La Laylat al-Qadr (« Nuit du destin ») est l’un des moments forts de la vie de Jérusalem. En temps normal, des centaines de milliers de musulmans affluent de toute la Palestine et d’Israël vers Haram al-Sharif (le Noble Sanctuaire, un grand complexe dans la Vieille Ville, qui comprend le Dôme du Rocher et la mosquée al-Aqsa) pour y célébrer cette nuit sainte.
La nuit commémore la première révélation du Coran au prophète de l’Islam, Mahomet. Elle est célébrée chaque année, vers la fin du Ramadan – le mois du jeûne –, et les musulmans de Terre Sainte attendent avec euphorie de passer cette nuit priant en communauté au sein de l’enceinte sacrée. La quatre-vingt-dix-septième sourate du Coran décrit la Laylat al-Qadr comme « meilleure que mille mois » et poursuit : « En elle descendent les anges et l’Esprit avec la permission de leur Seigneur pour [réparer] chaque décret. C’est la paix, jusqu’à l’aube ». Mais cette année, où la Laylat al-Qadr est tombée le 8 mai, il n’y a pas eu de paix et les rêves de beaucoup ont été brisés par la nouvelle explosion de violence qui a englouti une grande partie d’Israël et de la Palestine.
Bien que les flambées de violence ne surprennent pas ceux qui vivent au cœur de ce fléau non traité qu’est le conflit ente Israël et Palestine, cette fois l’ampleur et l’intensité de la violence méritent de l’attention.
Jérusalem, une ville assiégée
Le mois de Ramadan, qui a débuté le 12 avril 2021, a été marqué par l’ombre de la pandémie du Covid-19. Beaucoup de musulmans ont été empêchés de quitter la Palestine et de se rendre à Jérusalem à cause de la propagation persistante du virus et du peu de vaccinations effectuées dans la zone palestinienne. Bien qu’Israël continue de contrôler ces territoires, directement ou indirectement, en régulant l’accès à des zones considérées comme autonomes, et malgré le succès remarquable qu’il a obtenu dans la lutte contre le coronavirus, le vaccin n’a pas été partagé avec les Palestiniens.
Les musulmans de Jérusalem et d’Israël avaient l’habitude d’affluer à Haram al-Sharif pour la nuit. Cette année, les autorités israéliennes ont décidé de leur interdire de se rassembler à la Porte de Damas, qui est pour les Palestiniens la principale voie d’accès au Haram. La place et les escaliers à l’extérieur de cette porte sont le théâtre habituel des événements culturels et le point de rencontre de tous ceux qui quittent la vieille ville avant de rentrer chez eux. Ici, les familles échangent ordinairement des salutations et des nouvelles dans une ambiance festive.
La police israélienne est arrivée en force et a bouclé la zone, dispersant les musulmans qui tentaient de se rassembler. Les protestations de la communauté palestinienne qui ont suivi, dirigées par des jeunes en colère, ont dénoncé l’action de la police comme un symbole de la tentative continue et implacable d’Israël de s’emparer de l’ensemble de Jérusalem Est.
Les affrontements autour de la Porte de Damas se sont étendus à la zone du Haram. Les forces armées israéliennes sont entrées dans les mosquées et de nombreuses personnes ont été blessées et arrêtées à l’intérieur de l’esplanade sacrée. Voir tout le Haram se transformer en zone de guerre a une fois de plus choqué les musulmans du monde entier.
Juste au nord du Haram, le quartier de Sheikh Jarrah est le théâtre d’une autre tentative israélienne qui dure depuis des années. Il s’agit d’un scénario de violence croissante, alimentée par les expulsions imposées aux familles palestiniennes qui ont reçu l’ordre d’abandonner les maisons qu’elles avaient occupées au lendemain de la guerre de 1948, lors de la création de l’État d’Israël. Ces familles, qui ont fui le territoire devenu israélien, s’installent sur des propriétés autrefois habitées par des Juifs qui, à leur tour, s’installent dans les nouvelles zones disponibles.
