L’AFRIQUE DE L’OUEST EN ÉBULLITION
Last Updated Date : 14 juillet 2022
Published Date:13 juillet 2022
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Un nouveau vent de changements extraconstitutionnels souffle au Nord de l’Afrique du centre et actuellement à l’Ouest du continent. Au mois d’avril 2021, le Président Tchadien, Idriss Deby, à peine réélu, meurt au front alors que les rebelles du Front pour le changement et le consensus au Tchad, (FACT), venus du nord du pays menacent son régime. Son fils, Mahamat Idriss Déby, un général de corps d’armée, âgé de 37 ans, prend la tête du pays, au mépris de la Constitution qui prévoyait, en cas de décès ou d’empêchement du président, que ce soit le président de l’assemblée nationale qui assume l’intérim. Mahamat Idriss Déby dissout l’Assemblée nationale et le gouvernement, et met en place un Conseil militaire de transition composé de 15 généraux. Une prise de pouvoir par la junte militaire donc.

Même si l’on ne peut pas parler d’un coup d’Etat, il y a entorse à la démocratie. Un fait étonnant : tout le monde s’accorde à ne pas sanctionner les nouvelles autorités tchadiennes. L’Union africaine, à travers son Conseil de paix et de sécurité, exige une transition en 18 mois mais ne sanctionne pas la junte. Une jurisprudence qui va à l’encontre, entre autres, de la Convention de Lomé de 2000, et de l’Acte constitutif de l’Union africaine de 2000.[1]

La France, après sa déclaration d’« avoir perdu un ami courageux » en la personne d’Idriss Déby, a souligné l’importance d’une transition pacifique d’une durée limitée conduisant à un gouvernement civil et son ferme attachement à la stabilité et à l’intégrité territoriale du Tchad. Les États-Unis, de leur côté, se sont contentés d’exiger une transition pacifique et démocratique. Tandis que le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell donne, quant à lui, la position de son institution : une transition limitée qui doit se dérouler de manière pacifique, dans le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et permettre l’organisation de nouvelles élections inclusives. Pendant ce temps, les partis d’opposition tchadiens, une trentaine, ont dénoncé clairement un coup d’État institutionnel, appelant à l’instauration d’une transition dirigée par les civils.[2]Après presque neuf mois de transition, il n’y a pas encore de certitude que la durée de celle-ci sera respectée. La junte au pouvoir, qui avait promis un dialogue national pour préparer des élections, ne semble pas être pressée à l’organiser. Et, contrairement aux autres pays dirigés par la junte militaire, le peuple tchadien ne manifeste pas son soutien au général actuellement à la tête du pays où toute manifestation est réprimée violemment.

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La propagation des putschs militaires

Si la junte militaire tchadienne n’est pas arrivée au pouvoir par un coup d’Etat classique, il y a trois pays de la région ouest-africaine qui ont vu leur paysage politique changé en peu de temps : la Guinée, le Mali, le Burkina Faso ont connu des putschs portant au pouvoir des jeunes officiers militaires.

Le premier go est parti du Mali. Comme pour les coups précédents des militaires, c’est du camp militaire Soundiata Keïta de Kati qu’est parti, le 18 août 2020, le coup d’Etat qui a mis fin au régime du président démocratiquement élu, Ibrahim Boubacar Keïta. S’ensuit alors une série de condamnations (de l’ONU, Union africaine, Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, Union européenne (CEDEAO), etc.), d’appels, etc. Par la stratégie tactique bien connue des militaires, le président Boubacar lui-même annonça sa démission. Et le Mali est alors sous la houlette de la junte conduite par le colonel Assimi Goïta, âgé de 37 ans. Et fait étonnant, la population fête la chute du président démocratiquement élu[3]. Après des négociations appuyées notamment par la CEDEAO, un gouvernement est formé et les militaires préfèrent laisser la présidence du pays à un civil, Bah N’Daw. Le colonel Assimi Goïta est alors vice-président. Mais le 15 mai 2021, c’est le deuxième coup de force des militaires, avec toujours à sa tête le Colonel Goïta. Tout est parti de l’annonce d’un nouveau gouvernement dans lequel deux de ses proches étaient exclus.[4]

Il faudra attendre seulement quelques mois avant qu’un autre pays de la sous-région entre dans la danse militaire : la Guinée (Conakry). En effet, le 5 septembre 2021, le président Alpha Condé, au pouvoir près de onze ans et réélu président, après tant d’agitation et controverse, est renversé par un coup d’Etat militaire par un jeune officier militaire, le chef des forces spéciales, le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, 41 ans. Et comme d’habitude, les condamnations fusent de partout, notamment celle de la CEDEAO. Mais, pour la Guinée, c’est une nouvelle ère. Mamady Doumbouya s’est depuis lors investi comme président de transition, adulé par les Guinéens, qui étaient exaspérés par la pauvreté, la corruption et la répression.

