LA PAIX DANS LES PSAUMES DE PÈLERINAGE
Published Date:10 mai 2022

Les psaumes de pèlerinage, ou des montées – ainsi appelés en raison du titre qui les réunit (shir hamaalòt = chant des montées) – sont 15 courtes compositions (Ps 120-134) pour les « montées » des Israélites vers le Temple de Jérusalem, à l’occasion des fêtes de pèlerinage : Pâque et Pentecôte, et la fête des Tabernacles[1]. Le recueil des « Chants des montées » n’était pas destiné à l’usage exclusif des pèlerins de Jérusalem. Le nombre de psaumes correspond aux 15 marches qui menaient de la cour des femmes du temple de Jérusalem à la cour des Israélites, en passant par la porte de Nicanor[2]. On suppose que les psaumes étaient récités ou chantés sur chaque marche de ces « escaliers » (ce qui est une traduction possible du mot hébreu maalòt, alternative à « montées »), pendant la liturgie du temple. Certains exégètes pensent aussi que les psaumes des ascensions ont été composés à l’occasion du retour à Jérusalem après l’exil babylonien[3].

Les parents de Jésus montaient à Jérusalem chaque année pour la fête de la Pâque[4]. Ils ont donc récité plusieurs fois (par cœur) les psaumes des ascensions. Dans l’Évangile de Jean, Jésus est à Jérusalem au moins deux fois à l’occasion de la Pâque, puis lors d’une fête non précisée, d’une fête des Tabernacles et d’une fête de la Dédicace[5]. Dans les évangiles synoptiques[6], la présentation du ministère public de Jésus comme une « ascension » vers Jérusalem peut contenir des motifs qui caractérisent les psaumes des ascensions. Jésus récitait les psaumes, pas seulement les psaumes des ascensions et pas seulement quand il allait à Jérusalem. Les paroles de ces prières montrent ce qui lui tenait à cœur, et ce que son cœur pensait de Jérusalem.

 

La motivation du pèlerinage (Ps 120)

Dans les Chants des ascensions, la « montée » vers Jérusalem commence par la réponse du Seigneur à la demande d’aide d’un croyant anonyme : « Dans ma détresse j’ai crié au Seigneur, et il m’a répondu » (Ps 120,1b)[7]. Dans le texte hébreu du Psautier – comme on appelle le livre des Psaumes, du nom grec et latin de l’instrument musical à cordes qui accompagnait le chant de ces compositions –, l’invocation est exprimée par le verbe qarà (« appeler », « lire à haute voix »). Ce terme peut prendre plusieurs sens, en plus de « prier » et « invoquer »[8] : « nommer », « convoquer », « proclamer », « crier »[9]. L’invocation du v. 1 est présentée comme un cri. Le psalmiste a crié vers le Seigneur dans l’angoisse – en hébreu, tzarà, un terme qui indique une « étroitesse » (tzàr) et se réfère, d’une part, à la cause d’une telle situation désagréable et, d’autre part, à la condition dans laquelle se trouve celui qui la subit, y compris le sentiment d’étouffement, comme l’« étroitesse » du souffle qui caractérise l’état psychologique d’anxiété.

This article is reserved for paid subscribers. Please subscribe to continue reading this article
Subscribe

 

 

[1] On « monte » à Jérusalem en raison de sa situation géographique, à 754 mètres au-dessus du niveau de la mer et à plus de 1 000 mètres au-dessus du niveau de la mer Morte. Les psaumes des ascensions sont adaptés à une ascension spirituelle. Le Targum traduit en araméen les premiers mots du De profundis, en les reliant au titre : « Psaume des montées des profondeurs… » (Ps 130,1).

[2] Cf. H. Danby (éd.), The Mishnah, Oxford, Oxford University Press, 1933, 180.

[3] Cf. F.-L. Hossfeld – E. Zenger, Die Psalmen. Psalm 51-100, Wurzbourg, Echter Verlag, 2012, 725.