Il se peut que la restitution des propriétés aux propriétaires originels réponde à un principe de justice, cependant ce droit de restitution ne s’applique qu’aux Juifs. À leur tour, les centaines de milliers de Palestiniens qui ont fui ou ont été expulsés des territoires devenus une partie de l’État israélien ont dû quitter des biens importants : maisons, champs et commerces expropriés et remis aux juifs qui sont venus s’installer dans le pays. Il n’y a maintenant aucune intention de les rendre aux Arabes palestiniens qui les possédaient à l’origine. De plus, quand les domaines des anciennes propriétés juives sont évacués par les Palestiniens, ce ne sont pas les anciens propriétaires qui s’installent mais des colons juifs qui veulent créer des enclaves juives fortes et gardées au cœur des quartiers arabes. Le phénomène est bien connu à Jérusalem Est et retrace le processus similaire qui s’est déroulé dans le quartier de Silwan, dans la partie sud de la vieille ville. Les Arabes et les Juifs progressistes protestent depuis des années – avec de piètres résultats – contre les manœuvres israéliennes à Sheikh Jarrah et Silwan. De plus, les manifestations à Sheikh Jarrah, qui ont coïncidé avec les événements à la Porte de Damas, sont aussi devenues plus violentes.
Cheikh Jarrah, Silwan et la Porte de Damas sont trois points clés à Jérusalem Est qui illustrent un principe général. Pendant des décennies, Israël a exercé un contrôle strict sur la partie arabe de la ville, déterminé à rendre la vie des Palestiniens qui y vivent de plus en plus difficile. Immédiatement après la guerre de 1967, les autorités israéliennes ont commencé la construction de véritables anneaux de colonies juives autour de Jérusalem Est, pour séparer le secteur de Bethléem au sud, de Ramallah au nord et de Jéricho à l’est. Dans le même temps, ils ont voté la loi d’annexion de Jérusalem Est, définie comme faisant partie intégrante de l’État d’Israël, à Jérusalem Ouest, capitale « éternelle » du peuple juif. Le mur qui a été construit au début des années 1990 a été présenté par les Israéliens comme une mesure de sécurité contre les attaques terroristes, mais en fait il a encore plus divisé Jérusalem Est du reste du territoire palestinien.
Ces dernières années, les autorités israéliennes se sont lancées dans un processus de cartographie des terres et d’urbanisme qui prélude à une vaste confiscation des terres et empêche les Palestiniens de développer la ville, de construire des quartiers résidentiels et de créer des entreprises commerciales. Beaucoup d’habitants de Jérusalem Est, incapables de trouver un logement dans leur ville, ont été contraints d’émigrer au-delà des frontières municipales israéliennes de Jérusalem, perdant leur résidence, et dans de nombreux cas cela a entraîné la confiscation de leurs cartes d’identité de Jérusalem. De plus, les habitants de Jérusalem qui épousent des Palestiniens de Cisjordanie ne peuvent pas résider avec eux à Jérusalem, car leurs partenaires se voient refuser le droit de rester dans la ville. Alors, s’ils déménagent avec leur conjoint en Cisjordanie, risquant de perdre leur droit de séjour à Jérusalem.
Une impasse politique
La solution des innombrables conflits qui affectent Jérusalem et ses habitants palestiniens aujourd’hui dépend d’un processus politique israélo-palestinien inexistant. Si, avec un euphémisme bienveillant, elle pouvait être qualifiée de « bancale » avant 2017, depuis elle a été littéralement dévastée sous les coups de l’administration Trump. Le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem, la rupture des relations officielles avec les Palestiniens et la légitimation de la politique de Netanyahu ont semé le désespoir dans les cercles palestiniens.
Plus récemment, l’interdiction israélienne aux Palestiniens de Jérusalem Est de participer aux élections politiques générales de Palestine, prévues en mai 2021, a servi de justification pour l’annulation de tout le scrutin. Beaucoup de Palestiniens sont convaincus que la vraie raison de ce report est la peur du président Mahmoud Abbas de perdre les élections et d’être battu par la faction islamique du Hamas. Plus généralement, les habitants de Jérusalem Est se sentent complètement abandonnés par l’Autorité palestinienne face aux tentatives israéliennes de contrôler Jérusalem et estiment qu’elle préfère concentrer ses efforts diplomatiques et politiques sur la lutte pour maintenir l’intégrité des territoires restants en Cisjordanie en dehors de la région de Jérusalem.
