Un signe de tendance
La proposition dans les lignes directrices de la Commission européenne, publiées le 29 novembre, de supprimer un certain nombre de termes afin de permettre une « communication correcte » a beaucoup fait parler[1]. Parmi ces termes, le souhait de « Joyeux Noël » devrait être remplacé par « Joyeuses fêtes ». C’est le signe d’une tendance plus générale à effacer de tout le continent ce qui ne semble pas correspondre à ce que l’on croit être le sentiment commun : pensez aux tentatives de réécrire l’histoire, de corriger les scénarios de films, les romans, parce qu’ils sont considérés comme politiquement incorrects. Pourtant, à la différence de la démolition de monuments ou de la censure de circonstances, il est significatif que le document, même s’il a été rapidement retiré, émane d’un organe directeur institutionnel : il s’agit d’une initiative visant à imprimer une direction de comportement précise.
Cette décision soulève un certain nombre de questions. Par exemple, qui est en mesure de décider, dans un bureau, des caractéristiques qu’une culture conforme à la « communication correcte » devrait avoir ? Et quelles caractéristiques devrait-elle avoir dans une société qui devient de plus en plus stratifiée et complexe ? Effacer les différences et les traditions historiques qui ont contribué à former l’identité d’une nation, d’un continent, conduirait à la dictature de la « pensée unique », qui est la pensée de la mode du moment.
L’identité de l’Europe est le fruit d’une imbrication lente et variée de différentes traditions : gréco-romaine, judéo-chrétienne, des Lumières, romantique. Comme le note Paul Ricœur, ces traditions ont avant tout été des espaces d’accueil, d’intégration et de stabilité[2]. Cette diversité, reconnue et acceptée, est la condition authentique du dialogue, car une culture est structurellement ouverte aux autres cultures, dont l’imbrication contribue en fait à sa formation. C’est un processus similaire à ce qui se passe dans la genèse d’une langue, qui comporte la présence d’autres langues qui ont marqué son parcours : l’italien a des termes qui viennent du latin, du grec, de l’arabe, de l’anglais et du français. De plus, chaque langue est structurellement ouverte à d’autres langues, qui peuvent être apprises à partir de la langue maternelle.
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[1] Cf. « Ue, polemica su nuove linee per la comunicazione inclusiva : la Commissione le ritira » : https://tg24.sky.it/mondo/2021/11/29/natale-ue-nuove-linee-comunicazione.
[2] Cf. P. Ricœur, « L’Europa e la crisi della coscienza storica », Vita e Pensiero, nº 6, 2017, 9.
[3] Cf. M. Cacciari, « L’invenzione dell’individuo », Micromega, nº 8, 1996, 121-127.
[4] Cf. P. Ricœur, art. cit., 7 s ; R. Koselleck, Futuro passato. Per una semantica dei tempi storici, Bologna, Clueb, 2007, 304 s.
[5] A. Singh, « Neil MacGregor : why Britain stands alone when it comes to religion », The Telegraph, 11 octobre 2017.
[6] U. Eco, « Perché l’Iliade e non la Bibbia ? », L’Espresso, 10 septembre 1989.
[7] « J’ai lu je ne sais où les merveilles de ce livre, comme un document de haute éloquence et, attiré par le sujet de mes leçons, j’ai jeté les yeux sur le livre de Job. J’étais terrifié. Je n’ai rien trouvé dans mon érudition classique de comparable à cette grandeur […]. Avec l’exagération des néophytes, nous avons oublié nos classiques, même Homère, et pendant plusieurs mois on n’a entendu que la Bible. Il y avait quelque chose – je ne sais pas quoi – de solennel et de religieux dans notre impression, qui élevait les esprits […]. Je m’étonne que dans nos écoles, où l’on lit tant de choses frivoles, une anthologie biblique n’ait pas pénétré, très apte à maintenir vivant le sentiment religieux, qui est le même que le sentiment moral dans son sens le plus élevé… » (F. De Sanctis, La giovinezza, Milan, Garzanti, 1981, 192 s).
[8] N. Frye, Il grande codice. Bibbia e letteratura, Milano, Vita e Pensiero, 2018, 3 s.
[9] B. L. Pasternak, Il salvacondotto, Florence, Passigli, 1990, 127 ; Cf. P. Boitani, Rifare la Bibbia. Ri-Scritture letterarie, Bologne, il Mulino, 2021.
[10] Cf. M. Granieri – L. Miele, Il vangelo secondo il rock, Turin, Claudiana, 2018.
[11] Cf. M. Rizzi, « Il romanzo dell’uomo s’intitola Bibbia », Corriere della Sera/La Lettura, 19 décembre 2021. Voir E. Bianchi – M. Cucca – L. Monti (éds), Bibbia, Torino, Einaudi, 2021.
[12] A. de Botton, Del buon uso della religione. Una guida per i non credenti, Parme, Guanda, 2011, 11.
[13] Cf. C. M. Martini, Per una Chiesa che serve. Lettere, discorsi, interventi 1993, Bologna, EDB, 1994, 460.