Alors que l’on espérait un répit en attendant que les situations politiques trouvent une issue au cours de l’année 2022 par le retour des régimes démocratiques au Tchad, en Guinée, au Mali, voilà que le Burkina surprend tout le monde le 23 janvier 2022 : une agitation des militaires qui a duré presque deux jours, porte à la tête de Burkina Faso le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, 41 ans. Pour camoufler leur coup, les militaires font signer le 25 janvier 2022 au président Roch Marc Christian Kaboré, depuis le lieu de sa détention, une lettre manuscrite signée de la main, dans laquelle il dit « déposer sa démission », « dans l’intérêt supérieur de la nation, suite aux événements qui s’y déroulent ».[5] Comme pour la Guinée, les burkinabè acclament les militaires putschistes.

 

Les militaires : pour ou contre la démocratie en Afrique ?

Il n’est pas aisé de comprendre ce qui se passe au Tchad, en Guinée, au Mali, et au Burkina Faso sans un regard historique dans la vie politique de ces pays depuis leurs indépendances.

Commençons par le Tchad.[6] A son accession à l’indépendance le 11 août 1960, c’est François Tombalbaye qui est le premier chef d’État. Ce pays a connu l’accalmie pendant 5 ans seulement. En 1965 commence en effet une guerre civile qui accompagne la présidence de Tombalbaye. Ce dernier trouve la mort le 13 avril 1975, au cours d’un coup d’État d’unités de l’Armée nationale tchadienne qui aboutit à la prise du pouvoir par le général Félix Malloum (1975). Une bataille dans la capitale Ndjamena en 1979 oblige Malloum à céder le pouvoir à Goukouni Oueddei (1979-1982). En 1982, Hissène Habré, qui a été ministre de la Défense de Goukouni, s’empare de Ndjamena à la tête d’une rébellion et devient président tchadien par la force des armes. Toujours par les armes, Idriss Déby s’empare de Ndjamena en 1990 et devient président du Tchad jusqu’en avril 2021. Le Tchad n’a donc pas connu depuis son indépendance une alternance pacifique au sommet de l’État.

La situation en Guinée est un peu différente. C’est en 1958 que Sékou Touré proclame l’indépendance de la Guinée. C’est déjà un régime dur qui s’installe avec un bras de fer avec l’ex-métropole, la France, avec laquelle il rompt les relations en 1965 pendant presque 10 ans. En 1984 Sékou Touré est tué à la suite du coup d’Etat du colonel Lansana Conté et de Diarra Traore. Lansane Conté met en place une nouvelle constitution en 1990 pour mettre fin au régime militaire et introduit le multipartisme. Il est élu démocratiquement président en 1993 et restera à la tête du pays jusqu’à sa mort en 2008. Deux jours après le décès de Conté, le capitaine Moussa Dadis Camara accède à la présidence par un coup d’Etat, le 24 décembre 2008. Après une tentative d’assassinat de Moussa Dadis Camara, Sekouba Konaté devient président par intérim avant les élections qui ont porté l’opposant Alpha Condé au pouvoir en 2010. Ce dernier, après avoir modifié la Constitution pour se présenter pour un troisième mandat, sera déposé par un coup d’Etat le 5 septembre 2021. La Guinée a donc connu depuis son indépendance trois coups d’Etat.

