NOËL DANS UN CONTEXTE DIFFICILE
Published Date:23 décembre 2022
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Le Noël que nous célébrons cette année nous trouve en état de guerre, au bord d’une situation dramatique où on détruit, tue, meurt. Une fureur incontrôlée s’abat sur les hommes et les femmes ensevelis sous les décombres de leurs maisons, sur les personnes âgées perdues et sans soutien ni assistance, sur les enfants bouleversés dans leur quotidien innocent.

À l’écart, mais impliqués émotionnellement, nous sentons le danger frapper à notre porte : les conséquences du conflit nous atteignent et pèseront lourdement, notamment sur les franges les plus faibles de la population. Ce sont des réalités qui nous renvoient des décennies en arrière, dans un passé lointain que nous pensions définitivement avoir laissé derrière nous.

Pourtant, le Seigneur Jésus naît encore une fois pour nous, dans une situation qui nous appelle plus sévèrement à nous remettre en question et à nous ouvrir à l’accueil du mystère de Noël. Comment le Créateur de l’univers peut-il s’incarner d’une façon si peu digne et pertinente ? Pourquoi a-t-il fait sienne notre chair corruptible, nos contradictions, notre péché, jusqu’au scandale de la croix ? L’unique réponse se trouve dans la contemplation du mystère de l’amour d’un Dieu qui, par amour, s’est fait enfant.

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Pour une conscience de foi, le Jésus historique est le Fils de Dieu, il est la révélation du visage du Père : à Noël, Dieu se fait homme, le Tout-Puissant qui se fait enfant, le Très-Haut qui s’humilie jusqu’à devenir un nourrisson qui a besoin de soins. Le fait que Jésus ait choisi ce chemin pour entrer dans l’histoire et devenir un homme comme nous révèle pleinement la nature de l’amour du Père pour l’humanité : un amour qui est partage, participation, communion, don, service. Comme nous le prions dans le Credo, Dieu s’incarne « Pour nous, et pour notre salut » (propter nos et propter nostram salutem) : il vient donc nous libérer : il se fait homme pour nous donner la paix à laquelle nous aspirons, pour révéler la tendresse divine et nous combler de sa bénédiction.

 

Celui attendu depuis des siècles entre dans l’histoire

L’Évangile de Luc raconte que Marie et Joseph doivent se rendre à Bethléem pour le recensement, en obéissance à l’édit impérial. Mais il n’y a pas de place pour eux dans la ville, pas même à la périphérie. Jésus naît comme n’importe quel enfant, mais dans une grotte, dans la pauvreté et la solitude : Celui attendu depuis des siècles entre dans l’histoire et ne trouve pas de gîte. Deux pauvres étrangers doivent se débrouiller dans un abri de fortune : une situation vraiment paradoxale pour un Dieu qui s’incarne.

Entre-temps, pour Marie, « le temps où elle devait enfanter fut accompli. Ainsi, elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire » (Lc 2,6-7). Comme tous les enfants, Jésus qui naît est enveloppé de langes, et son berceau improvisé est une mangeoire, où l’on met du fourrage pour le bétail.

Les langes et la crèche sont un signe pour les bergers qui se trouvent à proximité. L’événement extraordinaire leur est annoncé par un ange : « Je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » (Lc 2,10-12). Jésus, le Messie attendu, est celui qui sauve : il est le Christ, l’oint, l’oint de Dieu : il est le Seigneur, Kyrios, et à lui est donné le nom de Dieu dans l’Ancien Testament. L’ange révèle aussi la mission de cet enfant : c’est Dieu qui entre visiblement dans l’histoire des hommes pour être proche d’eux ; c’est le Seigneur qui se fait connaître d’abord aux bergers qui veillent sur le troupeau, aux personnes qui travaillent, mais qui n’ont pas une grande importance.

Si la vie chrétienne est un cheminement et une assimilation progressive à la vie du Christ, qu’est-ce que l’expérience de la pauvreté et de la solitude qui marque l’entrée de Jésus dans l’histoire indique à notre conscience ? Comment nous interroge-t-elle sur la proximité, la solidarité avec les autres, l’accueil du frère, la simplicité, la sobriété, l’essentiel dans nos vies ? Que signifie le fait qu’il se révèle à ceux qui ne comptent pas, à ceux qui sont marginalisés, à ceux qui font les travaux les plus humbles ?

