MÈRE TERESA DE CALCUTA La canonisation d’une missionnaire de la charité
Last Updated Date : 4 avril 2023
Published Date:4 octobre 2017

« Un jour, en Inde, un journaliste américain, qui me regardait en train de soigner un infirme frappé de gangrène, me dit : “ Moi, je ne le ferais pas, même pour un million de dollars” – “Moi non plus je ne le ferais pas pour cette somme” lui répondis-je. Toutefois, je le fais par amour de Dieu. Ces mots frappèrent le journaliste qui comprit alors quelle force soutenait notre activité » raconte Mère Teresa.

Cette force est la foi unie à l’amour du frère, pour lequel le Christ s’est livré lui-même. Tout être humain, toute personne a sa dignité, et Mère Teresa a su la rendre même à ceux auxquels on l’avait ravie : aux pauvres, aux enfants à peine nés, aux lépreux, à ceux que l’on rejette, aux oubliés de la société, aux personnes âgées sans espérance, abandonnées dans les immondices par leurs propres enfants…

Le dimanche 4 septembre 2016, le Pape François a canonisé Mère Teresa de Calcutta, dix-neuf ans après sa mort. Elle avait été béatifiée en 2003 par le Pape Jean-Paul II. Ce n’est pas seulement le monde catholique qui connaît la sainte mais aussi le monde hindou, bouddhiste, taoïste, shintoïste, musulman et juif : nous pourrions la définir comme une sainte œcuménique, universelle, que tous connaissent et aiment.

 

Le secret de Mère Teresa

Quel est le secret de cette femme, si menue, si simple, si humble, au visage creusé et rugueux, aux mains déformées par l’arthrose ; elle parle peu, mais a fait parler le monde entier !

Jean-Paul II l’a dit : « Nous savons bien quel était le secret de Mère Teresa : elle était comblée du Christ, et considérait tous les êtres humains avec les yeux et le cœur du Christ. Elle avait pris au sérieux ses paroles : “J’avais faim et vous m’avez donné à manger… ” (Mt 25, 35). Voilà pourquoi elle ne cessait d’“adorer” comme ses propres enfants les pauvres. Son amour était concret, entreprenant ; il la poussait à se rendre là où peu avaient le courage d’aller, là où la misère était si grande qu’elle effrayait. Il n’est donc pas étonnant que les hommes de notre temps en soient restés comme fascinés. Elle a incarné cet amour que Jésus a présenté comme marque distinctive de ses disciples : “Si vous avez de l’amour les uns pour les autres, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples” (Jn 13, 35). »

Mère Teresa révéla elle-même son secret : “De sang, je suis albanaise, mais indienne de citoyenneté. En ce qui concerne ma foi, je suis une sœur catholique. Quant à ma vocation, j’appartiens au monde”. Et par “monde” elle entendait surtout les plus pauvres des pauvres, les moribonds en détresse, les mal-aimés, les assoiffés, ceux qui sont nus, privés de toit, les ignorants, les prisonniers, les estropiés, les lépreux, les alcooliques, les malades, en un mot tous ceux qui représentent un fardeau pour la société humaine, tous ceux qui ont perdu toute espérance en la vie, tous les pécheurs obstinés, au cœur dur, (…) les athées, ceux qui sont dans l’erreur, qui se trouvent en pleine confusion, en plein doute, ceux qui sont tentés, aveugles, faibles, lassés, ignorants, sur le plan spirituel ; ceux que n’a pas encore touchés la lumière du Christ, les affamés de la Parole et de la Paix de Dieu, les malveillants, les résistants, les tristes, les âmes du purgatoire. Elle concluait en comptant au nombre des pauvres “toute missionnaire de la charité car elle a accepté de vivre la pauvreté évangélique et elle est une pécheresse”.

