LE DÉBAT PARLEMENTAIRE SUR LE « SUICIDE ASSISTÉ »
Published Date:3 février 2022
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Il semble paradoxal qu’en période de pandémie, alors que l’engagement collectif porte sur la protection de la santé des citoyens, on discute de la possibilité de légaliser le fait d’aider des gens à mettre fin à leurs jours. Ce paradoxe met toutefois en lumière une dynamique qui tenaille la médecine[1]. Si l’entreprise biomédicale se donne pour mission de dominer les processus biologiques et de répondre au désir de santé de chaque individu, alors il semble plausible, lorsqu’elle échoue dans son objectif et que la souffrance est jugée intolérable, de lui demander d’abréger la vie : c’est la dernière étape dans l’exercice de la maîtrise. Pourtant, il faudrait remettre en question l’approche de toute l’entreprise : revoir les objectifs poursuivis par la médecine et réarticuler, pour la protection de la santé et la thérapie de la douleur, le rapport entre le traitement des maladies et la prévention, entre l’hôpital et le territoire, entre les secteurs sanitaire et social[2].

La pandémie a exacerbé ces questions. La vague de contagion mondiale a, d’une part, réfuté le mythe de la maîtrise et, d’autre part, souligné l’importance d’une attitude de soin qui ne se limite pas aux sujets humains. Les liens entre tous les êtres vivants de la planète, au sein d’une même biosphère, ont une incidence sur la santé : on parle de One Health[3]. En arrière-plan, il y a une question anthropologique et culturelle qui devrait au moins être évoquée[4], afin de montrer que le débat juridique n’est que la pointe émergente d’un ensemble de facteurs beaucoup plus large.

Le Parlement italien a débattu de la proposition de loi (PDL) sur la « mort volontaire médicalement assistée » le 13 décembre dernier, et le vote est prévu pour février prochain[5]. Afin de replacer la question dans son contexte, nous rappellerons tout d’abord quelques références juridiques parmi lesquelles la PDL s’inscrit. Nous considérerons ensuite les aspects les plus marquants de son contenu, dans le but d’offrir une contribution pour le débat à venir.

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Le contexte : Des lois importantes qui n’ont pas été respectées

Pour replacer la question dans son contexte, il convient de partir de la loi nº 219/2017 sur le « consentement éclairé et les dispositions anticipées de traitement » (DAT). Bien qu’elle ne manque pas d’éléments problématiques et ambigus, elle est le résultat d’un processus laborieux qui a permis d’associer une pluralité de positions divergentes[6]. La loi permet de suspendre les traitements qui – dans le dialogue entre les professionnels de la santé, les patients et (dans la mesure du possible) leurs familles – sont jugés disproportionnés[7]. Elle réglemente aussi, en prévision d’une « incapacité future à décider », l’expression anticipée de son propre jugement et la désignation d’un fiduciaire. De plus, elle promeut les soins palliatifs et la gestion de la douleur.

L’ensemble de ces éléments confirme la différence éthique et juridique entre « laisser mourir » et « faire mourir » : le cadre esquissé permet d’opérer au-delà du seuil qui distingue le premier du second[8]. Il aurait donc pu être satisfaisant de s’y arrêter, notamment parce que la loi est encore peu connue et peu pratiquée : deux ans après son approbation, seulement 0,7 % de la population avait rédigé ses DAT[9]. Il en va d’ailleurs de même pour la loi n° 38/2010, également d’une grande importance pour les questions de fin de vie, sur « l’accès aux soins palliatifs et au traitement de la douleur » : deux opportunités précieuses, qui restent mal et inégalement garanties sur le territoire national.