 

La toute-puissance de Dieu se révèle dans la faiblesse

Le Verbe s’est fait chair et a dressé sa tente parmi nous (cf. Jn 1,14). Jean annonce l’incarnation par ces mots. Jésus a revêtu notre chair, il est devenu un enfant, c’est-à-dire un « in-fante », incapable de parler. La Parole, le Verbe de Dieu, n’a de voix que dans les gémissements d’un enfant. Telle est la réalité de l’entrée de Dieu dans l’histoire : se faire homme comme tout le monde, assumer la corruptibilité de la chair, la précarité de l’existence, la fragilité et la faiblesse d’un enfant.

Pourtant, paradoxalement, cela révèle la toute-puissance de Dieu : « Le fait d’être une puissance qui parle à travers la faiblesse indique qu’il s’agit d’une puissance divine, infinie : seul Dieu tout-puissant peut parler à travers le langage de la faiblesse. Ce langage […] n’est pas seulement une exhibition de puissance, il n’exprime pas un jeu de contrastes, mais il est la condition pour atteindre l’homme par le bas, par les racines. Le salut ne t’arrive pas de quelqu’un qui a tout et donne quelque chose, ou qui donne beaucoup de ce tout, te submergeant d’abondance : au contraire, c’est le pouvoir de quelqu’un qui se met à ton niveau, et qui, partant de ton niveau le plus bas, t’élève, te rend différent : quelqu’un qui te fait participer à sa plénitude après avoir participé à ta misère, et qui, dans cette communion affective avec une impuissance et une misère que tu connais bien, non imaginaires, subies jour après jour, te garantit la consistance réelle de cette plénitude qu’il veut partager avec toi » (S. Corradino, Il potere nella Bibbia, Rome, Acli, 1977, 4).

Noël est donc la fête de l’humiliation de Dieu. C’est ce qu’exprime clairement l’Apôtre Paul dans la Lettre aux Philippiens, lorsqu’il parle de kénose (Ph 2,7) : « s’anéantir », « se vider », se priver de la gloire divine. En venant parmi nous comme l’un de nous, Jésus a aussi accepté la pauvreté et l’humiliation de notre histoire, jusqu’aux niveaux les plus bas, voire les plus humbles : « Il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » (Ph 2,8). Jésus meurt sur la croix, innocent, comme un réfuté, un condamné, subissant le châtiment des criminels les plus proscrits. C’est le mystère de Noël qui se déploie dans la vie.

 

La lumière brille dans l’obscurité

La vie était la lumière des hommes et brille dans les ténèbres (cf. Jn 1,4-5). La vie que le Seigneur donne est la lumière pour tous les peuples du monde et illumine toute vie, donnant joie, espérance et avenir. L’humanité assumée par Jésus ne peut pas être sans lendemain : si le Seigneur s’est fait voyageur comme nous, fragile comme tout le monde, fatigué et souffrant sur un chemin semblable au nôtre, notre vie, notre souffrance, notre errance ont un sens nouveau. Il y a de la lumière et de la joie dans la vie de l’homme : pour le chrétien, la joie de vivre n’est pas une émotion parmi d’autres, mais elle a une racine théologique profonde. Dans le cœur de l’homme, il y a la joie, il y a la bonté de la création divine, il y a la beauté qui vient de Dieu, il y a la vie même de Dieu, il y a l’illumination d’en haut. Pour tout chrétien, s’ouvrir à la lumière est un engagement, une responsabilité, un devoir qui découle de l’union et de la communion avec le Seigneur et avec les frères.

Pourtant, Jean dit : « La lumière brille dans les ténèbres », car il y a des ténèbres dans le monde. Il poursuit : « Les ténèbres ne l’ont pas vaincu » (Jn 1,5). Malgré le fait que l’histoire de l’humanité et la vie même de chaque personne sont traversées par les ténèbres – les ténèbres de l’égoïsme et du désengagement, de la corruption et de l’hypocrisie –, la Parole de Dieu est pour nous une grande espérance que notre époque ne doit pas occulter. Les horreurs, les dévastations, les morts du conflit qui nous touche de si près et dont nous entendons continuellement parler, et plus encore les nombreuses guerres dans le reste du monde qui sont coupablement oubliées, ne sont pas le dernier mot de l’histoire humaine. Le Verbe qui a dressé sa tente parmi nous est Présence donnée pour toujours, parce qu’il vient du Père, et il sera avec nous « jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20).