[14] S. Zurlo, « Natale non è solo dei cristiani. In ballo c’è la nostra civiltà », Il Giornale, 30 novembre 2017 ; C. Nardini (éd.), Il Natale. Arte e letteratura, Firenze, Nerbini, 2011.
[15] « L’enfant dans la crèche révèle la condition d’abandon dans laquelle nous nous trouvons tous depuis notre origine. Le destin de l’enfant Jésus est déjà écrit et c’est de mourir sur la croix. Cependant, ce destin mortel n’annule pas la nécessité de prendre soin de la vie qui vient au monde mais, au contraire, la renforce. Sa fragilité montre que ce qui rend la vie humaine, c’est la grâce de l’attention qui l’entoure, la chaleur du contact, la présence de l’autre, le don. N’est-ce pas là la leçon la plus importante de la fête de Noël, qu’à l’époque atroce et sans précédent de la Covid, nous devrions apprendre à retenir avant toute autre chose ? La vie des impuissants est celle d’un Dieu étrange qui a besoin de soins pour survivre. Voilà le formidable paradoxe de la fête chrétienne de Noël ! Sa signification sacrée insiste pour nous rappeler le geste fondamental de l’accueil, sans lequel la vie ne devient pas humaine mais se précipite dans l’abandon absolu » (M. Recalcati, « Istruzioni per un altro Natale », La Repubblica, 22 décembre 2020).
[16] A. Singh, art. cit.
[17] Ch. de Pechpeyrou, « Macron alla conquista dei cattolici francesi », Oss. Rom. (www.osservatoreromano.va/it/news/macron-alla-conquista-dei-cattolici-francesi), 10 avril 2018.
[18] Cité dans « Unholy Row on God’s Place in EU Constitution », Christian Century, 5 avril 2003.
[19] E. W. Böckenförde, La formazione dello Stato come processo di secolarizzazione, Brescia, Morcelliana, 2006, 68 s ; Cf. G. Cucci, « La giustizia. Una virtù scomoda », Civ. Catt. 2021 III 121-133.
[20] http://rowanwilliams.archbishopofcanterbury.org/articles.php/1179/religion-culture-diversity-and-tolerance-shaping-the-new-europe-address-at-the-european-policy-centr.html.
[21] Cf. Jean-Paul II, Lettre apostolique Tertio Millennio Adveniente, 10 novembre 1994, nos 34-35. Comme le notait l’écrivain huguenot François de La Noue : « Si l’on demande qui a produit une telle race [d’athées], il ne sera pas inexact de répondre que ce sont nos guerres de Religion, qui nous ont fait oublier la religion » (F. de La Noue, Discours politiques et militaires, Genève, Pierre et Jacques Chouët, 1613, 8).
[22] B. Gregory, Gli imprevisti della Riforma. Come una rivoluzione religiosa ha secolarizzato la società, Milan, Vita e Pensiero, 2014, 184. Comme le note Paul Gilbert : « Les grands philosophes de la première modernité étaient des chrétiens plus ou moins convaincus ; les penseurs de la seconde modernité le sont beaucoup moins ; certainement agnostiques et athées, ils ont même tenté d’exiler l’Église de la vie sociale » (P. Gilbert, « Prefazione », Id. [éd.], L’uomo moderno e la Chiesa, Rome, Gregorian & Biblical Press, 2012, 5).
[23] P. Berger – G. Davie – E. Fokas, America religiosa, Europa laica ? Perché il secolarismo europeo è un’eccezione, Bologne, il Mulino, 2010, 19. Pour une réflexion sur ce thème, voir G. Cucci, Religione e secolarizzazione. La fine della fede ?, Assise (Pg), Cittadella, 2019.
[24] Cf. J. Habermas, « I fondamenti morali prepolitici dello Stato libérale », dans : J. Habermas – J. Ratzinger, Etica, religione e Stato liberale, Brescia, Morcelliana, 2005, 38 s.
[25] Cf. F. Beretta, « Nasce « Alleanza per Roma » : Stato e Chiesa uniti per ridare dignità ai « nuovi » poveri », Il Faro(www.ilfaroonline.it/2020/06/12/nasce-alleanza-per-roma-stato-e-chiesa-uniti-per-ridare-dignita-ai-nuovi-poveri/345214), 12 juin 2020.
[26] Cf. G. Cucci, Altruismo e gratuità. I due polmoni della vita, Assise (Pg), Cittadella, 2015.
[27] « Les scientifiques et les dirigeants politiques en faveur de l’action climatique ont à juste titre exprimé leur gratitude et leur admiration pour le geste audacieux du pape François. Compte tenu de l’autorité morale du pape et de sa popularité croissante – et pas seulement parmi les catholiques –, ses paroles pourraient aller plus loin que les rapports scientifiques objectifs d’organismes tels que la Commission européenne l’Intergovernmental Panel on Climate Change (Ipcc). Ces tomes ont tendance à déborder de jargon et sont lus par relativement peu de personnes » (« Hope from the Pope », Nature, vol. 522, 2015, 391).
[28] J. Casanova, Oltre la secolarizzazione. Le religioni alla riconquista della sfera pubblica, Bologne, il Mulino, 2000, 415.