Avant d’aborder d’autres décisions législatives en la matière, il aurait donc été souhaitable de travailler à la mise en œuvre de ces deux lois. Une application touchant non seulement les dimensions politiques et logistiques, mais aussi culturelles et éducatives, et qui aurait favorisé une discussion plus consciente des ressources disponibles pour soulager la souffrance[10]. Au lieu de cela, l’attention reste focalisée sur le point final d’une série d’hypothèses qui ne sont ni examinées ni repensées. Si l’on avait évité de s’arrêter à la seule question juridique, une médiation politique et culturelle plus articulée aurait permis de mieux saisir la densité anthropologique du sujet et le lien avec le sens de la mort, qui renvoie à son tour au sens de la vie et du soin mutuel au sein de la communauté[11].

 

L’arrêt sur la dépénalisation de l’aide au suicide

Cependant, la pression s’est accrue sous l’impulsion du cas de Fabiano Antoniani, plus connu comme DJ Fabo. Tétraplégique et aveugle à la suite d’un grave accident de voiture, après plusieurs tentatives de traitement, Fabo a exprimé la volonté de mettre fin à ses jours[12]. Il s’est adressé à Marco Cappato, trésorier de l’association Luca Coscioni, pour l’aider à réaliser son intention. L’autodénonciation de Cappato a déclenché un processus judiciaire qui a conduit à un arrêt de la Cour constitutionnelle (n° 242/2019)[13], concernant l’art. 580 du Code pénal sur l’incitation et l’aide au suicide. Les deux infractions sont confirmées par la Cour, qui réaffirme également la nécessité de protéger juridiquement le bien de la vie, surtout dans des conditions de fragilité. Cependant, elle reconnaît en même temps que l’évolution de la médecine apporte de nouvelles situations concernant la mort.

Sur cette base, l’arrêt exclut la punissabilité de quiconque « facilite l’exécution d’une intention de se suicider formée de manière autonome et libre », pourvu que certaines conditions soient respectées : la personne doit être « maintenue en vie par un traitement de support vital et atteinte d’une pathologie irréversible, source de souffrances physiques ou psychologiques qu’elle juge intolérables, mais pleinement capable de prendre des décisions libres et conscientes ». Ces conditions reflètent la situation clinique de DJ Fabo. La Cour invite également le Parlement à combler le vide juridique apparu, encore à déterminer.

Pour souligner le climat culturel dans lequel nous nous trouvons, il convient de mentionner l’arrêt, similaire à certains égards, de la Cour constitutionnelle fédérale allemande (26 février 2020)[14]. Elle exclut la punissabilité de la facilitation au suicide par des organisations (commerciales), afin d’éviter des restrictions excessives du « droit à l’autodétermination par rapport à la mort ». Un droit que la Cour considère comme fondé sur le plus ample « droit général de la personnalité », qui découle de la combinaison du principe de l’inviolabilité de la dignité humaine et du droit au libre développement de la personnalité. La Cour n’exclut pas que l’assistance au suicide puisse être davantage réglementée, à condition qu’un espace effectif de libre autonomie soit reconnu, et enfin précise que l’obligation d’assister le suicide d’une autre personne ne peut en aucun cas être imposée à quiconque.

 

Le référendum sur l’homicide de la personne consentante

Un élément important du scénario actuel est le référendum promu par l’association Luca Coscioni sur l’art. 579 du Code pénal, qui traite de l’homicide d’une personne consentante. Il est demandé d’abroger les sanctions qui y sont attachées, sauf en cas de mineur, de démence ou d’altération de la conscience, et de consentement obtenu par tromperie ou extorqué par violence. Le résultat serait d’autoriser l’homicide sans le soumettre à d’autres conditions que celles garantissant la validité du consentement. Il est dit que des conditions similaires à celles énoncées dans l’arrêt n° 242/2019 seraient ensuite introduites. Cependant, aucune contrainte juridique ne garantit une intervention législative supplémentaire et celle-ci serait laissée aux aléas d’équilibres politiques précaires. Toutefois, dans l’intervalle, même une personne en bonne santé tomberait dans l’espace ouvert par le référendum.

