LES DANGERS ANTHROPOLOGIQUES ET POLITIQUES D’UNE SOCIÉTÉ SANS CASH
Last Updated Date : 19 mai 2022
Published Date:2 février 2022

Dans le capitalisme moderne, la triple exigence, contradictoire, de rationalité, de performance et de sécurité, favorise un courant d’apparence irrésistible. Ce courant entraîne le système vers la disparition de l’argent liquide. Il s’agit de supprimer les billets de banque et la petite monnaie en métal (dite monnaie divisionnaire) qui gonflent les portefeuilles et alourdissent les poches. En bonne logique capitaliste qui promeut la performance dans le système de paiement comme partout ailleurs, ces moyens matériels lourds, et dispendieux pour les institutions bancaires, laissent en grande partie la place aux outils digitaux : cartes de crédit, cartes de paiement, Internet ou applications informatiques intégrées dans les téléphones portables. Les tenants d’une économie rationnelle, productiviste et sûre, veulent favoriser cette dématérialisation, au point de souhaiter une société sans cash.

Leur tendent la main des hauts fonctionnaires, tant internationaux que nationaux. Christine Lagarde, ancienne directrice du Fonds monétaire international et actuelle directrice de la Banque centrale européenne, Michel Sapin Commissaire européen, ou William White de l’OCDE, sans parler des afficionados du Forum de Davos, tous voient dans les échanges sans argent liquide l’avenir des économies de marché. Dans un rapport intitulé Comité Action Publique 2022 (cap 2022)[1], des technocrates, dirigeants d’entreprise, économistes, hauts fonctionnaires, avaient déjà manifesté depuis plusieurs années leur volonté d’aller vers une société «zéro cash». En résumé, ces technocrates prétendaient qu’en supprimant progressivement la circulation d’espèces on simplifiera les paiements. Ils affirmaient en outre que la société sans cash correspondait au «mode de vie déjà préconisé par tous», et permettrait une lutte plus efficace contre la fraude et le grand banditisme.

 

Constats plus nuancés

Prétendre que la disparition du cash est préconisée par tous, c’est aller vite en besogne et généraliser l’opinion peut-être majoritaire. Pire, c’est confondre l’idéal technocratique avec le bien commun de tous, en particulier des populations les plus fragiles. En Europe, 87% des personnes interrogées déclarent se servir encore de cash chez les petits commerçants et 72% dans les distributeurs automatiques. Par ailleurs, 83% des personnes interrogées se disent «inquiets de voir disparaître les espèces». C’est un sentiment partagé par les utilisateurs au quotidien de ce mode de paiement (87%) mais aussi – ce qui est plus intéressant encore – par ceux qui lui préfèrent les paiements dématérialisés (73%). Quoi qu’il en soit, au nom de la fraude et du grand banditisme, la Commission européenne a déjà obtenu de la Banque Centrale Européenne, l’abandon du billet de 500 € à l’automne 2021, (au moment où la Suisse, elle, faisait circuler un nouveau billet de 1’000 CHF – soit 930 euros environ).

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[1] cfr www.gouvernement.fr/action/action-publique-2022-pour-une-transformation-du-service-public

[2] «Aus seinem großen Strom hebt die ordnende Hand des Forschers die wirtschaftlichen Tatsachen gewaltsam heraus» (J. A. Schumpeter, Theorie der wirtschaftlichen Entwicklung, Berlin, Dunker & Humblot, 1911).

[3] Voir, du même auteur, l’article paru dans La Civiltà Cattolica n°4112, 16 0tt/6 nov 2021,  Quindicinale Anno, sous le titre «Questioni antropologiche e politiche delle criptovalute», pp. 121-131. 0521 de l’édition française.