[4] Cf. Lc 2,41.

[5] Cf. Jn 2,13-22 ; 5,1 ; 7,2 ; 10,22 ; 11,55-56.

[6] Cf. Lc 9,51.

[7] Cette traduction et les suivantes sont les nôtres.

[8] Is 12,4 ; Cf. Targum sur Gn 22,14.

[9] Cf. Gn 1,5.8.10 ; Ex 19,7 ; 24,7 ; Is 40,2.3.6.

[10] « Seigneur, sauve ma vie des lèvres menteuses et des langues trompeuses » (Ps 120,2).

[11] Cf. Pr 6,17 ; 12,22 ; 13,5.

[12] Cf. Ex 20,16 ; 23,7 ; Lv 5,22 ; 19,12.

[13] Cf. Jr 7,4.8.9 ; 8,8 ; 9,4 ; 13,25.

[14] Cf. Jr 51,17 ; Ez 13,22. Certains prophètes peuvent mentir (Cf. Jr 5,31 ; 14,14).

[15] Cf. Ps 69,14 ; 71,22 ; Jr 23,28.

[16] Cf. Jr 48,10 ; Os 7,16 ; Pr 10,4 ; 19,15.

[17] Cf. 2 R 19,11.

[18] Cf. Ps 64 ; 140 ; 142.

[19] Cf. Jr 7,1-4 ; 7,14 ; 23,1-6 ; Ez 34,1-9 ; Ps 119,49-50, etc.

[20] Nous traduisons le Ps 120.3-4 ainsi : « 3 Que te donnera une langue trompeuse et que t’ajoutera-t-elle ? 4 Flèches acérées d’un guerrier, avec des braises (brûlantes) de genêt ». Le genêt est utilisé comme charbon en raison de la dureté de son tronc qui, lorsqu’il est brûlé, conserve longtemps le feu des braises. Cf. H.-J. Kraus, Psalmen. 2. Psalmen 60-150, Neukirchen – Vluyn, Neukirchener Verlag, 1978, 1009. Dans la traduction de la CEI et pour la majorité des commentateurs, dans ces deux versets le psalmiste s’adresse à l’ennemi. Au verset 3, il invoque sur eux le châtiment que Ruth et Jonathan ont invoqué sur eux-mêmes avec des formulations similaires (cf. Ruth 1,17 ; 1 Sm 20,13). Au v. 4, la punition suit le principe de la loi du talion.

[21] Cf. Ps 55,22 ; Pr 25,15 ; Sir 18,15-29 ; 28,13-26.

[22] « Malheur à moi, car j’habite à Mèsech, j’habite avec les tentes de Kedàr » (Ps 120,5).

[23] « J’ai trop habité avec ceux qui haïssent la paix » (Ps 120, 6). Le terme « habiter » (shachan) peut désigner la demeure de Dieu (cf. Ex 26 ; 1 R 8). Ici, il évoque la distance par rapport au temple.

[24] « Je (suis) paix (anì shalòm), mais quand j’en parle, ils sont pour la guerre » (v. 7).

[25] Contrairement aux autres psaumes « des ascensions » (shir hamaalòt), le Ps 121,1a dit : « Chant pour les ascensions » (shir lamaalòt) : est-ce une prière pour le début de l’« ascension » ?

[26] Cf. L. Sabourin, The Psalms. Their Origin and Meaning, New York, Alba House, 1974, 276, où il est dit que dans le Ps 121 la mention des montagnes (v. 1b) évoque la Ville sainte. La paix peut être signifée par des références au vocabulaire de la bénédiction sacerdotale (cf. Nm 6,24-26).

[27] « Je lève mes yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours ? » (Ps 121, 1b).

[28] « Mon secours vient du Seigneur, qui fait le ciel et la terre » (Ps 121,2).

[29] Cf. Ps 33,20 ; 115,9.10.11. Comparez Ps 71,13 avec Ps 71,2.

[30] Cf. Ps 70,6.

[31] Cf. Ps 22,20.