Le référendum abrogatif montre ici toute son inadéquation. D’une part, elle oblige en effet à formuler une alternative drastique qui ouvre une brèche énorme sans aucune assurance de pouvoir en moduler les effets ; d’autre part, elle pose une question sur laquelle la conscience publique est très approximative, comme le montre le résultat des lois mentionnées ci-dessus.

Nous ne savons pas si la Cour déclarera la question recevable. Mais si c’est le cas, on peut s’attendre à un grand nombre, voire une majorité, de votes favorables, étant donné le grand nombre de signatures recueillies en faveur du référendum[15]. Il s’agirait d’une violation grave de l’ordre juridique à l’égard d’un bien fondamental, à savoir la vie. À ce stade, le PDL pourrait constituer une digue, bien qu’imparfaite et elle-même problématique : bien qu’il n’avance aucun argument juridique pour annuler le référendum, puisqu’il traite d’un autre article du Code pénal, il constituerait néanmoins un point d’appui politique pour soutenir, au moins, un vote défavorable.

 

Le projet de loi et les situations cliniques requises

Quant au contenu du PDL, le Parlement n’est pas lié par les arrêts de la Cour, à l’exception du noyau juridique constitutionnel de l’arrêt sur l’art. 580. D’autre part, le Parlement peut reconnaître dans l’arrêt un indicateur de la convergence entre les différentes positions qui pourrait être réalisée en reprenant les demandes avec sa propre décision. C’est, en effet, dans ce sens que le PDL semble avancer : « Nous avons choisi de suivre pas à pas les pas tracés par la Cour constitutionnelle, parce que c’est la seule voie qui peut mener à l’approbation[16] », explique l’un des deux rapporteurs, le député Alfredo Bazoli (du Parti démocratique), conscient des tirs croisés dont le PDL fait l’objet. Cette position est également soutenue par le président émérite de la Cour constitutionnelle, Giovanni Maria Flick[17]. Examinons donc les principaux points.

Comme l’arrêt n° 242/2019, le texte ne reconnaît pas de droit au suicide mais le droit de demander de l’aide pour le réaliser, sous certaines conditions[18]. Ces conditions sont reprises, et partiellement reformulées, par les dispositions de la Cour. L’expression « pathologie irréversible », utilisée par l’arrêt, est qualifiée de manière restrictive de « pronostic funeste ». D’autre part, l’expression « état clinique irréversible » est ajoutée. Cet ajout, qui est en tout cas relié par un lien de causalité à la douleur et à la souffrance intolérables, inclut les situations de maladie chronique incurable, même lorsque la mort n’est pas attendue à court terme. Il s’agit d’une perspective problématique, mais que la Cour a sanctionnée en se référant à la situation de Fabo, et qui est aussi présente dans de nombreux événements qui ont occupé le devant de la scène médiatique.

Nous constatons que la description des situations cliniques considérées comme nécessaires pour demander l’assistance pour mourir, bien qu’initialement clairement spécifiées, devient floue avec le temps. C’est par exemple ce qui se passe en Belgique en matière de « polypathologie », une situation dans laquelle la souffrance ne découle pas d’une maladie spécifique, comme l’exige la loi, mais d’un ensemble de dysfonctionnements divers et nuancés. Ensemble, elles finissent cependant par permettre l’assistance au suicide (ou l’euthanasie) : ce sont des conditions très fréquentes dans la vieillesse, allant jusqu’à inclure la « lassitude de la vie »[19].

 

Traitements de support vital

Le traitement médical de support vital, dont le patient dépend, est une autre condition requise, en plus de celles qui viennent d’être décrites. Cependant, il n’est pas facile de préciser leur définition. Nous l’avons vu dans le récent avis du Comité régional d’éthique de la région des Marches (29 novembre 2021), concernant le cas de « Mario »[20]. Le Comité déclare que le patient n’est pas maintenu en vie par des traitements habituellement considérés comme des supports vitaux (respirateur, hydratation et nutrition artificiels), mais par des dispositifs et manœuvres qui « jouent un rôle subsidiaire » (tels que le stimulateur cardiaque, la sonde vésicale et l’évacuation manuelle). Toutefois, les interrompre pourrait entraîner des complications susceptibles de conduire à la mort, à moins que l’on ne procède à des interventions invasives qui provoqueraient encore davantage de souffrances. Le Comité conclut que les conditions énoncées dans l’arrêt n° 242/2019 sont remplies.

