulement devant nous-mêmes mais aussi devant Dieu, là où nous pensons que même Dieu devrait détourner le regard, là où nous nous sentons plus éloignés de Lui que jamais auparavant, c’est précisément là que Dieu est présent, plus proche que jamais. Il veut entrer avec force dans nos vies, nous faire ressentir Sa proximité, afin que nous comprenions le miracle de Son amour, de Sa présence et de Sa grâce » (D. Bonhoeffer, « Avvento », dans : Id., Riconoscere Dio al centro della vita. Testi per l’anno liturgico, Brescia, Queriniana, 2015, 13). Il a fallu le courage de Bonhoeffer pour réaffirmer la vérité de l’incarnation dans un monde accablé par une guerre qui, peu après, ne l’épargnera pas non plus.

Voilà le mystère de Noël, le caractère extraordinaire de la naissance de Jésus : en naissant à Bethléem, le Fils de Dieu prend notre chair, se fait pauvre, se fait serviteur, devient l’un des nôtres. Et il entre dans le monde sans défense, dépourvu de tout, dans la précarité, loin des séductions du pouvoir et dans le plus grand secret. Le Seigneur veut se rapprocher de nous, faire sienne toute notre condition. Jésus accueille notre histoire, malgré sa mesquinerie, sa misère, son mépris ; il la prend sur lui, l’accepte, l’aime et la rachète : parce que l’on ne peut racheter que ce qu’on aime vraiment. Noël est donc le signe le plus éclatant d’un salut donné à ceux qui en étaient incapables : une salvation à perdre.

 

Le nouveau temps

Ignace d’Antioche écrit, dans la Lettre aux Éphésiens : « Lorsque Dieu s’est manifesté sous forme humaine pour une nouveauté de vie éternelle […] ce qui avait été décidé depuis longtemps a commencé » (19,3). Et la Lettre à Diognète complète : « Vint alors le temps que Dieu avait préétabli pour manifester sa bienveillance et sa puissance […] et Lui-même a livré son propre Fils en rançon pour nous, le saint pour les criminels, le innocent pour les coupables, le juste pour les injustes, l’incorruptible pour les corruptibles, l’immortel pour les mortels » (9,2).

La venue du Seigneur a marqué le temps que nous vivons, avec une nouveauté absolue : c’est le temps final qui nous prépare à la vie future. Toute l’histoire humaine, et pas seulement celle d’Israël, est une préparation à la nouveauté que Dieu a accomplie « dans la plénitude des temps » (Ga 4, 4). Ce n’est pas un hasard si la naissance de Jésus marque un écart entre un avant et un après, entre le passé et le présent, et que les années sont comptées à partir de la naissance de Jésus, car depuis lors tout est vraiment devenu nouveau : l’histoire, la vie, les relations humaines, le présent et le futur.

Or, ce que proclamait l’ancien sage Qohelet n’est plus vrai : « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil » (Qo 1,9). Et pas davantage ce que les premiers philosophes grecs affirmaient avec leur théorie du retour éternel de toutes choses. La nouveauté absolue de l’histoire est que Noël a transformé le monde, il a profondément marqué la vie et le temps. Jésus « est la lumière des hommes ; [il est] la lumière qui brille dans les ténèbres » (Jn 1, 4-5). C’est vrai que les ténèbres ne l’ont pas reconnue, mais elles n’ont pas non plus réussi à l’accabler. Pour une humanité ressuscitée par un Dieu venu « planter sa tente parmi nous » (Jn 1, 14), Il ne peut pas ne pas y avoir un demain, l’espérance ne peut pas disparaître. Le Seigneur Jésus, pauvre comme nous, voyageur comme nous, sur un chemin semblable au nôtre, chargé de fatigues et de souffrances, de déceptions et de découragement, donne un sens à notre précarité, à notre inutilité, à notre néant, pour qu’un nouveau chemin de confiance, de dialogue, de sérénité et de paix puisse s’ouvrir dans le monde.