[32] Cf. Ps 16 ; 22,20 ; 27,9 ; 35,2 ; 38,23 ; 40,14.18 ; 63,8 ; 70,2 ; 71,12 ; 94,17.

[33] « Il ne fera pas vaciller votre pied. Ton gardien ne dormira pas » (Ps 121,3). Cf. Ps 23,3-4 ; 66,9 ; 84,6-7.

[34] Cf. Gn 17,9.10.

[35] Cf. Ex 12,17.24 etc.

[36] Cf. Ps 127, 1. Le non-respect des commandements a provoqué l’exil (cf. Jn 16, 11). Le Seigneur, qui a dispersé Israël pour ses péchés, le rassemble et le « garde » comme un berger son troupeau (cf. Jn 31,10 ; Ez 36,24).

[37] « 4 Voici, il ne sommeille ni ne dort, le gardien d’Israël. 5 Le Seigneur est ton gardien. Le Seigneur est ton ombre, à ta droite » (Ps 121,4-5). Dans certains psaumes, l’ombre exprime la présence du Seigneur, où le fidèle habite comme dans un refuge (Ps 17,8 ; 36,8 ; 57,2 ; 63,8 ; 91,1).

[38] « 6 Le soleil ne te frappera pas le jour, ni la lune la nuit. 7 L’Éternel te gardera de tout mal. Il gardera ta vie. 8 L’Éternel gardera tes sorties et tes entrées. Dès maintenant et pour toujours » (Ps 121,6-8). La lune, comme le soleil, peut provoquer des maladies. L’épilepsie, par exemple, était considérée comme un effet de la lune. En Mt 17,15, l’épileptique est affecté (et souffre) à cause de la lune (seleaniazetai).

[39] « 4 Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu, le Seigneur est unique. 5 C’est pourquoi tu aimeras le Seigneur ton Dieu : de tout ton cœur, de toute ta vie et de toute ta force. 6 Et ces choses que je te commande aujourd’hui seront sur ton cœur. 7 Et tu les répéteras à tes enfants, et tu les diras quand tu seras assis dans ta maison, et quand tu marcheras sur le chemin, et aussi quand tu te coucheras et quand tu te lèveras. 8 Tu les lieras comme un signe sur ton bras, et ils seront comme un pendentif entre tes yeux. 9 Et tu les écriras (aussi) sur les poteaux de tes portes et sur tes portes » (Dt 6,4-9).

[40] Cf. Ps 121,7.8a.8b.

[41] Jérusalem témoigne de l’unité de Dieu et de son amour unique (cf. Dt 6,4-5), car elle est le siège de sa demeure. Cf. Ps 84 ; 87 ; Dt 12,5.11 ; 14,23 ; 16,2.6.11 ; 26,2 ; 2 R 23. La maison de Dieu, à Jérusalem, est mentionnée au début et à la fin du psaume (vv. 1.9). La maison du Seigneur est le temple : par exemple, en Ps 118,26 ; 134,1 ; 135,2.

[42] Cf. Ch. Böhm, Die Rezeption der Psalmen in den Qumranschriften, bei Philo von Alexandrien und im Corpus Paulinum, Tubingue, Mohr Siebeck, 2017, 45.

[43] « Nos pieds se tiennent à tes portes, Jérusalem » (Ps 122,2).

[44] Cf. Dt 12,7.12.18 ; 16,11.14.15 ; 26,11.

[45] Cf. Is 2,1-5.

[46] « 3 Jérusalem est bâtie comme une ville unie en elle-même (shechubbrà là yachdàw) 4 et où montent les tribus, les tribus du Seigneur, un témoignage pour Israël (edùt leIsraèl), pour louer le Nom du Seigneur, 5 car c’est là que se trouvent les sièges du jugement, les sièges de la maison de David » (Ps 122,3-5).

[47] Cf. Ex 26,6.9.11 ; 36,10.13.16.18. La Jérusalem eschatologique est caractérisée par l’unité avec Dieu et entre les hommes (cf. Is 60-62 ; Ap 20-21).