Cet exemple constitue un cas particulier d’un phénomène général, souvent appelé la « pente glissante » : on commence par considérer des cas exceptionnels pour ensuite inclure des situations de plus en plus répandues et fréquentes. Les expériences en Belgique et aux Pays-Bas nous l’ont appris[21]. Les avis divergent sur la valeur de l’argument de la « pente glissante » dans ses différentes versions. Ceux qui contestent sa validité affirment que la pente glissante peut être évitée si des conditions précises et des moyens de vérification appropriés sont établis[22]. Toutefois, l’expérience des pays où l’assistance à la mort volontaire est légalement autorisée nous semble attester des dérapages dus à une série de facteurs culturels interdépendants, notamment la langue, la législation, les pratiques et les émotions.

Dans le cas du consentement quelque chose d’analogue se produit, comme nous le verrons dans un instant. Mais pour conclure sur la question du support vital, un amendement qui le qualifierait mieux, même s’il n’est guère acceptable pour les partisans du référendum, pourrait être – selon l’auteur – d’ajouter que sa suspension entraînerait la mort « directement et rapidement ».

 

Consentement et autonomie

L’actualité du consentement empêche de procéder lorsque les souhaits sont exprimés à l’avance ou dans des conditions où la capacité de décider est affaiblie. C’est pourquoi elle garantit, au moins en théorie, une distinction entre l’assistance au suicide et l’euthanasie, bien que cette distinction ne soit pas facile à maintenir en pratique[23]. Le titre même de la PDL laisse entrevoir ce flou : l’expression « mort volontaire médicalement assistée » est souvent utilisée pour désigner un ensemble de procédures incluant les deux cas, parfois par manque de précision, parfois par incompréhension des termes[24]. L’utilisation d’une expression comme « assistance au suicide » pourrait éviter l’ambiguïté.

Cependant, la question du consentement conduit à un problème plus profond, celui des différentes interprétations de la liberté. D’un côté, il y a ceux qui mettent l’accent sur l’autonomie, en soulignant l’indépendance de l’individu autosuffisant. C’est une perspective qui a eu l’importante fonction historique de protéger la sphère personnelle contre l’intrusion de multiples formes de pouvoir. D’autre part, on souligne que le monopole de l’autodétermination conduit à une compréhension réductrice des relations interpersonnelles et de la complexité du sujet humain. Alors prévaut une logique contractuelle calquée sur le modèle des biens matériels, selon laquelle un accord est conclu ou résilié en calculant les coûts et les avantages.

 

Relations, confiance et interdépendance

Toutefois, la relation avec autrui ne s’ajoute pas à un sujet déjà établi, comme dans le cas d’un contrat. La personne est plutôt constituée de relations. Dès notre naissance, nous prenons conscience du rôle et de l’initiative d’autres de qui nous recevons la vie ; c’est le moment originel indisponible où tout autre discours sur la disponibilité de la vie s’enracine et prend sens. Le consentement que nous donnons à l’autre n’est pas d’abord « informé » : il ne se fonde pas sur la connaissance, mais sur la confiance, une attitude fondamentale à l’égard des choses, des personnes et des institutions, sans laquelle il n’est pas possible d’accéder au sens qui guide l’existence et l’action[25]. Nous sommes donc d’emblée placés dans un contexte de relations qui nous rendent mutuellement solidaires : notre identité personnelle est structurellement relationnelle.