 

Anjezë Gonxhe Bojaxhiu

Mère Teresa naquit le 26 août 1910 (mais elle disait être née le 27, jour de son baptême, à Skobje, dans la région macédonienne qui, en ce temps-là, appartenait à l’Empire Ottoman, et était la capitale du Kosovo ; elle fut baptisée au nom de Anjezë (Agnès). Agée de huit ans, elle devint orpheline de son père, Kole Honxhe Bojaxhiu, lequel fut empoisonné, car engagé dans la politique, il combattait pour les droits de la population du Kosovo qui voulait rester albanaise. Commencent alors les difficultés pour la famille : la mère devait s’occuper de ses enfants, de leur croissance et de leur éducation dans la foi catholique, en un pays à majorité musulmane. Agnès fréquentait la paroisse du Sacré-Cœur, des jésuites. Elle reçut à cinq ans sa première communion, puis la confirmation. Elle devint catéchiste et déjà alors, elle visitait et aimait les pauvres, apportant des dons aux besogneux, dons qu’elle déposait aux fenêtres des maisons ou devant la porte, afin de ne pas être reconnue, selon l’enseignement paternel. Avec la famille, elle participait au pèlerinage annuel au sanctuaire Notre-Dame de Letniça.

Là, âgée de douze ans, alors qu’elle priait Notre-Dame, elle sentit pour la première fois l’appel du Seigneur. Quelques missionnaires du Bengale étaient en contact avec la communauté albanaise, et Agnès fut frappée par leurs comptes rendus. Plus tard, elle fit connaissance de l’Institut de la Bienheureuse Vierge Marie, celui des “Sœurs de Lorette”, fondé par Mary Ward en 1609 ; la maison-mère se trouvait à Dublin. Le rameau irlandais, dès 1841, envoya des religieuses en Inde, en particulier à Calcutta, afin de soigner les enfants.

Agnès demanda d’entrer dans la Congrégation, et fut accueillie au noviciat : elle avait 18 ans. La mère reçut douloureusement la vocation de sa fille : non pas tellement parce qu’elle avait décidé de devenir religieuse, mais parce qu’elle vivrait sa vocation loin de l’Albanie. En partant, Agnès ne savait pas qu’elle ne reverrait plus sa mère ni qu’elle ne mettrait plus les pieds dans sa patrie, si ce n’est en 1989, lorsque tomba le régime de Enver Hoxha, ce dictateur qui avait proclamé l’Albanie comme “première nation du monde légalement athée”.

En 1928, Agnès commence son postulat en Irlande, et prend le nom de Teresa, en l’honneur de Sainte Thérèse de Lisieux, carmélite morte de phtisie à l’âge de 24 ans et qui, en raison de sa prière missionnaire, avait été proclamée, une année auparavant, patronne des missions. En 1929, elle est en Inde pour le noviciat et, ayant prononcé ses vœux, elle fut envoyée à Calcutta, dans la maison des sœurs « Loreto House », pour faire ses études et enseigner histoire et géographie. Sœur Teresa ne se limita pas à l’enseignement, elle rendait visite aux familles dans leurs taudis, où se trouvaient des enfants malades, moribonds, des personnes abandonnées à leur destin. Plus tard, elle devin directrice de l’école.

En 1934, elle émet ses vœux perpétuels, avec la promesse de se consacrer pour toujours au Seigneur.

 

Les missionnaires de la Charité

Le 10 septembre 1946, alors que de Calcutta elle se rendait au lieu du noviciat pour faire sa retraite, elle fut frappée par la dramatique misère des personnes rencontrées en chemin ou dans le train ; elle eut alors l’inspiration de se vouer totalement à leur service. Ce qui, ce jour-là, s’est passé, on ne l’a vu que bien plus tard, grâce à la documentation établie lors du procès de canonisation. Sœur Teresa avait eu le sentiment que le Seigneur l’appelait à une vie nouvelle, à quitter même la Congrégation des Sœurs de Lorette ; Il lui dit : « Je veux des sœurs indiennes missionnaires de la Charité, qui seraient mon peu d’amour parmi les pauvres, les malades, les moribonds, les enfants des rues ». Il y eut même des suggestions relatives à l’habit : « Tu te vêtiras de simples habits indiens, ou plutôt tu te vêtiras comme ma mère le fit : simplement, pauvrement. Ton sari deviendra sacré, car il sera ton symbole. » Aujourd’hui, les missionnaires de la Charité rappellent comment « le jour où ta mère fut inspirée », il y eut « vocation dans la vocation ».