Quant au Mali, c’est un pays habitué aux coups d’Etat. Il en a connu cinq depuis son indépendance[7]. Le 19 novembre 1968, le général Moussa organise un coup d’Etat et renverse le premier président Modibo Keita. Le 26 mars 1991, un coup d’Etat militaire renverse Moussa Traoré et le colonel Amadou Toumani Touré devient président. Le 22 mars 2012 Amadou Toumani Touré est renversé par le capitaine Amadou Sanogo. Le 18 août 2020, le colonel Assimi Goïta renverse le président Ibrahim Boubacar Keita (président élu le 11 août 2013 et réélu le 12 août 2018). Le dernier coup de force vient encore une fois du colonel Assimi Goïta qui a démis le 25 mai 2021 le président de transition Bah N’Daw et le premier ministre de transition Moctar Ouane.

Enfin, le dernier pays qui est à la Une de l’actualité des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest est le Burkina Faso. Ce pays qui a connu aussi plusieurs coups d’Etats depuis son indépendance le 5 août 1960.[8] En 1966, Maurice Yaméogo, premier président, a été renversé par le général Sangoulé Lamizana. Ce dernier sera à son tour renversé en 1980 et c’est le colonel Saye Zerbo qui prend le pouvoir pour seulement deux ans. Les Coups de force se succèdent alors. En 1982, le médecin militaire Jean-Baptiste Ouédraogo prend le pouvoir. Une année après, en 1983, c’est le capitaine Thomas Sankara qui devient président après le coup d’Etat mené avec son frère d’armes, le capitaine Blaise Compaoré. Ce dernier prend le pouvoir lors d’un coup d’Etat meurtrier le 15 octobre 1987. Le 31 octobre 2014, Blaise Compaoré est chassé par les manifestations de la rue pour avoir voulu modifier la Constitution et se maintenir au pouvoir. Après une accalmie démocratique, le président Marc Roch Christian Kaboré, élu démocratiquement président le 29 novembre 2015 et réélu le 22 novembre 2020 pour un second mandat, est renversé par l’armée le 23 janvier 2022.[9] Donc, le Burkina Faso (Pays des hommes intègres) a connu six coups d’Etat depuis son indépendance.

 

Ambivalence de la démocratie

Si les coups d’Etat militaires avant la vague du processus démocratique à partir de 1990 étaient décriés par la communauté internationale et la population des pays concernés, de nos jours, il est de plus en plus difficile de comprendre ou de porter un jugement sur leur impact pour l’avancée de la démocratie en Afrique. Quelques changements de régime par les élections ont en effet porté aux pouvoirs des civils qui depuis plusieurs années étaient dans l’opposition contre les pouvoirs militaires. L’expérience a montré que ces mêmes anciens opposants et chantres de la démocratie se sont transformés eux-mêmes en autocrates qui voulaient s’accrocher au pouvoir en modifiant à leur gré la constitution ou en matant toute opposition à leurs régimes.

En prenant l’exemple de la Guinée et du Burkina Faso, il est surprenant de voir la liesse de la population devant le renversement du pouvoir démocratiquement élu. Au Burkina Faso, la population, désemparée, reprochait notamment au président renversé, Roch March Christian Kaboré, de ne pas être en mesure d’endiguer la dégradation de la situation sécuritaire depuis 2015, notamment dans le nord et l’est du pays. Il en est de même au Mali où l’environnement sécuritaire s’est dégradé depuis plusieurs années.

Cette situation ouvre la voie aux militaires pour jouer un rôle politique de premier plan en avançant leurs capacités de sécuriser la population marquée par les affres des djihadistes ou du terrorisme, sans oublier la crise économique. Le président Rwandais, dans une interview à Jeune Afrique, a soutenu dans ce sens que les coups d’État étaient le fruit de la mauvaise gouvernance.[10]Par ailleurs, le coup d’Etat en Guinée semble avoir été favorisé par des circonstances spécifiques qui ont créé les conditions idoines : l’entêtement de l’ex-président Alpha Condé à modifier la constitution pour briguer un troisième mandat, malgré des manifestations.[11]

Le cas du Tchad est différent. Ce pays a toujours fonctionné avec le régime militaire qui se farde d’un semblant d’élection démocratique, donc un maquillage de pouvoir civil. La démocratie comme telle n’a jamais été installée au Tchad. Le fait que le fils militaire d’Idriss Déby ait succédé à son père en est une preuve. D’aucuns trouvent que la communauté internationale a fermé les yeux dans la succession à la tête du pays au Tchad. D’où, la question de savoir le rôle ou le jeu des acteurs internationaux dans la validation des coups d’État.[12]

