LES ENJEUX CLIMATIQUES ET POLITIQUES DE LA COP26 : VERS UNE CULTURE DU SOIN ?
Last Updated Date : 13 mai 2022
Published Date:5 novembre 2021
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Du 31 octobre au 12 novembre 2021 se déroulera la vingt-sixième Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP 26) au Scottish Event Campus, à Glasgow (Royaume-Uni). Reportée d’un an en raison de la pandémie du Covid-19, alors que des événements climatiques extrêmes se font de plus en plus nombreux et intenses, et que le groupe I du GIEC vient de rendre un rapport alarmant, cette conférence co-organisée avec l’Italie marque une étape cruciale dans l’application de l’Accord de Paris. Que peut-on en attendre ?

Le 4 octobre dernier, le pape François s’est joint à plusieurs chefs religieux et scientifiques pour signer un Appel conjoint en vue de la COP26. L’inspiration de cette rencontre, qui a été précédée par des mois de dialogue intense, a été, selon les termes de l’Appel, une “prise de conscience des défis sans précédent qui nous menacent et menacent la vie sur notre belle maison commune… et la nécessité d’une solidarité encore plus profonde face à la pandémie mondiale et à l’inquiétude croissante” à cet égard.[1]

Lors de cette rencontre, une convergence impressionnante des différentes traditions religieuses et spirituelles en présence a émergé concernant le besoin urgent d’un changement de direction, afin de s’éloigner de manière décisive et ferme de la « culture du jetable », qui prévaut dans nos sociétés, pour aller vers une « culture du soin ». Comment la COP26 peut-elle constituer une étape dans cette direction ?

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Contexte et gouvernance climatique

En décembre 2015, les 196 Parties présentes à la COP21 ont adopté l’Accord de Paris. Son but principal est de maintenir le réchauffement planétaire « nettement en dessous de 2 °C » et de poursuivre les efforts pour le maintenir à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, en vue d’atteindre l’objectif ultime de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) qui est d’empêcher « toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ». Pour y parvenir, les pays doivent plafonner puis diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre afin d’arriver à un équilibre entre émissions et absorptions avant 2070[2]. Sachant que les techniques de capture et de stockage de carbone industrielles ne permettront vraisemblablement d’absorber qu’une quantité marginale du carbone répandu dans l’atmosphère, cela signifie qu’il faut que la totalité de l’humanité vise des émissions quasiment nulles avant le dernier quart de ce siècle. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a confirmé, dans son rapport d’août 2021, que l’atteinte de cet équilibre permettrait une stabilisation de la température mondiale. Il est entendu que les pays en développement pourront mettre plus de temps pour atteindre le plafonnement de leurs émissions, et que l’atteinte de l’objectif se fera « sur la base de l’équité, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté ». Toutefois, cet appel à une résolution équitable du défi écologique reste vague et ambigu au sein de la communauté internationale.

Dans le but d’atteindre le plafonnement puis la baisse des émissions la plus rapide possible, l’Accord met en place un mécanisme de renforcement et de suivi des ambitions climatiques des Parties. Chaque pays doit ainsi « établir, communiquer et actualiser » des Contributions déterminées au niveau national (CDN), indiquant les mesures d’atténuation des émissions et d’adaptation aux catastrophes climatiques qu’il prévoit sur une période donnée. Tous les cinq ans, les CDN doivent être renouvelées ou mises à jour, avec à chaque fois une ambition et des objectifs renforcés. Il n’y a ainsi, en principe, pas de retour en arrière possible. Tous les cinq ans également, un bilan mondial permettra, à partir des « meilleures données scientifiques disponibles », d’évaluer la progression de l’action climatique, en vue de renforcer les CDN suivantes. Certaines des mesures des CDN des pays en développement peuvent être conditionnelles, c’est-à-dire que l’atteinte de leurs objectifs est dépendante d’une aide financière extérieure apportée par les pays développés. En revanche, pour les autres pays, elles représentent des engagements inconditionnels quoique non contraignants.