Pour s’exercer correctement, la liberté humaine doit tenir compte des conditions qui lui ont permis d’émerger et les assumer dans ses actions : dans la mesure où elle est précédée par d’autres, elle est responsable devant eux[26]. La vie humaine ne peut donc pas être réduite à un simple objet dont on dispose dans la sphère privée et individuelle comme si elle n’avait aucun effet sur les autres. Mettre l’accent de manière univoque sur l’autodétermination conduit à sous-estimer l’influence réciproque qui s’exerce à travers une culture partagée et des circonstances concrètes : les demandes apparemment libres sont en fait le résultat d’une injonction sociale, dont l’impulsion économique est un élément important. « Défendez-moi de ce que je veux », écrit le philosophe coréen Han dans l’exergue d’un de ses livres[27]. La question du consentement est donc très délicate.

Mais il y a plus. L’expérience des pays où la mort (médicalement) assistée est autorisée montre que le nombre de personnes admises a tendance à augmenter : aux patients adultes compétents s’ajoutent des patients dont la capacité de décision est compromise, parfois même gravement[28]. On constate aussi une augmentation de cas d’euthanasie involontaire et de sédation palliative profonde sans consentement[29]. Nous nous trouvons donc devant un fait contradictoire : au nom de l’autodétermination, on en vient à réduire l’exercice effectif de la liberté, notamment chez les personnes les plus vulnérables ; l’espace d’autonomie, dont on voudrait que le consentement soit l’expression, est progressivement érodé[30].

 

Possibilité d’objection de conscience

La possibilité d’objection de conscience ne semble pas apparaître dans l’arrêt n° 242/2019, car le choix de fournir l’assistance au suicide est confié à la conscience de chaque médecin. Au Service national de santé (SSN) est confiée uniquement la tâche de vérifier les conditions et les procédures, c’est-à-dire une fonction de garantie, et non une implication directe. La disposition relative à l’objection de conscience n’est donc pas nécessaire ; ce qui évite d’introduire une tension avec les objectifs du SSN, qui est orienté « vers la promotion, le maintien et le rétablissement de la santé physique et mentale de toute la population sans distinction de conditions individuelles ou sociales » (L. nº 833/1978, art. 1).

Toutefois, cette solution conduit à des modèles similaires à celui en vigueur en Suisse, où les soins et l’événement même de la mort sont « privatisés ». Le terme « privatisé » est utilisé ici dans toutes ses acceptions : s’appuyer sur des entreprises privées, y compris commerciales ; faire disparaître l’expérience de la mort de la sphère publique ; priver le patient du réseau de relations qui tisse la coexistence sociale et le soutient en temps de crise. C’est un scénario que la loi entend éviter en prévoyant que le décès peut également avoir lieu dans une structure hospitalière (art. 5.5).

Cela peut cependant donner lieu à des conflits de conscience chez les opérateurs sanitaires quant à l’opportunité de s’impliquer dans le processus. Il faut donc garantir l’objection de conscience qui dispense l’opérateur sanitaire « d’effectuer des procédures et des activités visant spécifiquement le suicide et non l’assistance préalable à l’intervention » (art. 5bis.3). Cela assurerait, d’une part, la protection du professionnel de santé et, d’autre part, permettrait à ceux qui se posent la question du suicide de rencontrer une pluralité de voix dans le processus de formation de leur propre jugement.

 

L’importance des soins palliatifs

Les soins palliatifs sont mentionnés à plusieurs reprises dans la PDL. Tout d’abord, elle exige à juste titre que le patient y soit associé, comme condition impérative à la demande (art. 3.1) : il serait incongru d’inclure la douleur et la souffrance intolérables parmi les conditions sans recourir préalablement aux moyens disponibles pour les atténuer. Cependant, la dernière partie de l’article, qui ajoute qu’ils doivent être « explicitement refusés », est moins claire.