 

Géopolitique en Afrique de l’Ouest

Les coups d’Etat en Guinée, au Mali, au Burkina Faso inquiètent non seulement leurs voisins regroupés au sein de la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest, (CEDEAO), mais ils constituent une préoccupation pour l’Union africaine. L’Union européenne s’y invite aussi car ces pays sont des anciennes colonies de l’un de ses membres importants : la France. Les enjeux sont nombreux.[13] Tout d’abord les enjeux économiques pour la France, avec ses entreprises, sa présence militaire, etc. Par exemple, la Guinée exporte la bauxite et a développé depuis des années de relations économiques avec des pays comme la Chine, la Russie. Le changement de régime en Guinée peut donc avoir des répercussions du point d’échanges économiques avec ses partenaires français. Et le ton est monté d’un cran entre la France et le Mali. Ce dernier a demandé à l’Ambassadeur de France de quitter le pays. Le Mali se met ainsi à dos l’Union européenne qui a manifesté sa solidarité avec la France dans ce bras de fer avec son ancienne colonie.[14] La présence militaire française au Mali dans le cadre de la lutte contre les terroristes (djihadistes) est, dans cette situation, mise en question.

Une spirale négative qui a poussé le président Français, Emmanuel Macron à demander aux présidents de la région du Sahel, dont les autorités maliennes, de clarifier et de formaliser leur demande à l’égard de la France et de la communauté internationale pour la présence militaire française. Il a dit ne pas vouloir de la présence des soldats Français au Sahel, alors qu’il persiste l’ambiguïté à l’égard des mouvements anti-français. Et pour les autorités maliennes, la tension avec la France a comme soubassement la présence de la Russie dans la lutte contre les djihadistes. La France accuse notamment le Mali de recourir pour sa lutte contre les djihadistes aux mercenaires russes du groupe Wagner[15]. Le ministre malien des affaires étrangères, Abdoulaye Diop, qui reconnait plutôt de traiter officiellement avec la Russie, a, dans une interview sur une radio française, tenu à souligner que son pays était disposé à discuter avec la France ou d’autres pays sur des questions de substance. Il a cependant tenu à faire savoir que son pays voudrait défendre ses intérêts. M. Diop a indiqué en outre ce que le Mali attend de la France : une attitude « moins agressive », « moins hostile », « moins empreinte de mépris » vis-à-vis des autorités maliennes, « moins paternaliste », « de condescendance », « d’invectives ». Pour M. Abdoulaye Diop, le Mali ne veut pas qu’un pays lui impose un partenaire. « Le Mali veut une politique de non-alignement et nous voulons une présence constructive », a-t-il souligné. Une façon de mettre le doigt sur le point qui, selon les observateurs, envenime notamment les relations entre le Mali et la France. Selon le ministre malien des affaires étrangères, « le Mali a toujours été soutenu par la Russie depuis son indépendance ». Et l’apport actuel de la Russie dans la lutte contre le terrorisme, selon lui, donne des résultats encourageants.[16] Il est évident que la présence des Russes au Mali provoque des rivalités internationales au Sahel et crée un problème de stratégie géopolitique. Il y a donc ici une sorte de guerre d’influence[17].

En France, lors du passage du ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian devant l’Assemblée nationale le 1er février 2022, un député, Jean Lassalle, a soutenu que le changement des régimes dans le Sahel obligeait la France à modifier sa politique dans la zone et que la présence française était beaucoup plus contestée que les coups d’Etat militaires. Pour ce député, les peuples du Sahel veulent se libérer d’un lien de subordination (monétaire, économique, militaire) avec la France. « Écoutez les peuples et non seulement leurs dirigeants », a recommandé M. Lassalle à l’endroit du ministre Le Drian, ajoutant que malgré le courage des soldats au Sahel, l’armée française avait échoué.[18]

 

L’épine malienne

Si les coups d’Etat qui ont eu lieu en Afrique de l’Ouest intéressent de près la communauté africaine et internationale, c’est clairement la situation du Mali qui a trouvé l’écho chez beaucoup d’Africains qui refusent la mainmise des autorités françaises sur les autorités africaines. En outre, les observateurs pensent que les mesures de la CEDEAO contre le Mali ont été prises sous l’influence de la France et de l’Union européenne.[19] Et dans cette tension créée entre la France et le Mali, le peuple malien est descendu dans la rue pour soutenir les militaires au pouvoir et dénoncer, entre autres, les sanctions.