 

La situation actuelle

Le groupe I du GIEC, dédié aux éléments physiques du climat, a publié son rapport au début du mois d’août 2021[3]. Les deux autres groupes de travail, consacrés aux impacts, la vulnérabilité et l’adaptation (groupe II) et à l’atténuation des émissions (groupe III), publieront leur rapport au printemps 2022. Un rapport de synthèse, résumant l’ensemble du travail des trois groupes, verra le jour en octobre 2022. Cette masse colossale de connaissances servira lors du bilan mondial des efforts de lutte contre le changement climatique prévu pour 2023, dans le cadre de l’Accord de Paris.

Le rapport confirme que la hausse de la température mondiale a atteint +1,09 °C sur la période 2011-2020, par rapport à l’ère préindustrielle. Ce réchauffement est, de manière certaine et sans aucune équivoque, provoqué par les activités humaines. D’autres modifications de différentes composantes du système climatique sont marquées par l’influence humaine, avec plus ou moins de certitude : augmentation des précipitations, recul des glaciers, baisse de l’enneigement dans l’hémisphère Nord, réchauffement marqué des couches supérieures des océans, élévation du niveau marin, etc. Ces évolutions sont inédites sur des échelles de temps allant de plusieurs siècles à plusieurs centaines de milliers d’années dans le passé. Certaines d’entre elles, en particulier au niveau de l’océan et des calottes glaciaires, sont d’ores et déjà irréversibles à l’échelle de plusieurs siècles, voire des prochains millénaires. C’est notamment le cas de la hausse du niveau marin, qui devrait se poursuivre pendant des centaines d’années. L’ampleur de cette hausse dépend des émissions actuelles et futures mais il ne fait aucun doute, désormais, que le visage des terres émergées de notre planète sera méconnaissable au XXIIe siècle. Sans attendre si longtemps, la moitié du Bengladesh et le delta vietnamien du Mékong seront sous l’eau avant 2050. L’Angleterre et les États-Unis préparent déjà des digues pour protéger Londres et New-York. L’Indonésie vient de changer de capitale à cause de l’envahissement progressif de Djakarta par la mer. Tous nos littoraux seront déjà profondément transformés dans une génération.

Un groupe de chercheurs spécialisés sur ce sujet, le World Weather Attribution[4], a travaillé sur plusieurs événements extrêmes qui ont eu lieu en 2021, et a démontré une influence du changement climatique dans la probabilité de leur survenue et dans leur intensité : c’est le cas de la vague de froid tardive en France en avril, de la canicule intense de fin juin en Amérique du Nord ou encore des inondations catastrophiques qui ont eu lieu en juillet en Belgique et en Allemagne. Il est donc désormais acquis que l’intensification des pluies intenses, des vagues de chaleur et canicules, des sécheresses ou encore des cyclones au cours des dernières années est due à l’activité humaine. La bonne nouvelle est que, contrairement à l’augmentation du niveau des mers, il est possible de modifier très rapidement les facteurs qui intensifient ces catastrophes météorologiques en réduisant nos émissions. Les efforts que nous faisons aujourd’hui devraient se voir de manière claire dans vingt ans.