Cette impasse politique est encore renforcée par la situation de l’État israélien. En juillet 2019, Benjamin Netanyahu est devenu le Premier ministre israélien le plus longtemps au pouvoir, dépassant David Ben Gourion. Après les dernières élections israéliennes du 23 mars 2021, il a de nouveau été chargé d’essayer de former un nouveau gouvernement. Cependant, face aux critiques croissantes non seulement du centre et de la gauche israéliens, mais aussi de la droite, il avait besoin de plus de soutien que ses alliés juifs ultraorthodoxes ne pouvaient lui offrir. Il a donc promu la formation d’une coalition d’extrême droite, qui comprenait des membres de groupes extrémistes bien connus pour leur rejet de tout compromis avec les Palestiniens et pour leur racisme envers tous les Israéliens « non juifs ». Ces forces politiques sont entrées au Parlement au lendemain des élections, convaincues que la succession de Netanyahu dépendait d’elles et que, de ce fait, il les accompagnerait.
Le 22 avril, un mois après les élections, ces groupes extrémistes israéliens ont organisé une marche sur Jérusalem Est, avec l’intention déclarée de rendre honneur aux Juifs de la ville : un honneur offensé par les vidéos postées sur les réseaux sociaux par certains jeunes Palestiniens, qui les avaient tournés en se livrant à des provocations, comme gifler et bousculer des Juifs dans des lieux publics. Ces images ont été utilisées comme carburant pour alimenter l’indignation populaire. Des centaines de militants se sont rassemblées à Jérusalem Ouest, brandissant des banderoles et scandant des slogans menaçant les Arabes alors qu’ils marchaient vers la Porte de Damas. La police israélienne n’a pas dissous la marche, se limitant à empêcher les participants d’entrer dans la zone de la Porte de Damas. Les violences, déjà en cours en raison des barricades érigées par la police, se sont intensifiées, faisant de nombreux blessés. Des bandes de manifestants juifs sont retournées à Jérusalem Ouest et ont attaqué les citoyens arabes qu’elles rencontraient. Quelques jours plus tard, le 25 avril, la police a annulé la décision mystérieuse et inexplicable d’occuper la Porte de Damas, se retirant et permettant qu’on enlève des barrières. Mais le calme n’a pas duré longtemps, et les soirs de ramadan la tension est restée intense.
Lorsqu’arriva la Laylat al-Qadr, le 8 mai, les élections palestiniennes avaient été reportées indéfiniment et le mandat de Netanyahu pour former un nouveau gouvernement était expiré. En effet, le 4 mai, le président israélien Reuven Rivlin avait confié la tâche de former un gouvernement à Yair Lapid, chef de l’opposition. Il a tenté de créer une coalition anti-Netanyahu, en se basant sur des allégations de corruption contre le Premier ministre et sa rupture avec d’autres dirigeants de la droite israélienne. En substance, plutôt que de créer une alternative crédible pour la société israélienne, il a recherché un consensus contre la personne de Netanyahu et a donc été contraint d’ignorer la situation instable afin de ne pas s’aliéner des alliés potentiels à gauche et à droite. Pendant ce temps, Netanyahu a continué à gouverner en attendant la nomination d’un successeur.
Tandis que la Laylat al-Qadr arrivait sur la ville, les autorités israéliennes ont décidé d’arrêter les dizaines de bus transportant les fidèles musulmans, en provenance de l’arrière-pays, vers Jérusalem. Les passagers, tous citoyens israéliens musulmans, sont descendus des bus et se sont dirigés vers la Ville sainte, convaincus que la police se comporterait avec plus de prudence à leur égard qu’ils ne l’avaient fait avec les habitants de Jérusalem Est et d’autres territoires occupés. Ces derniers ont rapidement incité les autorités à revenir sur leur décision, et les bus ont repris leur voyage, mais le mal était fait et les pèlerins bouillonnaient de colère. Ce qui était considéré comme la profanation d’un moment et d’un lieu sacrés a enflammé les musulmans partout, et en particulier dans les villes et villages de Palestine et d’Israël.