 

Sœur Teresa confia à la Supérieure son désir de changer de vie, ce qui fut simplement considéré absurde. Même au sein de la communauté, elle rencontra hostilité et résistances. Elle en souffrit énormément, au point de tomber malade. Seuls le père spirituel, puis l’archevêque de Calcutta, perçurent l’authenticité de son nouvel appel et décidèrent de lui venir en aide. En 1948, le prélat demanda à Pie XII la sécularisation de la sœur et reçut pour réponse l’exclaustration, c’est-à-dire la permission de sortir de la communauté mais de continuer de vivre comme une religieuse en-dehors de la Congrégation. Le 25 décembre, ayant suivi un cours d’infirmière, Teresa se voua à sa vocation nouvelle : servir les plus pauvres des pauvres.

Les années d’après guerre furent difficiles en Inde, et surtout à Calcutta où se mêlaient hindous, musulmans, anglais. En 1947, les Indiens obtinrent l’indépendance du Royaume Uni ; les musulmans reçurent le Pakistan comme État autonome ; mais à cause des heurts entre hindous et musulmans, il y eut des milliers de morts, de blessés, de handicapés sans aucun logis.

 

Mère Teresa

Finalement, sœur Teresa commença à travailler dans les bas-fonds de Calcutta, à Motjil (c’est-à-dire “Perle  du lac”, employé ironiquement car c’était à côté d’un étang de boue), proche de la « Loreto House », où elle avait enseigné. Elle était seule, mais rapidement une de ses anciennes élèves se présenta pour travailler avec elle : elle prit le nom de Agnès, nom de baptême de la mère. Puis d’autres jeunes filles s’adjoignirent à elle et elles devinrent 12 en un an, nombre nécessaire pour obtenir la reconnaissance diocésaine : ainsi naquit, le premier juin 1950, la « Congrégation des missionnaires de la Charité », le nom qu’avait suggéré le Seigneur, alors que sœur Teresa priait.

C’est ainsi qu’elle devint « Mère » Teresa. Appeler « mère » une religieuse est plutôt habituel, « mais – dit une fois le Pape Jean-Paul II – cette appellation revêtait pour mère Teresa une intensité particulière. Une mère se reconnaît à la capacité de donner. Observer rapidement Mère Teresa, son comportement, sa façon d’être aide à comprendre ce que ce mot signifiait pour elle (…). Le fait d’être mère l’aidait à descendre jusqu’à la racine spirituelle de la maternité. »

Son premier rêve se réalise en 1952 : offrir une maison d’accueil aux moribonds, aux malades en fin de vie. Cette maison reçut le nom de Nirmal Hriday (« cœur pur »), à Kalighar, proche du temple de la déesse Kali (la déesse de la destruction et de la mort). En l’espace d’une semaine, dans la rue où demeuraient les sœurs, sept personnes étaients mortes sous la pluie, abandonnées de tous. Elles s’étaient efforcées de les faire conduire à l’hôpital, mais il n’y avait pas de place. C’est ainsi que moururent ces personnes, dans la boue. Le cœur de Mère Teresa était déchiré, surtout parce que, à côté des trois vœux de pauvreté, chasteté, obéissance, leur Règle comprenait un quatrième vœu : s’occuper des plus pauvres parmi les pauvres, c’est-à-dire des moribonds, de ceux que la société rejetait.

 

En Inde, à cette époque, on comptait environ deux millions de personnes fuyant le Pakistan avec leur poids de maladie et de mort. Nul ne s’en préoccupait. Et, à Calcutta, on en laissa mourir un grand nombre dans la plus effrayante misère et solitude. La sœur implora la police et l’Office sanitaire de Calcutta afin d’obtenir pour eux un lieu d’accueil. Il y eut le cas retentissant de la mort d’un jeune homme abandonné dans un quartier riche: il avait été conduit en ambulance à l’hôpital, mais comme il n’y avait pas de place, il fut reconduit sur le trottoir, où il mourut. Alors, on confia à la sœur une petit habitation abandonnée qui servait aux pèlerins visitant le temple de Kali. Rapidement la petit maison était bondée : pour Mère Teresa, ce fut toujours le « premier amour ».