Concernant l’avenir, les projections indiquent que le seuil de +1,5 °C pourrait être dépassé dès le début des années 2030, et ce, dans la plupart des scénarios. Seuls deux scénarios sur les cinq présentés par le GIEC permettent de respecter l’Accord de Paris à l’horizon de la fin du siècle, l’un stabilisant la température en dessous de + 2°C, le second en dessous de +1,5 °C. Ces deux scénarios exigent des réductions immédiates et drastiques des émissions : rares sont les membres de la communauté scientifique qui croient que cela aura lieu. Il va donc falloir nous adapter aux conséquences potentiellement catastrophiques des trois autres scénarios du GIEC, qui envisagent des hausses moyennes comprises entre +2,7 °C et +4,4 °C sur la période 2081-2100, en fonction des différents niveaux d’émissions de gaz à effet de serre. Le rapport indique également qu’en cas de poursuite des émissions, des événements de « faible probabilité mais à fort impact » ne peuvent être exclus, tels que la fonte accélérée des calottes glaciaires, des changements abrupts de circulation océanique ou encore des combinaisons de plusieurs événements extrêmes. Le gulf stream pourrait s’écarter de l’Europe et transformer le climat de Paris en celui de New-York. Le pergélisol sibérien pourrait continuer de fondre et libérer le méthane qu’il contient, accélérant brutalement le réchauffement vers des températures qui pourraient atteindre +6 °C ou +7 °C au siècle prochain. La survie de l’humanité serait alors probablement remise en cause.

La COP26 sera l’occasion de renégocier les CDN de chacun des pays membres des Nations Unies. Il est donc crucial de comprendre et d’anticiper l’impact que ces engagements peuvent avoir sur le climat. Les travaux les plus récents[5] montrent que les Contributions déterminées au niveau national de l’Accord de Paris nous emmènent vers un réchauffement d’un peu moins de + 3°C en 2100 : dès 2015, par conséquent, une forme de schizophrénie de la communauté internationale était perceptible puisque les engagements nationaux ne permettaient pas de respecter l’Accord. Qui plus est, ces engagements ne sont pas respectés : les politiques actuellement en place nous conduisent vers un peu plus de +3 °C en fin de siècle, en moyenne. Or, comme l’a montré le rapport intermédiaire de 2018[6], chaque fraction de degré compte. La bonne analogie est celle de la fièvre : il y a autant de différences entre un réchauffement de +2,5 °C et +3 °C qu’entre une fièvre de 39 °C et 40 °C. Les CDN révisées ainsi que les engagements qui ne sont pas encore officialisés pourraient nous conduire vers +2,7 °C[7]. C’est une très bonne nouvelle, même si c’est encore insuffisant. Encore faut-il que ces engagements soient confirmés lors de la COP26 et, surtout, qu’ils soient tenus.  L’ensemble des engagements à date (31 juillet 2021) des 191 Parties menait cependant à une augmentation globale des émissions de 16% en 2030 par rapport à 2010, au lieu de la réduction de 45% nécessaire pour suivre une trajectoire menant à +1,5 °C. Les pays peuvent encore déposer ou amender leurs CDN jusqu’à la veille de la COP, et une nouvelle synthèse avec les derniers engagements sera publiée à ce moment.

 

COP26 : objectifs et enjeux

Des centaines de délégués sont attendus dans la « zone bleue » à Glasgow, réservée aux négociations officielles, et des milliers de participants de la société civile, d’ONGs ou de professionnels se réuniront et échangeront dans la « zone verte », ouverte au public. De nombreuses voix se sont fait entendre ces derniers mois pour protester contre la tenue de la COP dans un contexte de pandémie. Pour des délégataires comme pour des membres d’ONGs et de la société civile[8], notamment des leaders de peuples autochtones[9], il est très difficile, voire impossible, de se rendre à Glasgow et de participer à la conférence. C’est en particulier le cas pour les délégations africaines, qui n’ont pas autant de moyens que les délégations des autres régions, ni le même accès à la vaccination[10]. Les déséquilibres affectant les participants du fait de l’inéquité de la gestion de la pandémie du coronavirus risquent fort, par conséquent, d’affecter l’équité des négociations qui se dérouleront à Glasgow.

L’un des objectifs principaux présentés par les organisateurs est la hausse des engagements, afin d’aligner autant que possible les trajectoires d’émissions à horizon 2030 avec les objectifs de neutralité carbone de l’Accord de Paris[11]. On l’a dit, cet objectif, qui sera scruté de près par les observateurs, semble presque impossible à atteindre au vu des Contributions déterminées au niveau national d’ores et déjà déclarées. Il n’empêche : toutes les simulations climatiques montre que les décisions qui seront prises (ou ne seront pas prises) au cours de la décennie 2020 seront déterminantes pour l’évolution du réchauffement durant la totalité du siècle. De sorte que le sérieux des engagements pris à Glasgow promet d’être décisif pour les prochaines décennies.