Cependant l’adhésion des maliens pour soutenir les putschistes fait réfléchir, tout comme les sanctions de la CEDEAO suscitent plusieurs questionnements. Il y a toujours un aspect important que l’on ignore quand on impose des sanctions aux dirigeants d’un pays : c’est la population qui en pâtit ou subit plus les conséquences. Les décisions prises par la CEDEAO contre la junte au pouvoir au Mali ajoutent ainsi un drame supplémentaire au peuple de ce pays. On estime par exemple à environ 2.500 morts et plus d’un million des déplacés depuis la crise que traverse le Mali. Il est vrai que l’organisation sous-régionale (CEDEAO) devait faire comprendre, à travers ses sanctions, que ce n’est pas de leurs droits d’arracher chaque fois le pouvoir ou de renverser les autorités élues par le fusil ou par la force. À cet effet, la CEDEAO devrait tenir compte des conséquences de ses sanctions sur la population qui se trouve ainsi victime de la mauvaise gestion du régime renversé et des sanctions contre la junte militaire. Et quand on sait aussi qu’un bon nombre des chefs d’Etat de la CEDEAO sont au pouvoir après avoir changé la Constitution pour se maintenir au pouvoir, il se pose ici un problème de modèle démocratique.

Somme toute, la crise malienne, tout comme la crise burkinabè, est une démonstration que le principe même de la démocratie en Afrique pose problème. Ceux qui aspirent à diriger leur pays, donc les politiques, pensent que l’essentiel est de gagner l’élection. Ils oublient très souvent les obligations qu’ils ont envers la nation ou mieux, envers le peuple. Ils mettent tous les pouvoirs et les institutions à leur service. Ainsi, il est rare de voir que le changement démocratique au sommet de l’État dans plusieurs pays africains ait apporté la paix, la stabilité, le développement. Et quand les militaires interviennent alors dans une situation de crise, la population les acclame comme il a été le cas en Guinée, au Mali Burkina Faso. La prise de pouvoir par les militaires non plus n’est pas une bonne alternative à la mauvaise gestion des politiciens. On a vu plusieurs militaires arrivés au pouvoir dans beaucoup de pays africains mener la vie dure à leurs compatriotes, comme le font aussi les politiques qu’ils renversent.[20]

 

Quelles perspectives pour l’avenir ?

Les coups d’Etat font honte à l’Afrique, il faut les décourager. Ils donnent l’image négative, d’une Afrique en régression. Cependant, il faudrait des nuances. Quand l’armée veut reprendre le devant de la scène politique d’un pays pour le diriger d’une manière rigide ou répressive, personne ne peut tolérer cette dérive. C’est ce qu’ont tenté de faire récemment les militaires au Soudan.  De l’autre, côté, si les coups d’Etat peuvent arrêter les dérives totalitaires d’un chef d’Etat, la population salue et célèbre, même si le futur ne rassure pas.[21]

Le moment est donc venu pour le changement en Afrique, comme les peuples de plusieurs pays le souhaitent. Un changement qui tienne compte des réalités africaines. Il n’y a certainement pas des recettes magiques pour tous les pays, mais la situation en Guinée, au Mali et au Burkina peut servir des clés de lecture qui accompagnent les bouleversements actuels en Afrique de l’ouest. Le fait que la population adule les militaires et donc rejette l’incurie des civils élus démocratiquement, est un message fort qui interpelle. Ce qui fait réagir la communauté internationale ou d’autres organisations régionales ou continentales, c’est les intentions des militaires quand ils proposent une longue période de transition avant de remettre le pouvoir au civil.

Sous un autre angle, on peut dire que les régimes militaires au Tchad, en Guinée, au Mali et au Burkina Faso soulèvent le problème de l’instabilité régionale où se dessine en outre la complication de géopolitique. Ces quatre pays ont un point commun : l’épineuse question de l’insécurité causée par les terroristes ou djihadistes. La résolution de ce problème en a créé un autre : la guerre d’influence étrangère. La Russie, en ce qui concerne particulièrement le Mali, s’est invitée sur un terrain que la France comme sien, de droit. La présence russe au Mali change la donne même de la présence de militaires à la tête du Mali. Le peuple malien tient de plus en plus un discours nationaliste. Il veut faire comprendre que son objectif n’est pas de soutenir comme tel la junte au pouvoir actuellement, mais son pays. Les Maliens veulent compter sur eux-mêmes. Ils ne veulent pas chasser les Français pour les remplacer par les Russes. Ils veulent leur autonomie.

