LA TERRE DES VIVANTS-Écobiographie au temps de la crise écologique
Last Updated Date : 16 mai 2023
Published Date:10 septembre 2021

Abraham planta un tamaris à Béer-Shéva où il invoqua le Seigneur, le Dieu éternel, par son nom. (Gn 21,33)

 

Où trouverons-nous les ressources de notre engagement en faveur du monde créé ? Comment soutiendrons-nous notre action au bénéfice de la terre et des vivants qui l’habitent ? La mobilisation écologique, on le sait, a surtout mis l’accent sur la dimension de la peur et de la culpabilité ; en d’autres termes, sur des sentiments réactifs.[1] Si la peur joue un rôle indispensable dans l’éveil du sens de l’urgence,[2] peut-elle, à elle seule, nourrir un « parti pris »  écologique de longue durée ? À la peur et à la culpabilité ne faut-il pas associer des sentiments proactifs, soutenant positivement un engagement personnel pour la « maison commune » ?

L’alerte à propos du climat et du futur des espèces s’accompagne par ailleurs de la diffusion de données scientifiques, continuellement mises à jour. Elles traduisent le rôle incontournable de la science dans l’alerte donnée (en réponse aux scepticismes de tous genres). Si de telles données jouent un rôle essentiel dans la mobilisation en cours, sont-elles à même de soutenir un engagement de fond au bénéfice de la planète verte et bleue ? « Le discours de la raison ne fonctionne pas », constate l’océanographe François Sarano, pourtant voué, par métier, à la démonstration scientifique. Dans leur abstraction, les chiffres ne parlent pas : « 200 000 tonnes de plastique déversées chaque année dans la Méditerranée, qu’est-ce que ça veut dire ? ». Ce qui aujourd’hui d’abord importe, poursuit l’océanographe, est d’un autre ordre : « il faut amener chacun à reprendre contact avec le vivant ».[3]

Ces pages chercheront à le montrer : nous sommes appelés par la crise présente à retrouver un lien d’empathie avec les autres espèces vivantes, végétales et animales, dans l’espace et le temps du « paysage », élargi à la planète entière.[4] Le chemin de soi à soi auquel est appelé l’être humain ne peut plus être anthropocentré et solipsiste comme il l’a été dans la modernité : la vie du « je » passe par son inclusion dans le « nous » des vivants, sur l’horizon du monde naturel. Cette transformation est de sympathie ; elle passe par une perception imaginative et affective des autres vivants de cette terre. Ainsi qu’on le verra, elle croise de manière répétée la perception rendue possible par la poésie. On sait l’affinité immémoriale de la poésie avec la nature – les règles du haïku (pour s’en tenir à une tradition) requièrent ainsi l’inclusion d’une référence à la saison dans le court poème. Cette affinité reçoit aujourd’hui une actualité nouvelle, celle de réveiller en chacun une communion possible avec les (autres) vivants de cette terre.[5]

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