Le second objectif de la COP26 est l’adaptation aux désastres écologiques déjà enn cours. Celle-ci est insuffisamment prise en compte dans les politiques et négociations climatiques, alors que les impacts du réchauffement se font de plus en plus forts, en particulier dans les pays et régions les plus vulnérables. Les événements extrêmes, la montée du niveau marin ou encore les perturbations du cycle de l’eau mettent en danger les écosystèmes et les populations, et ces impacts vont continuer de s’intensifier et devenir de plus en plus nombreux durant les prochaines années. Prenons deux exemples.

1) L’accès à l’eau potable en Italie pourrait diminuer de plus de 40% d’ici 2040[12]. Or on peut vivre quelques jours sans électricité mais aucune communauté humaine ne peut survivre sans eau.  Cela implique que des projets de désalinisation de l’eau de mer doivent être envisagés dès aujourd’hui. Le Maroc et la Tunisie y travaillent depuis plusieurs années. L’Espagne et le Portugal envisager, à leur tour, la construction d’usines de désalinisation. La difficulté est que désaliniser exige beaucoup d’énergie et coûte cher. La facture publique promet d’être un problème dans le contexte d’austérité budgétaire imposé par les pays « frugaux » de l’Union européenne qui, par ailleurs, sont également moins touchés par le stress hydrique[13]. En outre, l’énergie nécessaire pour désaliniser doit elle-même être « verte ». Or les infrastructures liées au photo-voltaïque et à l’éolien requièrent des quantités massives de cuivre. Outre que l’extraction minière n’est pas sans conséquence, elle aussi, pour les écosystèmes naturels, il se trouve que le cuivre fait partie des minerais dont la raréfaction va se faire sentir de manière aiguë dans les prochaines années : son extraction va, elle aussi, requérir de plus en plus d’énergie et d’eau[14]… Heureusement, on sait faire aujourd’hui (en France et en Allemagne) du photo-voltaïque organique, qui nécessite très peu de minerais pour produire de l’électricité.

Cette technologie révolutionnaire permettra-t-elle de lever les verrous de l’accès à l’eau au sud de l’Europe ? Cela dépend de la capacité de l’industrie européenne à multiplier très rapidement l’échelle de production de cette technique, ce qui exige un secteur bancaire capable de financer un tel effort d’investissement. Mais le secteur bancaire, pour l’instant, refuse d’accorder les financements nécessaires au passage à l’échelle. Pourquoi ? Parce que, comme l’a montré G. Giraud dans un rapport publié en juin 2021, beaucoup de grandes banques européennes sont tellement dépendantes des énergies fossiles qu’elles seraient en faillite si, demain, nous réussissions à nous passer du charbon, du pétrole et du gaz[15].  Pour pouvoir garantir l’accès à l’eau potable aux Italiens en 2040, il faut donc de toute urgence réguler et assainir le secteur bancaire européen.

2) Lors de son intervention au sommet du G20 consacré au dialogue interreligieux, à Bologne, le 12 septembre 2021, G. Giraud a plaidé pour que les leaders religieux et spirituels fassent une proposition concrète au G20 : celle d’accélérer le passage de l’agriculture industrielle et intensive qui détruit notre planète à une agriculture écologique (permaculture, agro-foresterie, etc.). Les seules institutions, en effet, qui, sur le terrain, peuvent dialoguer avec l’ensemble des petits paysans qui nourrissent l’humanité sont sans doute les organisations religieuses. Elles ont donc un rôle à jouer dans la promotion de pratiques agricoles qui permettraient à la fois de préserver la biodiversité domestique et sauvage et d’apporter des solutions à l’immense problème de la sous-nutrition. Toutefois, l’un des obstacles majeurs à la conversion des pratiques agricoles vers l’agro-écologie, c’est le surendettement des paysans. En Inde, un paysan se suicide en moyenne toutes les 28 minutes pour tenter d’échapper au couperet de la dette. La mise en place de solutions financières consistant à annuler une partie de ces dettes en contrepartie de la conversion vers une agro-écologie moins émissive en carbone est parfaitement envisageable et a été longtemps pratiquée par la Banque Mondiale dans le passé. C’est là qu’un dialogue entre les communautés religieuses et spirituelles, le G20 et la FAO serait extrêmement utile pour promouvoir ce type de solution.