De plus : « Mais les siens ne l’ont pas reçu ». Il n’est pas reçu parce que les yeux des hommes sont tournés ailleurs. Mais, Noël revient pour nous interroger sur notre disponibilité à l’accueillir ici et maintenant. Comment orientons-nous notre vie, comment rencontrons-nous nos frères et sœurs ? Car, si nous leur ouvrons notre cœur, nous devenons enfants de Dieu, frères de Jésus, et en lui frères de toute l’humanité. Noël est la fête de la fraternité.

 

Qui accueille le Seigneur qui est né ?

Marie et Joseph, avant tout, accueillent le Seigneur Jésus : le mystère des circonstances de cette naissance ne peut que les troubler. Pendant le voyage, ils n’ont avec eux rien de ce dont un nouveau-né pourrait avoir besoin. Ils acceptent de vivre le mystère de la volonté de Dieu dans une situation qui, de toute façon, ne les libère d’aucun des engagements et des responsabilités qui relèvent de la vie quotidienne. Ce sont des parents pauvres, comme tant d’autres, aux prises avec des problèmes qui les rendent semblables à tous les parents du monde. Cependant, ce sont des personnes à l’écoute, disponibles au plan de Dieu qui entre dans leur vie et la bouleverse. C’est le mystère de Dieu qui rend leur vie différente de celle qu’ils avaient chérie dans leur cœur.

Puis, il y a les bergers qui accueillent Jésus : des gens simples, pauvres, humbles. Des personnes sans histoire et sans droits, sans visage précis sauf celui marqué par le travail. Des personnes qui ne connaissent du monde que la couleur du ciel, l’herbe des prés, le lait des brebis, le moment de la tonte de la laine et la façon de porter un agneau nouveau-né sur leurs épaules. Pourtant, ce sont les gens qui veillent et qui accourent. Les bergers sont les premiers à découvrir le mystère de Dieu dans le Fils de Marie.

Plus tard viennent les Mages, des gens instruits, mais libres de toute présomption ; ils sont en quête. Ils connaissent les Écritures du peuple juif et savent reconnaître les signes du ciel. Ils savent surtout se mettre en route lorsqu’ils découvrent une étoile qui les guide et, après un long voyage, libres de leur science et de leur savoir, ils rencontrent, eux aussi, l’enfant qui vient de naître.

 

Se laisser transformer par le mystère de Noël

À quoi ressemblera notre prochain Noël ? Dietrich Bonhœffer, pasteur luthérien, martyr du nazisme, nous éclaire : « Dieu n’a pas honte de la bassesse de l’homme, il y entre. […] Dieu aime ce qui est perdu, ce qui est méprisé, ce qui est insignifiant, ce qui est marginalisé, faible et affligé : là où les hommes disent “perdu”, il dit “sauvé”. […] Là où les hommes détournent indifféremment ou hautainement leur regard, il pose son regard plein d’un amour ardent incomparable. Là où les hommes disent “méprisable”, Dieu s’exclame “béni”. Là où, dans notre vie, nous nous sommes retrouvés dans une situation où nous ne pouvons qu’avoir honte devant nous-mêmes et devant Dieu, […] c’est précisément là que Dieu est plus proche de nous que jamais ; c’est là qu’Il veut faire irruption dans nos vies, là qu’Il nous fait sentir son approche, afin que nous comprenions le miracle de son amour, de sa proximité et de sa grâce » (« Sermon du 3ème dimanche de l’Avent », dans : Id., Riconoscere Dio al centro della vita, Brescia, Queriniana, 2004, 12 s.).

Demandons au Seigneur Jésus, qui naît pour nous, le don d’accueillir le mystère de Noël et de nous laisser transformer par sa venue. « On vit sans pain, sans maison, sans amour, sans bonheur : on ne vit pas sans mystère. La nature humaine est faite ainsi. On ne peut pas échapper au mystère quand on est fait à l’image et à la ressemblance de Dieu » (L. Bloy, « Introduction », dans : P. Van der Meer, Diario di un convertito, Alba, Paoline, 1969, 9).

Avec mes meilleurs vœux pour un joyeux Noël.

 

La Civiltà Cattolica