Les protestations des habitants du quartier, ainsi que des jeunes, ne manquèrent pas : ils voulaient en chasser les sœurs. Alors, l’Office sanitaire prit la situation en main : oui, il promettait de chasser les sœurs, mais à une condition, c’est que les habitants du quartier s’engagent à remplacer les sœurs par des volontaires et des infirmières. Il n’y eut aucune réponse… À la fin de 1977, année du décès de Mère Teresa, ont passé sur ces grabats environ 67.000 personnes, et environ 28.000 sont mortes avec l’assistance des religieuses.

Bien souvent, Mère Teresa a rapporté le fait d’un homme qui, avant de mourir, lui avait demandé si Jésus était comme elle…, puis elle racontait : « Jamais je n’oublierai comment je recueillis un jour cet homme de la rue. Il était couvert de vermines. Seul son visage en était épargné. Je le portais à Nirmal Hriday, et il me dit une seule phrase : ”mère, j’ai vécu ma vie entière sur la rue, comme un animal ; me voilà mourant comme un ange, aimé, soigné (…)”. J’ai sentit combien il était heureux d’être aimé, d’avoir été désiré, aimé, d’être quelqu’un pour quelqu’un ».

Par ailleurs, la personne à contacter était désignée avec précision par la sœur : était-il moribond, hindou, musulman, anglais, catholique, car les dernières volontés y compris les volontés religieuses doivent être respectées. Elle avait une totale conviction que le Seigneur était mort pour tous et que le salut – fût-ce de façon mystérieuse – était accordé à toute personne. Pareil comportement religieux ne fut pas bien vu, et lui valut de nombreuses incompréhensions, mais elle tenait bon : « Je l’ai toujours dit : nous devons aider un hindou à devenir un meilleur hindou, un musulman un meilleur musulman, un catholique un meilleur catholique (…). Dieu agit à sa manière dans le cœur des hommes (…). Nous ne devons ni juger ni condamner… L’unique chose qui compte est que nous l’aimions. »

En 1986, le Pape Jean-Paul II rendit visite à Nirmal Hriday : « Je rends grâce à Dieu de ce que ma première visite à Calcutta fut l’ashram Nirmal Hriday, lieu qui donne témoignage au primat de l’amour.

 

Les enfants et les lépreux

En 1995, Mère Teresa ouvrait la Shishu Bhavan (« maison des enfants abandonnés »), quatre ans plus tard, elle inaugurait le centre pour lépreux Prem Niva. Plus tard, la structure sera dédiée à Gandhi, le jour anniversaire de sa naissance (106 ans). Mère Teresa admirait le leader hindou parce qu’il avait comparé « le service des pauvres à l’amour de Dieu ». En même temps, se déployait la première communauté hors de Calcutta, puis dans tout le pays. Après dix ans, les sœurs commencèrent à se développer dans le monde entier. Elle appelait ses maisons d’accueil, des « tabernacles », car elles offraient l’hospitalité à ceux qui rendaient présent le Seigneur, selon Mt 25,40 : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ».

Au cours des années 1968-1975, s’est opérée une grande expansion des missionnaires de la Charité dans d’autres parties du monde. De préférence, dans les régions les plus pauvres, ou là où se trouvaient des pauvres abandonnés, et sur requête de l’Évêque.  À Rome, s’ouvrirent plusieurs maisons dont une, au Vatican, appelée « Don de Marie ». À New-York aussi est apparu un centre pour malades du SIDA. D’autres maisons de la mission ont été fondées dans l’Union Soviétique, en Albanie et à Cuba.

Mère Teresa réussit même à ouvrir une maison au Yémen, pays entièrement musulman. En ce cas, les sœurs se virent refusé le port de la croix et la prière du rosaire en public. Mère Teresa protesta énergiquement : « La croix que nous portons est notre signe… signe visible de notre dévouement. Nous lui appartenons». Alors, on leur permit même de prier le rosaire publiquement. En 1971, à Belfast, dans une des si nombreuses fondations, un épisode particulier révéla clairement la fermeté de Mère Teresa. L’Évêque lui avait demandé l’ouverture de missionnaires. Par la suite, il apprenait que des sœurs anglicanes collaboraient avec les religieuses, ce qui ne plut pas à l’Évêque ; il informa la supérieure que n’était pas vraiment nécessaire cette étroite collaboration : « l’Église catholique avait beaucoup de religieuses… » Excellence, répliqua Mère Teresa, me voici très heureuse d’apprendre que vous avez beaucoup de religieuses disponibles. Aussi, mes sœurs s’en iront demain matin ».