Mesure-t-on, par ces deux exemples, la complexité économique, politique, technologique, sociale, spirituelle qu’impliquent les défis de l’adaptation ?

La pandémie nous a aussi permis de prendre conscience de la gravité des enjeux de santé mondiale. Et le réchauffement risque d’aggraver ces enjeux. Début octobre, l’Organisation mondiale de la santé, appuyée par des millions de médecins du monde entier, mettait en garde contre les risques du changement climatique pour la santé humaine[16]. Le réchauffement va favoriser l’extension des maladies tropicales au-delà de leur domaine actuel de prévalence. Selon toute vraisemblance, la malaria devrait revenir au Mexique et au sud des États-Unis avant 2050. De ce point de vue, la découverte très récente d’un vaccin contre le paludisme est une excellente nouvelle pour l’humanité (qui s’est fait attendre beaucoup trop longtemps). Mais beaucoup d’autres pandémies risquent de se propager à la faveur du réchauffement. C’est donc aussi l’ensemble des systèmes sanitaires du monde entier qu’il nous faut adapter à toute vitesse à cette nouvelle réalité. Là encore les engagements qui pourraient être éventuellement pris à Glasgow sur le front de l’adaptation seront déterminants.

Le troisième objectif de la COP26 concerne l’obligation, inscrite dans l’Accord de Paris, pour les pays développés de venir en aide financièrement aux pays en développement, que ce soit pour des mesures d’atténuation ou d’adaptation. Un objectif de 100 milliards de dollars par an mobilisés à partir de 2020 avait été établi en 2015. L’OCDE estimait que 78,9 milliards avaient été débloqués en 2018, et le chiffre définitif pour 2020 n’a pas encore été établi. Il semblerait cependant que l’objectif n’ait pas été atteint[17]. Pire : une partie des sommes affichées est mise en doute par certaines ONGs[18].

Enfin, les délégations doivent se mettre d’accord pour finaliser le « Paris Rulebook », qui définit les règles spécifiques de la mise en place de l’Accord de Paris. En particulier, c’est l’article 6, présentant la possibilité pour les pays de mettre en place des mécanismes de coopération, notamment de marchés carbone, qui fait l’objet de longues négociations[19]. Pourtant, les marchés carbone ne constituent nullement la panacée : les marchés carbone qui sont déjà en place ont tous été des échecs jusqu’à présent. Et comme cela a été clairement expliqué par le rapport Stern-Sitligtz, la mise en place de taxe carbone serait beaucoup plus efficace[20]. Il est à craindre que beaucoup de temps et d’énergie diplomatique soit dépensés sur la question des marchés carbone simplement parce que la sphère financière a compris qu’il s’agit là potentiellement d’une source de profit colossale. Les négociations risquent fort, alors, de perdre de vue l’intérêt général.

 

Le temps du passage à l’action

Qu’attendre de cette vingt-sixième COP ? Les questions de justice et d’équité seront au cœur des débats, en particulier en ce qui concerne l’aide financière accordée aux pays en développement pour l’atténuation des émissions et l’adaptation aux catastrophes écologiques déjà en cours. Les pays industrialisés prendront-ils enfin la mesure de leurs responsabilités historiques dans le cumul des émissions et tiendront-ils les engagements qu’ils ont pris en signant l’Accord de Paris ?