Deux jours après la Laylat al-Qadr, le 10 mai, des milliers de Juifs israéliens ont afflué à Jérusalem pour célébrer l’anniversaire de l’occupation israélienne de Jérusalem Est. Yom Yerushalayim (« Journée de Jérusalem ») est une commémoration annuelle qui, chaque année, conduit à un accroissement des tensions dans la ville. L’événement principal est la « Marche des drapeaux », au cours de laquelle des milliers de jeunes juifs israéliens défilent dans les rues de Jérusalem en agitant des drapeaux israéliens et en chantant des chansons nationalistes. Au cours de leur marche, ils franchissent la Porte de Damas et traversent le quartier musulman de la vieille ville, en direction du mur occidental, lieu sacré et symbole juif, situé juste en dessous du Haram al-Sharif. Dans un ordre de dernière minute, le Premier ministre Netanyahu a annulé le défilé dans la vieille ville, mais la frustration et la colère étaient déjà montées et avec elles la violence à l’intérieur et à l’extérieur du Haram et dans le quartier de Sheikh Jarrah.
Palestiniens qui sont Israéliens
La violence à Jérusalem Est, et en particulier dans le Haram, a suscité de vives réactions non seulement parmi les Palestiniens vivant sous l’occupation israélienne dans les territoires saisis lors de la guerre de 1967, mais aussi parmi les Palestiniens qui sont citoyens d’Israël et vivent à l’intérieur des frontières internationales définies en 1948. Beaucoup d’entre eux avaient vécu les tensions à Jérusalem à l’occasion du voyage au Haram. Les Arabes palestiniens qui sont citoyens de l’État d’Israël représentent environ 21 % de la population totale et participent à la vie politique israélienne. Aux élections de 2020, une coalition de quatre partis majoritairement arabes – la Liste arabe unie – a réussi à remporter 15 des 120 sièges parlementaires, un véritable record.
L’opposition a maintenu cette coalition ensemble, d’accord sur l’occupation israélienne des territoires palestiniens et sur la discrimination contre les Arabes en Israël. Cet agenda partagé a cependant été désavoué par un éminent politicien arabe conservateur, Mansour Abbas, qui dirige l’une des quatre formations qui composent la coalition. Abbas a non seulement rompu avec ses alliés, mais il a aussi entamé des pourparlers avec la droite israélienne, avec l’intention de soutenir un gouvernement Netanyahu. Abbas partage une approche conservatrice de diverses questions sociales avec la droite israélienne. Après la scission de la Liste arabe unie, beaucoup de citoyens arabes d’Israël ne sont pas allés voter aux élections de 2021. Le consensus pour les partis majoritairement arabes est passé de 15 sièges à 10 (six sur la liste commune et quatre sur le parti conservateur d’Abbas). Après les élections, Netanyahu avait encore plus besoin du soutien d’Abbas pour former un gouvernement. Mais ses autres alliés, les extrémistes de droite, ont refusé d’accepter l’implication arabe dans la coalition qu’il tentait de former.
Le refus des alliés de Netanyahu opposés à Abbas a une fois de plus mis en évidence la discrimination à l’encontre des citoyens arabes palestiniens d’Israël. Bien qu’ayant le droit de vote, ils sont confinés à un régime de discrimination qui affecte presque tous les aspects de leur vie dans un État qui se dit « juif », bien qu’il proclame avec insistance qu’il est démocratique. En 2018, le Parlement israélien a adopté une loi réaffirmant qu’Israël est l’État-nation du peuple juif, soulignant une fois de plus la nature problématique de la démocratie israélienne. La discrimination qui affecte les Arabes est particulièrement évidente dans les domaines de l’éducation, des soins de santé, de l’emploi, du développement communautaire, de la propriété foncière et des services municipaux. Une autre conséquence dévastatrice de ce régime discriminatoire est déterminée par l’absence de la police dans les villes arabes : pour cette raison, le crime, le trafic d’armes et le trafic de drogue y ont fleuri, faisant chaque année des dizaines de morts parmi les jeunes et les adultes. L’égalité des citoyens arabes en Israël est, avec l’occupation des territoires palestiniens, l’un des principaux problèmes politiques au sein de la société israélienne.