Si, d’une part, on peut comprendre l’intention de maintenir la distinction entre l’assistance au suicide et les soins palliatifs qui « n’ont l’intention ni de hâter ni de retarder la mort[31] », d’autre part, il semble difficile de rejeter les traitements dont l’intention est de soulager la douleur même lorsqu’elle devient « totale », c’est-à-dire quand c’est-à-dire quand elle touche toutes les dimensions de la personne dans ses différents besoins physiques, émotionnels et spirituels[32]. En même temps, il ne serait pas approprié de mettre l’accent sur la possibilité d’exclure les soins palliatifs (cf. art. 5.3) plus que sur le droit et l’avantage d’y accéder.

 

Comités d’évaluation clinique

En ce qui concerne les organismes chargés d’examiner les conditions cliniques requises, la loi s’écarte du jugement n° 242/2019. Alors que la Cour a attribué cette tâche aux comités d’éthique territoriaux, l’art. 6 de la PDL fait référence aux comités d’évaluation clinique. En fait, cela ne semble pas être la tâche d’un comité d’éthique, même si actuellement les comités territoriaux ont principalement pour tâche d’examiner des protocoles d’expérimentation.

Il s’agit ici d’exprimer un jugement technique de concordance entre les conditions prévues par la loi et la situation clinique concrète du patient. Le jugement est donc plus technique qu’éthique.

 

Une loi « imparfaite » acceptable ?

Il ne fait aucun doute que la loi en question, même si elle ne concerne pas l’euthanasie, s’écarte des positions exprimées par le Magistère de l’Église dans des documents récents sur l’illégalité de l’assistance au suicide[33]. L’évaluation d’une loi étatique exige la prise en compte d’un ensemble complexe d’éléments ayant trait au bien commun, comme nous le rappelle le pape François : « Au sein des sociétés démocratiques, des arguments délicats de ce type doivent être affrontés avec calme : de façon sérieuse et réfléchie, et bien disposés à trouver des solutions — notamment normatives — le plus possible partagées. D’un côté, en effet, il faut tenir compte de la diversité des visions du monde, des convictions éthiques et des appartenances religieuses, dans un climat d’écoute et d’accueil réciproque. De l’autre, l’État ne peut renoncer à protéger tous les sujets concernés, en défendant l’égalité fondamentale selon laquelle chacun est reconnu par le droit comme être humain qui vit avec les autres en société[34] ».

La question qui se pose est, en résumé, de savoir s’il faut donner à cette PDL une appréciation globalement négative, avec le risque de favoriser la libéralisation référendaire de l’homicide du consentant, ou si l’on peut tenter de la rendre moins problématique en modifiant les termes les plus néfastes. Cette tolérance serait motivée par la fonction de tampon contre d’éventuels dommages plus graves. Le principe traditionnel qui pourrait être utilisé est celui des « lois imparfaites », également employé par le Magistère en ce qui concerne l’interruption volontaire de grossesse. Le critère ne serait pas automatiquement applicable ici, puisqu’il s’agit plus de risques que de certitudes : il ne s’agit pas ici d’améliorer une loi plus permissive déjà en vigueur[35]. Pourtant, dans ce contexte, l’omission d’une intervention risque fortement de faciliter un résultat plus négatif[36]. Ceux qui sont au Parlement doivent, d’une part, tenir compte du fait que soutenir cette loi ne revient pas à opérer le mal réglementé par la norme juridique, mais, malheureusement, à laisser aux citoyens la possibilité de l’exécuter. D’autre part, les conditions culturelles au niveau international poussent fortement dans la direction de scénarios plus problématiques sur le plan éthique contre lesquels il faut se prémunir avec une sage ténacité.