 

Elle fit preuve de la même clarté en une autre circonstance. On voulut lui faire un don d’échéances régulières pour ses œuvres. Elle refusa ce genre d’aide car, de son côté, elle avait la Providence, qui ne lui faisait jamais défaut. Tandis que les assurances humaines, aussi saintes soient-elles, engendrent des dépendances et, de plus, elles empêchent de se confier à la prière et au Seigneur. En 1987, aux États-Unis, le Conseil d’administration de l’ordre des cavaliers de Colomb accorda un don, à vie, de 10.000 dollars mensuels : tant ils admiraient l’œuvre qu’elle dirigeait, ils voulaient la soutenir. La Mère ne reçut pas le don, elle le renvoya personnellement. Elle remercia, ajoutant qu’elle ne pouvait pas l’accepter, car ses sœurs dépendaient jour après jour de la Providence. Sa plus grande richesse était sa pauvreté. Et, pour conclure elle s’adressa à l’Administrateur en lui disant : « Plutôt que de l’argent, envoyez-nous vos cavaliers et les membres de vos familles, qu’ils viennent partager, un moment de la journée, le sort des pauvres parmi les pauvres, qu’ils leur donnent la main pour apaiser les souffrances des infirmes, et distribuer de la nourriture chaude à qui a faim ».

Certains s’imaginaient que l’œuvre des missionnaires était quelque chose de semblable à de l’assistance sociale. Là encore, la réponse de la Mère fut lapidaire : « Nous ne sommes pas des assistantes sociales. Nous sommes contemplatives au cœur du monde. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre nous sommes avec Jésus. »

Le premier devoir de chacune des missionnaires est la prière qu’elles célébraient avant l’aube, préparant la célébration de l’Eucharistie, point cardinal de leur journée. La communion avec le Seigneur leur dispense la force du don à porter aux frères. Dans leur chapelle s’élève, à côté du crucifix, le cri du Jésus : « J’ai soif ». Cela rappelle aux sœurs qu’elles sont appelées à calmer la soif infinie d’un Dieu fait homme.

Aujourd’hui, dans le monde, les missionnaires sont environ 5.300, avec 758 demeures, et œuvrent dans 132 pays.[1]

Mère Teresa reçut de nombreux prix de reconnaissance[2]. Elle ne les reçut que pour ses pauvres. Le plus prestigieux fut le Prix Nobel pour la paix, qu’elle reçut le 10 décembre 1970. Ce fut une surprise, et beaucoup se demandaient quelle en était la raison : qu’a-t-elle fait pour la paix dans le monde ? Mère Teresa a fait énormément pour la paix, ayant dépensé sa vie au service des plus pauvres de la terre, leur rendant la dignité humaine, grâce à son accueil et à sa proximité.

Voici les trois points fondamentaux présentés à Oslo par Mère Teresa : 1) « Sans le sacrifice et l’amour, la vie n’a plus de sens ». 2) « seul l’amour sauvera le monde » ; 3) « Les œuvres d’amour sont œuvres de paix ». « Il existe tant de souffrances, tant de haines, tant de misères, c’est pourquoi il nous faut commencer dans nos logis par le sacrifice et la prière. (…) L’amour naît à la maison, car l’important n’est pas ce que nous faisons mais avec combien d’amour nous agissons. (…). Lorsque je viens en aide à un pauvre qui a faim, je le libère par un plat de riz ou un morceau de pain. Mais les marginaux, les exclus, les mal-aimés, les personnes mises au banc de la société humaine, vivent une pauvreté douloureuse et ardue. Les sœurs en Occident vivent au milieu de ces gens-là. (…). Cela nous pouvons tous le faire, vous et moi. C’est un don de Dieu que de pouvoir partager notre amour avec les autres. Pouvoir le faire nous vient de Jésus ».

