LA SPIRITUALITÉ DU MOURIR
Last Updated Date : 19 octobre 2022
Published Date:23 septembre 2020

« Nous sommes comme des troncs d’arbres dans la neige. Ils se trouvent en apparence à ras de terre, et il suffirait de pousser un peu pour les déplacer. Non, c’est impossible, car ils sont fermement attachés à la terre. Mais voyez, cela aussi n’est qu’apparence[1] ». Kafka s’exprime ainsi dans une histoire qui met l’accent sur la friabilité de la vie. Simone de Beauvoir, de son côté, a dit que la mort met le monde en question.

Aujourd’hui, selon certains, le discours sur la mort a été progressivement marginalisé depuis qu’on a dit le dernier mot sur la métaphysique[2]. En fait, « l’homme liquide », théorisé par Bauman, vit tout dans la succession et le mouvement des instants, qui excluent le sentiment de stabilité et de continuité et, donc, la possibilité de tout projet motivé par l’espoir. Il ne reste plus que l’incertitude et l’insécurité, c’est-à-dire l’anxiété et la peur[3], car personne ne peut éviter la confrontation tortueuse avec le Temps[4]. Par conséquent, il n’est pas vraiment sage de dire que la mort a été marginalisée aujourd’hui. On en parle peut-être peu en termes explicites, comme si on voulait l’exorciser, mais, presque subrepticement et au grand dam de ceux qui voudraient garder le silence sur sa présence souveraine, son fantôme apparaît dans ces discours qui y font allusion.

Alors, les gens discutent des avantages et des inconvénients de l’inhumation et de la crémation[5], du droit de choisir comment et quand mourir pour mettre fin à la souffrance[6], de la priorité de l’aspect biologique sur l’aspect religieux de la mort et de leur conflit, de l’hospitalisation et de la peur des malades, de la médecine palliative, de l’antidépresseur que l’industrie pharmaceutique prépare contre cette « maladie mentale » que le DSM – le manuel diagnostique et statistique des psychiatres – qualifie de « malaise du deuil[7] ». Il ne manque pas non plus de ceux qui parlent, en termes entre l’ésotérique et le lyrique, de « la fin amère de nous »[8].

Au sujet l’insistance des « séculiers » sur la dimension biologique de la mort et leur silence sur sa dimension religieuse, il peut être opportun de rappeler un bref commentaire de Remo Bodei sur la resurrectio mortuorum et la vita venturi saeculi du Credo de Nicée. « Une réponse “séculière” à ces attentes consiste aussi à ne pas se moquer d’elles, à comprendre pleinement leur signification, à se rendre compte que le simple déni de ces espérances ampute notre humanité, que notre mort est pleine de significations qui ne peuvent être réduites de façon triviale à l’arrêt de la respiration ou de l’activité cérébrale[9] ». C’est la parole d’un philosophe « séculier ».

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