En réalité, la négociation climatique ne se fait pas seulement et simplement une fois par an, lors des COP. Le renforcement des engagements climatiques est désormais un travail permanent qui a lieu dans les différentes institutions de chaque Partie de la Convention. Cela a pu s’observer au cours des derniers mois durant lesquels de nombreuses et importantes annonces ont été faites par la Chine, l’Union européenne, les États-Unis et plusieurs autres pays[21] : tous ont promis de renforcer leurs engagements. Il reste cependant, pour certains, à les officialiser dans leurs CDN sans quoi ces promesses resteront lettre morte. Nous entrons désormais dans l’étape des négociations qui consiste, pour chaque pays, à transformer ses objectifs de réduction des émissions en stratégies nationales précises, puis en politiques climatiques concrètes et opérationnelles. C’est donc désormais au niveau national que l’action concrète climatique doit se faire. Les COP ont vocation à devenir de plus en plus des arènes d’organisation globale et de suivi de la sincérité des engagements mais l’essentiel des politiques climatiques devra être préparé, mis en œuvre et évalué au niveau national[22].

Afin de s’assurer que les engagements et objectifs entérinés par les États soient suivis et atteints, la mobilisation de toutes les composantes de la société est nécessaire. Les entreprises, les associations et les citoyens ne doivent pas relâcher leur attention. Sans doute doivent-ils même s’impliquer pleinement dans les politiques climatiques de leurs pays et régions. Pour cela, tous les moyens sont bons : lobbying, pétitions, manifestations, ou encore contentieux climatiques, comme cela a pu être fait récemment en France, dans le cadre de l’Affaire du Siècle[23]. L’État français a été condamné à réparer le préjudice écologique qu’il a causé en ne respectant pas les budgets carbone qu’il avait initialement prévus pour la période 2015-2018.

Plus globalement, ce qui est désormais en jeu, c’est le passage à l’action de ce que le pape François nomme une « culture du déchet » qui caractérise beaucoup de sociétés industrialisées à une « culture du soin »[24]. Pour cela, les COP sont un lieu indispensable de négociation entre États-nation des engagements pris et de leur renforcement.

Mais désormais l’urgence est telle que les avancées doivent pouvoir se faire partout, au sein de la société civile et avec la coopération de chacun de nous. Un seul exemple suffira à le montrer : encore aujourd’hui, un tiers de la nourriture qui est conservée dans les réfrigérateurs des ménages des pays industrialisés n’est pas consommé mais est jeté. Quand apprendrons-nous à mettre fin à ce gaspillage indécent dans un monde où 800 millions de personnes souffrent de malnutrition, gaspillage qui contribue lui aussi au réchauffement de la planète ? Quand apprendrons-nous à nous passer de viande en vue de réduire l’empreinte carbone et matérielle de notre régime alimentaire ? Quand poserons-nous des règles à l’usage d’internet dont les gigantesques data centers sont responsables de plus de 4% de nos émissions ? Le citoyen individuel ne peut pas tout, certes. Mais il serait irresponsable de tout attendre des grandes rencontres internationales comme les COP : celles-ci ne peuvent qu’encourager et enregistrer les progrès réalisés par chacun, chaque collectif, chaque ville, chaque pays, sur le terrain.[25]

 

 

[1]Rencontre « Foi et science : vers la COP26 », Discours du pape François, Lundi 4 octobre 2021. https://www.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2021/october/documents/20211004-religione-scienza-cop26.html.

[2] Et même avant 2050 si nous voulons avoir une chance de rester en-dessous du plafond de 1,5°C. Nous allons y revenir. Cf. aussi P. DE CHARENTENAY, «Luci e ombre sulla Cop21», in Civ. Catt. 2016 I 363-372.