Dans son discours, elle eut le courage d’évoquer l’avortement : à ses yeux, c’est là le moyen de détruire la paix. « Si une maman peut tuer son propre enfant, qui m’empêche alors de te tuer, qui t’empêche de me tuer ? ». Une fois, voulant parler du respect dû aux pauvres, elle raconta quelque chose qui peut nous éclairer. Elle voulait donner une couverture à un lépreux pour le protéger du froid. Mais, au contraire, ce fut le pauvre qui donna à la Mère  « l’en-cas » de sa journée : « Les gens m’ont dit que vous allez vous rendre en Norvège pour recevoir je ne sais quel prix. J’ai décidé, ce matin, que quelle que soit la somme reçue en demandant l’aumône, je vous la donnerai ce soir. Voilà pourquoi je me trouve ici ». Dans son petit plateau il avait 75 centimes : le don était petit, mais il se trouve encore sur le bureau de la sœur, car il révélait la générosité d’un cœur humain.

Revenant d’Oslo, elle passa par Rome ; un journaliste lui demande ce qu’elle aurait voulu faire avec ses œuvres. Une fois qu’elle ne serait plus, le monde redeviendra comme auparavant, un océan d’eaux fangeuses et malsaines. Après tant de fatigues qu’aurait-elle réussi à changer ? Loin d’être troublée par la question, Mère Teresa répondit avec un sourire : « Je n’ai jamais prétendu changer le monde, j’ai seulement essayé d’être une petite goutte d’eau limpide où puisse briller l’aimable visage de Jésus. Cela vous semble-t-il peu de chose ? Cherchez, vous aussi, à être une goutte d’eau limpide, ainsi nous serons deux ».

 

La foi et la nuit obscure

Au cours du procès de béatification, une page inédite de sa biographie est apparue. En 1958, Mère Teresa écrivait à l’archevêque de Calcutta que son sourire recouvrait un drame : son sourire était « un grand manteau qui cachait d’innombrables douleurs ». Que désignait-elle par « innombrables douleurs » ? On ne l’a jamais su, si ce n’est quarante ans plus tard, lorsque, au cours du procès, furent publiées les lettres adressées à son guide spirituel, le P.Van Exerm et à d’autres prêtres auxquels se confiait Mère Teresa.

Après les consolations dont elle avait été gratifiée lors de la « vocation dans la vocation », Mère Teresa vécut la « nuit obscure ». Les lettres ont révélé ses souffrances les plus intimes, dans toute leur profondeur déchirante : « ”Elle souriait toujours”, ainsi s’exprimaient les sœurs et d’autres personnes. Elles s’imaginent que ma foi, ma confiance, l’amour remplissaient tout mon être et que l’intimité avec Dieu, l’union à sa volonté occupaient pleinement mon cœur. Si elles savaient… »

Pendant très longtemps l’existence de Mère Teresa fut marquée, jusqu’à sa mort, par l’aridité spirituelle, la souffrance intérieure, par le sentiment de vivre éloignée de Dieu et de n’en expérimenter que l’absence. « Dans mon âme, je sens vraiment la terrible souffrance d’être perdue, de ne pas être voulue par Dieu, que Dieu n’est pas là, Dieu, que Dieu n’existe pas en réalité (Jésus, je t’en prie, pardonne mes blasphèmes, mais on m’a demandé de tout écrire). Cette obscurité m’enserre de tout côtés. Je ne parviens pas à élever mon âme vers Dieu. Aucune lumière, aucune inspiration ne pénètrent en mon âme. » Teresa avait souci des abandonnés, des mal-aimés, des rejetés, des privés de soin. Et voilà qu’elle faisait l’expérience dramatique d’être elle-même la non-aimée, la privée de soin, la rejetée… Elle éprouvait désespérément que Dieu ne la voulait et ne l’aimait pas. C’était « la nuit obscure de l’esprit et de la vie ».