Il faudrait peut-être repenser la démocratie et les élections en Afrique. L’heure a peut-être sonné pour les Africains d’envisager un modèle démocratique qui rime plus avec le développement qu’avec le changement des autorités à la tête du pays. On devrait finir, en Afrique, avec les « hommes forts » du régime. L’Afrique n’en a pas besoin. Elle a besoin des institutions fortes et libres qui mettent en avant les intérêts de la nation, qui régulent la vie publique de manière à sanctionner ceux qui oublient leurs obligations envers le peuple. C’est ce qui poussera les militaires à rester dans leurs casernes et évitera des coups d’Etat à répétition ou des guerres illimitées qui freinent le développement général du continent africain.

Il ne faudrait donc pas seulement promouvoir la démocratie, il faut faire accompagner celle-ci du développement. L’Afrique pourra ainsi se relever.

 

 

[1] « Perché ancora colpi di Stato in Africa ? Le responsabilità dell’Unione Africana », in Civ. Catt. 2021 IV 561-574.

[2] Cf. V. Sabadin, «Ciad: “I ribelli che hanno ucciso il presidente addestrati in Libia dai russi”», in La Stampa, 24 aprile 2021.

[3] Cf. J. Bodjoko, « Un anno in Africa », in Civ. Catt. 2022 I 579-589. Edition francophone 0422

[4] Cf. C. Bensimon – M. Le Cam – E. Vincent, « Comment le Mali a vécu un deuxième coup d’Etat en moins d’un an », dans https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/05/31/au-mali-la-semaine-ou-le-colonel-goita-s-est-couronne-president_6082131_3212.html

[5] Cf. « Coup d’État au Burkina Faso : le président a démissioné, selon la télévision publique », in Le Monde(www.lemonde.fr/afrique/article/2022/01/25/coup-d-etat-au-burkina-faso-le-president-a-demissionne-selon-la-television-publique_
6110820_3212.html), 25 gennaio 2022.

[6] Pour en savoir plus sur le Tchad : Marielle DEBOS, Jean-Pierre MAGNANT, Roland POURTIER, « TCHAD », Encyclopædia Universalis [en ligne] dans https://www.universalis.fr/encyclopedie/tchad/ (consulté le 2 février 2022)

[7] Cf. L. Ben Ahmed, « Mali: 5 coups d’État depuis l’indépendance», in Anadolu Agency (www.aa.com.tr/fr/afrique/mali-5-coups-detat-depuis-l-ind%C3%A9pendance/2471551), 12 gennaio 2022.

[8] Cf. « Burkina Faso : de 1960 à 2022, une histoire jalonnée de coups d’État », in Africanews (https://fr.africanews.com/2022/01/25/burkina-faso-de-1960-a-2022-une-histoire-jalonnee-de-coups-d-etat).

[9] Cf. «Coup d’État au Burkina Faso: le pays suspendu de la Cédéao», in Le Monde (www.lemonde.fr/international/article/2022/01/28/coup-d-etat-au-burkina-faso-le-pays-suspendu-de-la-cedeao_6111444_3210.html), 28 gennaio 2022.

[10] Cf. F. Soudan – R. Gras, «Paul Kagame: “Les coups d’État sont le fruit de la mauvaise gouvernance», in Jeune Afrique(www.jeuneafrique.com/1301078/politique/paul-kagame-les-coups-detat-sont-le-fruit-de-la-mauvaise-gouvernance), 28 gennaio 2022

[11] Selon AFP et le journal Le monde, M. Condé avait fait adopter par référendum en mars 2020 une nouvelle Constitution et invoqué ce changement de loi fondamentale pour se représenter après deux mandats, malgré des mois de contestation réprimée dans le sang. Sa réélection en octobre 2020, vigoureusement contestée par l’opposition, avait été précédée et suivie par des dizaines d’arrestations. (Cf. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/01/01/guinee-alpha-conde-president-dechu-autorise-a-quitter-le-pays-pour-raison-medicale_6107837_3212.html)

[12] Cf. J. Siegle, «Les coups d’État en Afrique et le rôle des acteurs extérieurs», in Centre d’études stratégiques de l’Afrique(https://africacenter.org/fr/spotlight/les-coups-detat-en-afrique-et-le-role-des-acteurs-exterieurs), 3 gennaio 2022.