Enfin, au regard de la situation du pays et du rappel de la Cour constitutionnelle adressé au Parlement, il nous semble important de produire une loi. La fuite du législateur ou le naufrage du PDL porteraient un nouveau coup à la crédibilité des institutions à un moment déjà critique. Malgré la concomitance de valeurs difficilement conciliables, il nous semble qu’il n’est pas souhaitable d’esquiver le poids de la décision en noyant la loi. Diverses forces politiques vont dans ce sens, mais avec des motivations opposées : les unes pour ouvrir la voie au référendum et faciliter la victoire du « oui », les autres pour repousser indéfiniment la discussion sur une question épineuse. Dans la situation culturelle et sociale actuelle, il semble à l’auteur que le soutien à ce PDL n’entre pas en conflit avec une poursuite responsable du bien commun possible.

 

 

[1] Cf. D. Callahan, « Reason, Self-determination, and Physician-Assisted Suicide », dans : K. Foley – H. Hendin (éds), The Case against Assisted Suicide : For the Right to End-of-Life Care, Baltimore – Londres, Johns Hopkins University Press, 2002, 52-68.

[2] Cf. W. Ricciardi, Sanità pubblica. Scienza e politica per la salute dei cittadini, Milan, Vita e Pensiero, 2021, en particulier 138-145.

[3] Cf. www.iss.it/one-health.

[4] Cf. Á. Lobo Arranz, « Eutanasia, l’altra ondata che investe l’Europa », Civ. Catt. 2021 IV 157-168.

[5] Cf. http://documenti.camera.it/leg18/PDL/pdf/leg.18.PDL.camera.2 _­A.18PDL0167820.pdf.

[6] Pour un commentaire, cf. C. Casalone, « Diritto sulla vita e valore della vita. Prospettiva etico-teologica », dans : Verduci V. (éd.), Il diritto sulla vita. Testamento biologico, autodeterminazione e dignità della persona, Pise, Pacini Giuridica, 2018, 37-54.

[7] Cf. C. Casalone, « Vivere il morire con umanità e solidarietà », Civ. Catt. 2017 IV 533-545.

[8] Cf. D. P. Sulmasy, « Killing and Allowing to Die : Another Look », Journal of Law, Medicine & Ethics 26 (1998/1) 55-64 ; P. Requena Meana, Dottore, non faccia tutto il possible ! Dalla limitazione alla prudenza terapeutica, Rome, Società Editrice Universo, 2021.

[9] Cf. l’enquête de l’Association VIDAS (www.vidas.it/rassegna-stampa/biotestamento-una-ricerca-nazionale).

[10] Cf. P. M. Cattorini, Suicidio ? Un dibattito teologico, Turin, Claudiana, 2021, 100.

[11] Cf. L. Scaraffia – F. Cancelli, Nella morte a occhi aperti. Cattolici, laici e conflitto dei valori, Brescia, Morcelliana-Scholé, 2021, 181-192.

[12] Le patient était également dépendant d’une aide extérieure pour la respiration, bien que non continuellement, pour l’alimentation et pour l’évacuation.

[13] Cf. F. Occhetta, « Il suicidio assistito : un nodo politico da sciogliere », Civ. Catt. 2019 IV 243-252.

[14] Pour un résumé en anglais, cf. www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Pressemitteilungen/EN/2020/bvg20-012.html.

[15] Plus de 1,2 million de signatures ont été recueillies, dont plus de 300 000 en ligne.

[16] Cf. V. Maglione – B. L. Mazzei, « Fine vita : la stretta tra Parlamento e referendum », Il Sole 24 Ore (cf. www.ilsole24ore.com), 17 décembre 2021.

[17] Cf. A. Picariello, « Eutanasia, si rischia la deriva », Avvenire, 3 décembre 2021, 10.

[18] Il convient de noter que la loi belge reconnaît aussi un droit non pas au suicide assisté (que la législation réglemente d’ailleurs de la même manière que l’euthanasie), mais à le demander ; pourtant, après vingt ans, on parle encore couramment du droit à l’assistance (cf. E. Montero, « The Belgian Experience of Euthanasia Since Its Legal Implementation in 2002 », dans : D. A. Jones – Ch. Gastmans – C. MacKellar (éds), Euthanasia and Assisted Suicide. Lessons from Belgium, Cambridge, Cambridge University Press, 2018, 37 s).

