LE MYTHE DE LA « VICTOIRE MUTILÉE ». 100 ans après la fin de la Première Guerre mondiale
Last Updated Date : 16 septembre 2022
Published Date:18 juin 2020

2018 marque le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale (1914-18). L’article traite de la « Bataille du Solstice », de la victoire des Italiens contre les Autrichiens à Vittorio Veneto et de la participation de l’Italie à la Conférence de paix à Paris. Cette victoire a été jugée « suffisante » à Versailles, où les « grands » se trouvaient rassemblés. En fait, les demandes de l’Italie n’ont été que partiellement acceptées. Gabriele D’Annunzio a inventé la célèbre expression « victoire mutilée » pour définir ce que l’Italie reçut en échange de 500 000 morts et un million de « mutilés ». La fin de la guerre n’apaisait pas le pays, mais marqua le début de nouveaux conflits sociaux et politiques qui, en quelques années, conduisirent l’Italie au fascisme.

 

L’Italie après Caporetto

Sept mois après la « défaite » de Caporetto[1], en juin 1918, les Autrichiens tentèrent de reproduire le succès de cette bataille historique en planifiant une attaque sur la ligne de défense italienne qui, suivant en grande partie le cours du Piave, allait du plateau d’Asiago à la mer. Alors que, la bataille sanglante entre les armées du général Ludendorff et celles alliées sur le front occidental, qui allait déterminer l’issue du conflit, avait déjà commencé, l’armée austro-hongroise (forte de 58 divisions contre les 57 divisions italiennes, dont 5 Franco-Britanniques), cette fois sans aide allemande, lança, le 12 juin 1918, une offensive majeure sur tout le front tenu par l’armée italienne. Le mot d’ordre était de traverser le Piave et, perçant le front ennemi à plusieurs endroits, arriver jusqu’à Milan.

Mais l’armée autrichienne, qui commit l’erreur de sous-estimer la force et la détermination de l’ennemi, se dispersa sur un front diversifié trop long (130 km) et ne réussit pas à « percer », sutout parce que les commandements suprêmes n’étaient pas parfaitement d’accord sur la tactique à adopter. L’attaque échoua à cause de la faiblesse de l’artillerie, utilisée de manière inefficace, et du manque de « l’élément surprise ».

Pendant ce temps, le front intérieur autrichien donnait graduellement des signes évidents de fléchissement : coupé du bloc économique mis en place par l’Entente (quand les marines américaine et britannique dominaient les mers), l’Autriche-Hongrie s’effondrait sous les coups de la faim, des grèves et du mécontentement populaire. L’empire multiethnique des Habsbourg se dissociait tandis que le principe de la nationalité et celui de l’autodétermination des peuples, établis par la doctrine de Wilson, s’imposaient plus fortement que toute autre considération d’ordre politico-militaire. Ce fait conduisait, sur le front de la guerre, à la désertion des combattants appartenant aux populations soumises à la monarchie.

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Traduction sœur Pascale Nau

 

 

 

[1] Cf. G. Sale, « L’Italia e la “disfatta” di Caporetto », Civ. Catt. 2018 IV 31-44.

[2] Cf. A. Marzo Magno, Piave. Cronaca di un fiume sacro, Milan, il Saggiatore, 2010, 76.

[3] Cf. P. Pieri, L’Italia nella prima guerra mondiale (1915-1918), Turin, Einaudi, 1965, 182.

[4] N. Tranfaglia, La prima guerra mondiale e il fascismo, Turin, Utet, 1995, 127

[5] B. H. Liddell Hart, La prima guerra mondiale. 1914-1918, Milan, Rizzoli, 2014. Même l’historien Peter Hart, dans son livre La grande storia della prima guerra mondiale (Rome, Newton Compton, 2013), ne consacre qu’une demi-page aux événements militaires italiens. Il reconnaît cependant le rôle crucial que l’Italie avait joué dans la victoire finale : « L’armée italienne a joué un rôle important – a-t-il écrit – en distrayant le gros de l’armée autrichienne, qui, autrement, aurait pu être déployée sur d’autres fronts après la révolution d’octobre » (p. 435).

[6] Cités dans E. Gentile, Due colpi di pistola, dieci milioni di morti, la fine di un mondo, Rome – Bari, Laterza, 2015, 158.

[7] C’est avant tout la question de l’Allemagne – à laquelle, en réalité, l’Italie a participé en tant qu’« invité de pierre » – qui a dominé les discussions entre les « quatre ». Les Français exigèrent le retour de l’Alsace et de la Lorraine, la démilitarisation des territoires de la rive gauche du Rhin et l’attribution à la France de la production minière de la Sarre et d’autres conditions économiques punitives, en plus, bien sûr, de la reconstitution de la Pologne, qui incorpora plusieurs territoires prussiens. Plusieurs de ces revendications contrastaient avec les principes de nationalité de Wilson, qui s’opposaient à leur acceptation et menaçaient même de quitter la conférence de paix. De plus, la proposition française de réduire l’Allemagne à l’impuissance allait à l’encontre de la politique traditionnelle de l’Angleterre, qui ne voulait pas l’affirmation d’une seule grande puissance sur le continent européen. Wilson et Lloyd George étaient tous deux convaincus qu’une Allemagne humiliée et réduite à l’impuissance par une paix punitive aurait été vaincue par le bolchevisme ou qu’elle serait devenue un foyer de guerre dangereux pour l’Europe – ce qui, en fait, arriva. Cf. ibid., 157 s.

[8] G. Salvemini, dans l’Unità, 9 novembre 1918.

[9] Cet accord fut signé entre l’Italie et la Triple Alliance le 2 avril 1919. Il précisait qu’en cas de victoire, l’Italie aurait eu le Trentin, le Tyrol du Sud (Haut-Adige), la Vénétie Julienne avec les hauts plateaux karst-isontins, toute la péninsule d’Istrie, à l’exception de la ville de Fiume (Rijeka). Du côté adriatique, il aurait obtenu un tiers de la Dalmatie avec Zadar, Valona en Albanie, les îles du Dodécanèse, etc. En cas de partition de l’empire colonial allemand, l’Italie aurait eu droit notamment à la Libye, l’Érythrée et la Somalie. Cf. N. Labanca (ed.), Dizionario storico della Prima guerra mondiale, Romi – Bari, Laterza, 2014.

[10] Beaucoup des membres de la délégation américaine opposés aux positions italiennes influencèrent la décision du président. Cf. A. J. Mayer, Politics and Diplomacy of Peacemaking : Containment and Counterrevolution at Versailles, 1918-1919, New York, Knopf, 1967, 212.

[11] Cf. N. Tranfaglia, La prima guerra mondiale e il fascismo, 138.

[12] Ibid.

[13] L. Aldrovandi Marescotti, Guerra diplomatica. Ricordi e frammenti di diario (1914-1919), Milan, Mondadori, 1938, 222-226.

[14] Ibid., 228.

[15] Ibid., 229.