[13] La France a notamment des mines d’uranium au Niger, voisin du Mali. Elle a donc besoin d’être au Mali pour protéger ces mines. Cf. https://www.tf1info.fr/international/sahel-la-france-a-absolument-besoin-d-etre-au-mali-pour-proteger-ses-mines-d-uranium-au-niger-selon-stephane-lhomme-directeur-de-l-observatoire-du-nucleaire-2208856.html?utm_medium=Social&utm_source=Twitter&Echobox=1643740336#xtor=CS5-113

[14] Cf. «Mali: l’Union européenne apporte son soutien à la France», in Africanews (https://fr.africanews.com/2022/02/01/mali-l-union-europeenne-apporte-son-soutien-a-paris).

[15] Cf. C. Bensimon, «L’hypotèse Wagner fait monter la tension entre la France et le Mali», in Le Monde (https://tinyurl.com/3ss764mt), 27 settembre 2021

[16] Cf. M. Perelman – Ch. Boisbouvier, «Abdoulaye Diop, chef de la diplomatie malienne: “Nous demandons que Paris nous respecte en tant que pays», in www.rfi.fr/fr/podcasts/invit%C3%A9-afrique/20220128-abdoulaye-diop-nous-demandons-que-paris-nous-respecte-en-tant-que-pays

[17] Cf. J.-P. Bodjoko, «L’influenza della Russia in Africa», in Civ. Catt. 2022 II 157-166. Edition francophone n. 0521

[18] Cf. «Mali: Jean-Yves Le Drian dénonce le recours à la force Wagner», in Tv5 Monde (https://information.tv5monde.com/afrique/mali-jean-yves-le-drian-denonce-le-recours-la-force-wagner-442956), 1° febbraio 2022.

[19] Les autorités de l’Union européenne annonçaient en fait déjà publiquement les sanctions que la CEDEAO « devaient prendre prochainement ». D’où l’accusation de la junte malienne reprochant à la CEDEAO d’avoir agi sous la pression de l’Union européenne. La ministre française de la Défense, Florence Parly, avait en effet annoncé des sanctions contre le Mali avant les décisions de la Cédéao, lors du ” Forum international de Dakar sur la paix en Afrique “, qui s’est tenu les 6 et 7 décembre 2021. A cette occasion, elle a déclaré : “Il y aura une nouvelle réunion de la Cedeao dans quelques jours, qui devrait déterminer un certain nombre de sanctions. Aujourd’hui, la priorité est d’exercer une pression maximale pour que cette situation ne se produise pas. Par conséquent, tous les efforts sont dirigés vers la prévention de cette menace, qui se profile depuis des semaines, pour éviter qu’elle ne se concrétise. D’où l’importance des décisions qui pourraient être prises par la Cédéao”. Cf. A. Foka, La cronique: Cedeao vs. Mali, in www.youtube.com/watch?v=GG1lDGtZTH4

[20] Dans une de ses chroniques le journaliste d’origine camerounaise, Alain Foka, soutenait l’idée selon laquelle les grands changements auxquels l’on a assisté dans quelques nations africaines étaient souvent venus des militaires : Jerry Rawlings, militaire, est vu comme le père de la démocratie ghanéenne, le capitaine Thomas Sankara est célébré au Burkina Faso à cause de changement social qu’il avait apporté dans ce pays alors qu’il était aussi putschiste, Mathieu Kerekou, militaire lui aussi, a permis la transition démocratique au Bénin et revenu démocratiquement au pouvoir après une alternance. (cf. www.youtube.com/watch?v=GG1lDGtZTH4).

[21] Cf. S. Cessou, «Coups d’État: régression démocratique en Afrique?», in Le Monde diplomatique (https://blog.mondediplo.net/coups-d-etat-regression-­democratique-en-afrique), 26 gennaio 2022.