[19] Cf. K. Raus – B. Vanderhaegen – S. Sterckx, « Euthanasia in Belgium : Shortcomings of the Law and Its Application and of the Monitoring Practice », The Journal of Medicine and Philosophy 46 (2021) 89.

[20] Le patient (appelé ainsi pour des raisons de confidentialité), tétraplégique depuis 10 ans à la suite d’un accident de voiture, a demandé à être aidé pour se suicider, en se prévalant de la sentence nº 242/2019 (cf. www.quotidianosanita.it/cronache/articolo.php?articolo_id=100262).

[21] Cf. E. Montero, art. cit., 46 s.

[22] Cf. G. Fornero, Indisponibilità e disponibilità della vita. Una difesa filosofico-giuridica del suicidio assistito e dell’eutanasia volontaria, Turin, UTET, 2020, 499-538.

[23] Cf. P. Friesen, « Medically Assisted Dying and Suicide. How Are They Different, and How Are They Similar ? », Hastings Center Report50 (2020/1) 32-43.

[24] Cf. J. Keown, Euthanasia, Ethics and Public Policy. An Argument against Legalisation, Cambridge, Cambridge University Press, 2019, 7-21 ; D. Callahan, « Organized Obfuscation : Advocacy for Physician-Assisted Suicide », Hastings Center Report 38 (2008/5) 30-32.

[25] Cf. M. Hunyadi, Au début est la confiance, Larmont, Le Bord de l’eau, 2020, 11.

[26] Cf. M. Chiodi – M. Reichlin, Morale della vita. Bioetica in prospettiva filosofica e teologica, Brescia, Queriniana, 2017, 203-216.

[27] Cf. B.-C. Han, Psicopolitica. Il neoliberismo e le nuove tecniche del potere, Milan, nottetempo, 2016.

[28] En Belgique, depuis 2014, les mineurs jugés « capables de discernement », quel que soit leur âge, peuvent y avoir accès (cf. S. Van Gool – J. de Lepeleire, « Euthanasia in Children. Keep Asking the Right Questions », dans : A. D. Jones – Ch. Gastmans – C. MacKellar [éds], op. cit., 173-187).

[29] Cf. ibid., 279-283.

[30] Cf. M.-J. Thiel, « Devoir mourir au nom de son autonomie ? », La Croix (www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats), 6 mars 2017.

[31] Worldwide Hospice Palliative Care Alliance – World Health Organization, Global Atlas of Palliative Care, 2020, 13.

[32] Cf. A. Turriziani – G. Zaninetta, Il mondo delle cure palliative, Bologne, Esculapio, 2018, 329-332.

[33] Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre Samaritanus bonus sur le soin des personnes en phases critiques et terminales de la vie, 20 septembre 2020 ; Bureau national pour la pastorale de la santé de la Conférence des évêques d’Italie, Alla sera della vita. Riflessioni sulla fase terminale della vita terrena, Savona, Romeni, 2020.

[34] François, Rencontre régionale européenne de la World Medical Association sur les questions concernant la fin de vie, 16 novembre 2017, in www.vatican.va.

[35] Cf. L. Eusebi, « Introduzione. Etica e diritto nella società pluralista », dans : Id. (éd.), Il problema delle « leggi imperfette ». Etica della partecipazione all’attività legislativa democratica, Brescia, Morcelliana, 2017, 17 s.

[36] Cf. ibid., 19. M. Faggioni dit ceci : L’« initiative peut devenir urgente lorsqu’on s’attend à un projet de loi sur cette question qui soit beaucoup moins respectueux de certaines valeurs fondamentales ou franchement injuste » (M. Faggioni, « Il teorema della legge imperfetta e il principio del male minore », dans : L. Eusebi (éd.), op. cit., 99). Dans notre cas, l’urgence est déterminée par le référendum à venir.