[48] Cf. Ex 25,22 ; 26,33.34 ; 31,18 ; 32,15 ; 38,21.

[49] Cf. Ex 34,6-7.

[50] « 6 Demandez la paix pour Jérusalem. Que ceux qui vous aiment le demandent. 7 Que la paix règne dans tes fortifications, la tranquillité dans tes palais. 8 Pour mes frères et mes amis, je demanderai la paix pour vous. 9 Pour la maison du Seigneur notre Dieu, je demanderai votre bien » (Ps 122,6-9). Cf. Ps 48. La totalité de la paix et de l’amour de Jérusalem correspond à la totalité de l’amour de Dieu en Dt 6,4-5.

[51] Cf. Sh. Talmon, « The Signification of « šālôm » and Its Semantic Field in the Hebrew Bible », dans : Literary Motifs and Patterns in the Hebrew Bible, Winona Lake, IN, Eisenbrauns, 2013, 251-289.

[52] Cf. Lc 10,25-26.

[53] Dans une copie du manuscrit du Vatican des LXX, on trouve dianoia au lieu de « cœur » (en hébreu lev, qui comprend les facultés de raison et de décision). Dans les paroles du scribe qui, dans l’Évangile de Marc, interroge Jésus sur le premier de tous les commandements (cf. Mc 12,28), un terme équivalent à dianoia, la synesis, remplace (et explique) l’âme (nefesh), reprenant peut-être ce qui précède immédiatement l’interprétation du commandement par Jésus, qui, dans l’Évangile de Matthieu (cf. Mt 22,34-38), remplace (et explique) par dianoia la force (meod).

[54] La parabole du bon Samaritain – qui se déroule lors d’un départ de Jérusalem et met en scène un homme « éloigné » de Jérusalem (cf. Lc 9,53) – explique la paix qu’implique le commandement de l’amour de Dieu, et avec la garde que ce commandement implique, elle explique la paix de Jérusalem.

[55] Cf. Mt 5,43-48 ; Lc 6,27-36 ; 1 Co 13 ; Gc 2,14-16 ; 1 Jn 4,7-11.

[56] « Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas rancune contre ton propre peuple, et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur » (Lv 19,18).

[57] Cf. Is 60.

[58] Cf. Mt 5,43-48 ; Jn 13,34 ; 15,9-10 ; 21,21-23 ; Ap 21. Saint Paul, dans Ép 2,14-17, parle de la paix (de Jérusalem) obtenue par Jésus par la démolition du sòreg, le mur qui délimitait et séparait, dans le temple de Jérusalem, l’espace où les païens pouvaient circuler de celui où seuls les juifs étaient admis.

[59] Cf. Ép 2,14.

[60] Cf. Jn 14,1-2.27 ; 16,22.

[61] Dans les Évangiles, Jésus est angoissé par la calomnie des lèvres et de la langue mensongère, surtout pendant la passion (cf. Mt 26,59). L’angoisse mortelle est explicitement mentionnée pour décrire le combat intérieur de Jésus avant son arrestation (cf. Lc 22,44).

[62] Cf. Lc 13,31-35 ; et comparez Mt 23,34-35 à 2 Chr 24,20-22.

[63] Dans l’Évangile de Jean, le voyage de Jésus se termine par son retour auprès du Père qui l’a envoyé (cf. Jn 3,13-18). Dans les Évangiles synoptiques, les annonces de la « passion » précisent que c’est la raison de la montée de Jésus à Jérusalem (cf. Mc 10,32-34).

[64] Cf. Jn 3,16 ; P. Di Luccio, La parola di Dio e il tempo della salvezza. Il vangelo secondo Giovanni e il suo contesto, Rome – Cinisello Balsamo (Mi), Gregorian & Biblical Press – San Paolo, 2021, 155-158. Pour Ga 5,22, la joie s’obtient, avec la paix, par le don de l’Esprit.