C’est seulement dans cet esprit que nous pourrons vivre notre Noël, un troisième Noël de guerre, d’une guerre qui, loin de s’achever, ne cesse de s’intensifier, éclatant avec une violence particulière et se concentrant désormais sur la Terre d’Israël. C’est précisément la Terre sainte où Jésus est né, où il a vécu, où il a annoncé l’Évangile, où il a passé sa vie, où il a été crucifié et est ressuscité pour sauver l’humanité. Ce n’est sans doute pas un hasard si Bethléem se trouve en territoire palestinien et Nazareth, en Israël, est habitée par des Arabes : située au nord, en Haute Galilée, à l’extrémité du plateau du Golan syrien, on y voit de loin la frontière libanaise. Or, c’est le pays où Jésus a vécu en silence et travaillé caché pendant 30 ans. La terre de Jésus est en feu, et ce serait vraiment un miracle si le prochain Noël pouvait être célébré avec une trêve, avec un « cessez-le-feu », comme cela s’est déjà produit avec le Hezbollah, en signe de bonne volonté, « pour que – comme nous le demandons dans la liturgie – les ennemis enfin se parlent, les adversaires se tendent la main, des peuples qui s´opposaient acceptent de faire ensemble une partie du chemin. […] si le désir de s´entendre l´emporte sur la guerre, si la soif de vengeance fait place au pardon, et si l´amour triomphe de la haine » (Missel romain, Préface de la prière eucharistique de réconciliation II). Prions donc pour que le sens profond de l’humanité, inscrit en chaque personne, soit redécouvert, et surtout pour que nous renouions avec la fraternité qui définit notre condition d’enfants du Père céleste, le Père de tous.

 

L’annonce aux bergers

Dans cette situation particulièrement menaçante et sombre, résonne une nouvelle fois l’annonce de joie et de paix adressée aux bergers. L’ange apparaît et leur dit : « N’ayez pas peur : voici, je vous annonce une grande joie […] : aujourd’hui, dans la ville de David, est né pour vous un Sauveur, qui est le Christ le Seigneur » (Lc 2,10-11). Aussitôt, une multitude de l’armée céleste apparaît louant Dieu : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre entre les hommes qu’Il aime » (Lc 2, 14).

« N’ayez pas peur » est le premier mot de l’ange. Malgré tout ce qui se passe, l’essentiel est d’avoir la foi, de ne pas se laisser envahir par la peur, car il y a aussi l’annonce d’une « grande joie ». Que pourrait signifier pour nous aujourd’hui une telle annonce ? Ne serait-ce pas une évasion de la douloureuse réalité qui nous menace ? L’Église a malgré tout le courage de proclamer, ici et maintenant, que l’espérance de vivre Noël de manière chrétienne ne doit pas faillir, que c’est un don et un engagement auquel nous devons rester ouverts, même si notre vie est destinée à être une attente continue, un avènement qui semble sans fin, une prière encore en attente d’une réponse.

Malheureusement, au fil du temps, la célébration de Noël a largement perdu son vrai sens, pour devenir une fête laïque de famille, presque un anniversaire – comme l’a défini le pape François – « victime du commerce et du consumérisme » (« Audience des artistes » du 16 décembre 2023). Parfois, il y a un gaspillage qui semble offensant pour la pauvreté et la souffrance de tant de personnes. Ce n’est pas Noël. Puissions-nous, à travers la situation dramatique que nous vivons, redécouvrir le sens profond de Noël : un Dieu qui, pour nous, choisit de devenir pauvre, enfant, sans défense

 

« Le Verbe s’est fait chair »

Deux textes bibliques définissent la vérité de Noël. Le premier, déjà évoqué, est celui de Jean : « Le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 14). Le second est de Paul : « Lorsque vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, […] afin que nous recevions l’adoption comme fils » (Ga 4, 4-5). Voici l’incarnation : Jésus a pris non seulement ce qu’il y a de grand et de beau chez l’homme, mais aussi ce qui, en lui, est petit, pauvre, misérable, faillible et honteux. Il a aussi enduré la faiblesse, l’impuissance, les conséquences du péché, et même une mort humiliante, infligée comme celle d’un criminel. Le Seigneur a tout pris de l’homme hormis le péché, car il est la rébellion contre Dieu et crée toujours la division. Pourtant, dans le baptême au Jourdain, il s’est mis parmi les pécheurs pour être proche de nous en tout.

« Bien qu’il fût dans la condition de Dieu, […] il s’est vidé » (Ph 2,6) : il s’est anéanti, « devenant obéissant jusqu’à la mort, jusqu’à la mort sur la croix » (Ph 2,8). C’est la vérité de Noël, le sacrement de notre salut, le signe de l’« Emmanuel », le Dieu avec nous, le Dieu proche, qui marche avec nous et à nos côtés, et partage non seulement notre joie, mais aussi notre souffrance avec tout ce qu’elle a de dramatique. Voilà pourquoi – et ceci la grande vérité de Noël – nous ne sommes pas seuls, nous ne vivons pas, nous ne souffrons pas, nous ne mourons pas seuls, parce que le Seigneur Jésus est avec nous. Forts de cette conviction, préparons-nous alors à vivre avec confiance la célébration de Noël dans le recueillement, la prière, l’espérance et la paix du cœur.

Que Marie, Mère de Jésus et de Noël, intercède pour nous auprès de son Fils afin qu’il nous donne la paix !

Nous souhaitons à tous nos abonnés et lecteurs un Saint Noël et une Nouvelle Année pleine d’espoir, de paix et de fraternité.

 

La Civiltà Cattolica