[3] Cf. IPPC, “Sixth Assessment Report”, in https://www.ipcc.ch/assessment-report/ar6/

[4] Cf. www.worldweatherattribution.org/analyses

[5] Cf. «Wave of net zero emission targets opens window to meeting the Paris Agreement», in Nature (go.nature.com/27dGLvb), 16 septembre 2021.

[6] Cf. Global Warming of 1,5°C (www.ipcc.ch/sr15

[7] Cf. UNFCCC, Full NDC Synthesis Report: Some Progress, but Still a Big Concern (bit.ly/UNFCCCReport), 17 septembre 2021.

[8] Cf. J. Van der Made, «NGOs say Cop26 climate summit must be postponed», in RFI (bit.ly/ONGCOP26), 7 septembre 2021.

[9] Cf. M. A. Pember, «Indigenous leaders face barriers to UN climate conference», in Indian Country Today (bit.ly/ICTCOP26), 16 septembre 2021.

[10] Cf. E. Barthet – A. Garric, «Cop26: les délégations africaines à la peine pour se rendre à Glasgow», in Le Monde (bit.ly/LMCOP26), 11 octobre 2021.

[11] Cf. «COP26 explained», in https://ukcop26.org/wp-content/uploads/2021/07/COP26-Explained.pdf

[12] Cf. Ranking of countries with the highest water stress (bit.ly/WATERSTRESS).

[13] Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont épargnés par les conséquences du réchauffement : les inondations en Allemagne de l’été 2021 en témoignent.

[14] Cf. O. Vidal – F. Rostom – C. François – G. Giraud, «Global Trends in Metal Consumption and Supply: The Raw Material-Energy Nexus», in Elements, 13 (2017) 319-324; «Prey-Predator Long-Term Modelling of Copper Reserves, Production, Recycling, Price and Cost of Production», in Environmental Science and Technology, n. 53, 2019, 11323-11336.

[15] Cf. G. Giraud et Al., «Fossil assets “the new subprimes”?», in Reclaim Finance (https://reclaimfinance.org/site/en/2021/06/10/fossil-fuel-assets-the-new-subprimes-report), juin 2021.

[16] Cf. OMS, «WHO’s 10 calls for climate action to assure sustained recovery from COVID-19» (bit.ly/30NY5rl), 11 octobre 2021.

[17] Cf. K. Abnett, «L’objectif de 100 milliards de dollars pour le climat n’a sans doute pas été atteint, dit l’OCDE», in Reuters (reut.rs/3Efu2as), 17 septembre 2021.

[18] Cf. «2020: les vrais chiffres des financements climat», in www.oxfamfrance.org/wp-content/uploads/2020/10/2020-Les-vrais-chiffres-des-financements-climat.pdf

[19] Cf. «In-depth Q&A: How “Article 6” carbon markets could “make or break” the Paris Agreement», in www.carbonbrief.org/in-depth-q-and-a-how-article-6-carbon-markets-could-make-or-break-the-paris-agreement

[20] Cf. «Report of the high-level commission on carbon prices», in www.carbonpricingleadership.org/report-of-the-highlevel-commission-on-carbon-prices

[21] Cf. www.climateactiontracker.org/countries

[22] Cfr «COP26: what’s the point of this year’s UN climate summit in Glasgow?», in The Conversation (https://theconversation.com/cop26-whats-the-point-of-this-years-un-climate-summit-in-glasgow-167509), 6 octobre 2021.

[23] A. Garric – S. Mandard, «“L’affaire du siècle”: la justice ordonne au gouvernement de “reparer le préjudice écologique” dont il est responsable», in Le Monde (www.lemonde.fr/climat/article/2021/10/14/l-affaire-du-siecle-la-justice-ordonne-au-gouvernement-de-reparer-le-prejudice-ecologique-dont-il-est-responsable_6098357_1652612.html), 14 octobre 2021.

[24]Aux participants à la Rencontre interparlementaire en préparation à la COP26, Discours du pape François, 9 octobre 2021.

[25] Les auteurs remercient Elena de Nictolis pour son aide dans la rédaction de cet article.