Il est remarquable que les deux prix littéraires les plus fameux aux États-Unis – le « Pulitzer Price for Fiction » et son équivalent « for Poetry » – aient été décernés en 2019 à deux écrivains ayant affronté la même question – celle du rôle des arbres dans l’expérience humaine.
À travers son œuvre, le poète Forrest Gander (couronné pour son recueil élégiaque Be With) illustre ce que certains ont appelé l’écopoésie, fidèle en cela à sa double formation, en littérature et en géologie. C’est le landscape qu’il explore, scrutant notre appartenance au monde minéral et végétal. “There, in the rumpled quiet of the trees, we catch the most animate qualities. In the riffle of leafy detail, we sense the respiration of the forest” – « Là, dans le calme frémissant des arbres, nous saisissons les qualités douées d’âmes. Dans la virevolte du détail des feuilles, non percevons la respiration de la forêt » (Eye against Eye). Et nous percevons la nôtre, dans la lecture des mots doucement rythmés.
Le plus étonnant, toutefois, est que l’autre prix – celui de la fiction narrative – ait été décerné à une œuvre elle aussi centrée sur l’arbre, le roman de Richard Powers, The Overstory, traduit en italien sous le titre de Il sussurro del mondo (on préférera peut-être celui de l’édition française, L’Arbre-Monde). De la poésie, en effet, on peut dire qu’elle a toujours eu un lien avec le monde naturel et donc celui des arbres : « Tous les arbres de la campagne battent des mains », chante Isaïe (Is 55,12), alors que Virgile évoque dès la première ligne de ses Bucoliques « le vaste feuillage de ce hêtre… ». La surprise est dès lors de voir la prose narrative accorder elle aussi une existence littéraire aux arbres, les transformant en protagonistes de l’intrigue. Il y a certes une intrigue de fond, génétique, qui unit le monde des hommes et celui des arbres, ainsi que le rappelle à un point du récit l’un des personnages, la biologiste Patricia Westerford : « Tu e l’albero nel giardino dietro casa provenite dallo stesso antenato. Un miliardo e mezzo di anni fa, voi due avete preso strade separate. Ma persino oggi, dopo un immenso viaggio in direzioni diverse, tu e quell’albero avete ancora in comune un quarto dei vostri geni ». Dans le roman de Powers, cette intrigue se resserre toutefois sur un cast de neuf personnages, presque nos contemporains. Ces hommes et ces femmes n’ont au départ rien en commun, et leurs histoires initiales pourraient apparaître comme autant de nouvelles indépendantes. Ils font tous, cependant, d’une manière ou d’une autre, une expérience vitale liée aux arbres, au point de s’engager en faveur de ceux-ci. Cette cause commune provoque leur mise en réseau progressive dans la suite du récit. Le roman se déploie alors en arborescence, se ramifiant et se recoupant de manière répétée, comme si la forme de l’arbre avait suggéré celle de l’écriture ; la progression de l’histoire est simultanément celle d’une croissance, en quatre parties successives : « racines », « tronc », « cimes », « graines ».
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