LES GILETS JAUNES : LES RAISONS DE LA COLÈRE
Last Updated Date : 5 février 2021
Published Date:17 juin 2020

Initié le 17 novembre 2018, le mouvement dit des ‘gilets jaunes’ a pris une ampleur considérable en France et a même suscité des imitateurs à l’étranger. En effet, au-delà d’un aspect assez étroitement conjoncturel, il révèle un malaise beaucoup plus profond et qui dépasse largement le cas français. C’est ce qu’observe la Conférence Episcopale dans sa courte déclaration du 11 décembre : la crise est « révélatrice d’un malaise très profond et très ancien, qui engendre une grave défiance envers les responsables politiques »[1].

Même s’il faut toujours rappeler que chaque pays a ses spécificités et son histoire propre, les sentiments d’inquiétude et d’angoisse des milieux populaires, en Europe comme en Amérique du Nord, sont une constante de ces dernières années. Ils sont à la source de ce que l’on appelle communément le populisme, avec toute l’ambiguïté que ce terme péjoratif porte avec lui. Il n’est donc pas ridicule de faire des analogies entre l’électorat du Brexit au Royaume-Uni, l’électorat de la Lega en Italie, celui de l’AFD en Allemagne et, surtout, celui qui a porté au pouvoir le président Trump aux États-Unis. Manifestement, les raisons de cette colère sont variées et ont des origines profondes. Que peut-on en dire alors que le mouvement français se poursuit ?

Une révolte spontanée aux racines anciennes

Historiens et sociologues distinguent toujours temporalités longues et courtes. Dans les révoltes populaires qui naissent spontanément, il y a un élément déclencheur et puis des motifs plus anciens de colère et d’insatisfaction qui viennent nourrir la protestation. On se souvient de ce vendeur à la sauvette tunisien qui s’était immolé par le feu en décembre 2010 inaugurant ainsi la révolution tunisienne. Dans le cas des gilets jaunes, le mouvement part de la contestation de la hausse des prix de l’essence en raison d’une taxe à motivation écologique. L’énervement est d’autant plus grand qu’il touche aussi le diesel que l’État français a fortement encouragé pendant des décennies.

Les premiers manifestants sont d’abord des personnes durement touchées par cette hausse parce qu’elles ne peuvent pas faire autrement qu’utiliser leur voiture sur de longues distances. Il s’agit donc de personnes vivant dans ce que l’on appelle la France périphérique[2], les milieux ruraux isolés, périurbains, les artisans et petits commerçants dont la voiture est un instrument de travail. Et plus largement toutes les populations vivant à distance des grandes métropoles et dont le revenu moyen est faible. Sans pour autant qu’il s’agisse des populations les plus pauvres.

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[1] Appel aux catholiques de France et à nos concitoyens, déclaration publiée le 11 décembre. Cf. https://eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/468109-appel-aux-catholiques-de-france-a-nos-concitoyens/

[2] Cf. Christophe Guilluy, La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires, Paris, Flammarion, 2014.

[3] Cf. Christophe Guilluy, «La précarisation des classes moyennes», Etudes décembre (2018) 61-72, p. 62.

[4] Dans le cadre de « L’Emission politique », France 2, le 22 novembre 2018, repris dans le Journal du Dimanche du 25 novembre : https://www.lejdd.fr/Politique/taxer-le-kerosene-des-avions-le-gouvernement-sen-remet-a-un-debat-europeen-3807842.

[5] Cf. Christophe Guilluy, «La précarisation des classes moyennes», Etudes décembre (2018) p. 64.

[6] Cf. Nathalie Sarthou-Lajus, « Aux origines de la colère (2/5) : la crise du lien social », La Croix 11 décembre 2018.

[7] Cf. Christophe Guilluy, No society. La fin de la classe moyenne occidentale, Paris, Flammarion, 2018.

[8] Cf. Nathalie Sarthou-Lajus, La Croix 11 décembre 2018.

[9] Cf. Nathalie Sarthou-Lajus, La Croix 11 décembre 2018.

[10] Cf. La Croix 13 décembre 2018°: https://www.la-croix.com/Debats/Chroniques/Mgr-Jacques-Noyer-On-fetera-pas-Noel-cette-annee-2018-12-12-1200989189.

[11] Cf. Christophe Guilluy, No society. La fin de la classe moyenne occidentale, Paris, Flammarion, 2018.

[12] Cf. Jean-Claude Michéa, Le loup dans la bergerie, Paris, Flammarion, coll. ‘Climats’, 2018.

[13] Cf. Michael Sandel, Ce que l’argent ne saurait acheter, Paris, Seuil, 2014 [original 2012].

[14] 425 000 membres en décembre 2017.

[15] Cf. Christophe Guilluy, «La précarisation des classes moyennes», Etudes décembre (2018) p. 71.

[16] Cf. Nathalie Sarthou-Lajus, « Aux origines de la colère (2/5) : la crise du lien social », La Croix 11 décembre 2018.