Cette disparité est plus évidente que jamais dans les villes où les citoyens juifs et arabes cohabitent : Jaffa, Ramla, Lidda, Haïfa, Acre et Nazareth. La majorité des subventions et des projets d’aménagement sont réservés aux quartiers juifs, provoquant une inégalité notable pour tout observateur comparant les infrastructures dans les différents secteurs de ces localités. Les Juifs et les Arabes qui ont assisté aux événements à Jérusalem ont transformé ces villes en champs de bataille parallèles. Des extrémistes juifs et de jeunes Arabes furieux se sont affrontés dans les rues. Face au spectacle de voisins attaquant leurs voisins et détruisant leurs propriétés, la discrimination a de nouveau prévalu, la police arrêtant principalement des Arabes et fermant souvent les yeux sur la violence juive. L’explosion de haine et de vengeance, notamment dans les villes mixtes, mais en général dans tout le secteur arabe, représente pour les autorités israéliennes un défi peut-être encore plus grand que les événements de Gaza, car elle affecte le tissu social israélien et dément les slogans répétés de la coexistence israélienne au sein d’Israël.
Gaza rugit et gémit
Le 10 mai, alors que les participants enthousiastes de la « Journée de Jérusalem » se préparaient à lancer leur défilé, dirigé au-delà de la Porte de Damas et à travers le quartier musulman, le Hamas, le mouvement islamique qui est aussi le gouvernement local à Gaza, a lancé aux Israéliens un ultimatum, appelant au retrait immédiat de leurs forces armées du Haram. S’ils n’étaient pas retirés immédiatement, le Hamas menaçait de bombarder Jérusalem et d’autres villes israéliennes avec des roquettes. Pour beaucoup dans le monde, toute l’histoire que nous résumons a commencé lorsque le Hamas a effectivement tiré ses missiles. Cet acte de guerre a attiré l’attention d’un monde essentiellement blasé par les escarmouches constantes entre Israéliens et Palestiniens.
Le Hamas, qui est d’idéologie islamique et considère la destruction d’Israël comme son objectif, prônait depuis de longs mois une période de paix avec Israël, dialoguant avec les représentants de Netanyahu à travers des médiateurs égyptiens et européens. Le bombardement d’Israël, mené au nom de la défense de la mosquée Al-Aqsa, a probablement aussi donné libre cours à la frustration accumulée durant les mois de négociations infructueuses. De plus, le Hamas avait espéré que le processus électoral palestinien prévu conduirait à sa victoire, et ainsi le report des élections a été un coup dur.
En substance, aussi bien Netanyahu que les dirigeants du Hamas ont choisi de s’engager dans un conflit ouvert et violent motivé par des arrière-pensées : Netanyahu pour rester au pouvoir ; et les dirigeants du Hamas pour gagner le soutien populaire sans le processus électoral. À la lumière de la crise actuelle, des personnalités éminentes opposées à Netanyahu ont abandonné les tentatives de former un gouvernement alternatif, et beaucoup de Palestiniens ont applaudi la bravade du Hamas.
Le rugissement de Gaza a retenti dans tout Israël. Sous la pluie de missiles des Israéliens terrifiés se sont précipités vers les abris, et un certain nombre d’entre eux sont morts sous le feu (10 personnes, le 17 mai à midi). Les missiles sont tombés sur les régions du sud (y compris les villes de Beer Sheva, Sderot et Ashkelon), mais ils ont aussi atteint le centre du pays et les régions autour de Tel-Aviv et de Jérusalem. Le Hamas a révélé un arsenal plus massif que la plupart des Israéliens ne l’imaginaient. Les représailles israéliennes ont été immédiates et violentes. Avant le 17 mai, 196 Gazaouis ont été tués dans les bombardements, plus de 1200 personnes ont été blessées et les dégâts matériels étaient énormes.
Le rugissement de Gaza a été repris par le gémissement continu d’une zone qui est à nouveau ensanglantée et dévastée. Gaza est assiégée depuis des années et sous le contrôle d’un régime islamique autoritaire. Avec ses vastes camps de réfugiés, elle est fortement surpeuplée ; plus de 70 % des habitants sont des descendants de réfugiés des régions de Palestine devenues israéliennes en 1948. En fait, Gaza est l’endroit le plus densément peuplé de la planète : elle compte deux millions de personnes vivant dans une zone géographique de 364 kilomètres carrés. Le chômage est proche de 50 % ; l’électricité est rare, avec des approvisionnements qui ne dépassent pas huit heures par jour ; les infrastructures d’eau et d’égouts sont presque inexistantes. Le développement économique est quasi nul. La misère à Gaza est aussi proverbiale que la vitalité et la prospérité de Tel-Aviv.
Combien de temps avant l’aube ?