Après la publication de ces révélations, son expérience spirituelle fut mal interprétée par les moyens de communication : certains journaux soutinrent même que Mère Teresa était « athée » et qu’elle ne croyait plus en l’existence de Dieu. En fait il ne s’agissait nullement d’une crise de foi, mais du vide de la présence du Seigneur, de la non perception de l’amour et de la consolation de Dieu. Ainsi vivait-elle la même épreuve, le même drame que les pauvres et les abandonnés. En vérité, elle demeura fidèle à la vocation à laquelle l’avait appelée le Seigneur. Les épreuves et les heures de désillusion la purifièrent, et même si la prière était pénible et semblait vide, elle cheminait avec peine et de façon imprévisible vers la sainteté.

Ces lettres mirent en lumière son expérience mystique, mais révèlent aussi la réelle profondeur à laquelle peut conduire la foi. Mère Teresa n’est pas seulement la sainte des pauvres, mais encore une grande mystique du christianisme contemporain.

 

Le courage de Mère Teresa

Dans l’introduction d’un livre écrit sur Mère Teresa, le Pape François a souligné le courage, qu’il présente en cinq points.

Tout d’abord, une réalité caractéristique fondamentale : la prière, l’union avec le Seigneur. L’Eucharistie est pour elle « la source de l’Amour », c’est-à-dire Jésus crucifié et ressuscité. Les missionnaires de la Charité commencent la journée en participant à la messe ; elles l’achèvent avec l’adoration eucharistique : elles en puisent la force d’assister les plus pauvres d’entre les pauvres, « les mal-aimés, les rejetés », et elles le font avec un cœur plein de joie. Dans le pauvre, le Seigneur Jésus est présent car, dit-il, « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt. 25, 40).

 

Puis : la charité. « Ce qui veut dire se rendre tout proche des périphéries des hommes et des femmes rencontrés aujourd’hui, éprouver de la compassion pour ces tout misérables dans leur corps, ou dans leur esprit – et on ne peut éprouver de la compassion que si les besoins, les blessures de l’autre sont accueillis dans mon cœur – être témoins de la caresse de Dieu sur toute blessure de l’humanité ».

 

La troisième caractéristique est la miséricorde active qui s’exprime dans les œuvres de miséricorde corporelle et spirituelle. En cette Année jubilaire, nous avons l’occasion de réveiller notre conscience devant le drame de pauvreté, et « de pénétrer toujours davantage dans le cœur de l’Évangile, là où les pauvres sont les privilégiés de la miséricorde divine ». Les œuvres de miséricorde constituent l’attestation de notre être comme témoins de l’Évangile, et de notre manière de vivre en disciples du Seigneur.

 

Une autre caractéristique marquant la vie de Mère Teresa est la famille. Le bien de la famille lui tenait à cœur, sa présence et sa figure de « mère » soulignent l’attention qu’elle lui portait. Elle disait souvent : « Les mamans sont le cœur de la maison, ce sont elles qui façonnent la famille, acceptant les enfants avec amour et prenant soin d’eux avec amour (…) Beaucoup de souffrances des jeunes proviennent de la vie en famille (…) C’est la mère qui fait de la maison un nid d’amour. Être mère peut parfois devenir une expérience difficile, peut être une croix, mais nous avons avec nous la Vierge, la meilleure des mamans, qui nous apprend à conduire nos enfants ».

 

Enfin, une invitation aux jeunes, que le Pape renouvelle reprenant ce qu’il avait dit lors de sa visite en Albanie, le plus jeune des pays d’Europe : «  Je m’adresse à vous, les jeunes (…) Je vous invite à fonder votre existence sur Jésus-Christ, sur Dieu. Qui construit sur Dieu, construit sur le roc, car lui, il est toujours fidèle ».

 

En conclusion, il fait l’éloge du courage de la sainte s’adressant aux jeunes : « soyez courageux comme Mère Teresa ».

 

 

[1] Mère Teresa a également fondé en 1963 les Frères missionnaires de la Charité, en 1976, la branche contemplative des Sœurs ; en 1979, les Frères contemplatifs et en 1984, les Pères missionnaires de la Charité.

[2] Rappelons parmi eux, le prix Bharat Ratna (« Perle des Indes ») en 1980, la plus haute distinction indienne, accordée auparavant à Jndira Gandhi.

 

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