Alors que le monde regarde, Israéliens et Palestiniens continuent de se battre. Malheureusement, ce n’est ni nouveau ni une surprise. La blessure d’Israël et de la Palestine est non soignée depuis des décennies. Une grande partie du monde y assiste, exprimant des condamnations générales de la violence et adaptant le langage pour qu’il reste impartial et, finalement, inefficace. La plaie reste sanglante et sans remède. Même maintenant, ceux qui travaillent pour apaiser les esprits et faire taire les armes sont sujets à la lassitude. Au final, l’objectif reste « de rétablir le calme », pour que la vie puisse continuer. Cependant, lorsque la vie continue, et c’est le cas, pour la plupart des Palestiniens, ce sera une vie toujours sous l’occupation et l’ombre de la discrimination, et la majorité des Israéliens vivront dans la peur des représailles et de la violence. Un fléau non traité comme le conflit Israëlo-Palestinien continuera à susciter des idéologies de haine et de vengeance, qui génèrent le mépris et promeuvent la violence. Car, la réalité est la guerre jusqu’à l’aube, l’aube d’un nouveau jour.
Le Pape a parlé de ce conflit à deux reprises lors du Regina Caeli. Le 9 mai, il a invité « chacun à chercher des solutions partagées, afin que l’identité multireligieuse et multiculturelle de la Ville Sainte soit respectée et que la fraternité puisse prévaloir ». Le 16 mai suivant, il a dénoncé la « spirale de la mort et de la destruction », déclarant : « De nombreuses personnes ont été blessées et de nombreux innocents sont morts. Parmi eux, il y a aussi des enfants, et cela est terrible et inacceptable. Leur mort est le signe qu’on ne veut pas construire l’avenir, mais qu’on veut le détruire ». Il a invité chacun à prier « sans cesse pour qu’Israéliens et Palestiniens puissent trouver le chemin du dialogue et du pardon, pour être des bâtisseurs patients de paix et de justice, en s’ouvrant, pas à pas, à une espérance commune, à une coexistence entre frères ».
Une déclaration du Patriarcat latin de Jérusalem le 9 mai, jour intermédiaire entre Laylat al-Qadr et la « Journée de Jérusalem », faisant référence à Jérusalem, souhaite voir l’aube d’un jour nouveau : « Notre Église a affirmé clairement que la Paix réclame la justice. Ainsi, tant que les droits de chacun, Israéliens et Palestiniens, ne seront pas respectés et garantis, il n’y aura pas de justice et donc pas de paix dans cette cité. Il est de notre devoir de ne pas ignorer l’injustice ou toute atteinte à la dignité humaine, quels que soient leurs auteurs ». Ces paroles au sujet de Jérusalem peuvent être étendues à l’ensemble d’Israël-Palestine. Selon cette déclaration, chacun – Israéliens et Palestiniens, juifs, musulmans et chrétiens – doit avoir « le même droit de construire un avenir fondé sur la liberté, l’égalité et la paix ». Par ailleurs, le Patriarcat est allé jusqu’à imaginer un jour où Jérusalem pourrait être « un lieu de prières et de rencontres, ouvert à tous et où tous les croyants et citoyens, quelle que soit leur appartenance ou leur religion, se sentiront “chez eux” et verront leurs droits protégés et garantis ». Ce serait vraiment l’aube d’un jour nouveau, un jour de paix.
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Le 21 mai 2021, à 2 heures du matin, est entré en vigueur un cessez-le-feu négocié par l’Égypte, après que l’administration américaine ait réussi à faire comprendre au Premier ministre israélien Netanyahu que le bombardement de Gaza devait cesser. L’administration Netanyahu et le Hamas ont immédiatement revendiqué la victoire, les deux parties soulignant la destruction qu’elles avaient causée dans la vie de ceux de l’autre côté. Douze personnes ont été tuées du côté israélien – dont trois travailleurs immigrés et deux citoyens arabes palestiniens d’Israël – tandis que 226 Palestiniens sont morts à la suite des bombardements israéliens de Gaza et 12 autres Palestiniens ont été tués par des soldats israéliens en Cisjordanie. Malgré les affirmations contraires, il est peu probable que ce dernier conflit ait apporté quelque chose de positif à la résolution des causes profondes de la violence. La seule question qui reste maintenant est de savoir combien de temps le calme durera avant la prochaine vague de violence.