HAÏTI PEUT-IL SE RELEVER ?
Last Updated Date : 27 septembre 2023
Published Date:19 septembre 2023
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Parler aujourd’hui d’Haïti devient synonyme d’évoquer un pays à problèmes, avec des situations qui le tirent vers le bas de l’échelle par rapport aux autres pays. On ne serait pas loin de parler d’un pays maudit. Pourtant, c’est un pays à découvrir dans ses racines, dans ce qui le caractérise aujourd’hui, en partant de certains aspects de son histoire passée et présente.

 

Ainsi, au commencement, Haïti, c’est ce pays qui, le 1er janvier 1804, à la fin de la guerre d’Indépendance, après la victoire des anciens esclaves sur les troupes françaises, proclama l’indépendance de la première république noire du monde. C’est le pays qui a repris le nom d’Ayiti qui, à l’origine, veut dire « Terre de hautes montagnes », une terre qui était peuplée par les Taïnos ou Arawaks, peuple semi-sédentaire.

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Aujourd’hui, le grand événement qui a marqué l’histoire récente et triste d’Haïti est sans doute ce grand tremblement de terre de 2010 , de magnitude estimée entre 7,0 et 7,2 selon l’échelle de Richter, dont l’épicentre était situé à une vingtaine de kilomètres de la ville de Port-au-Prince, capitale du pays. Les dégâts furent énormes : 400.000 bâtiments sont détruits ou endommagés, dont le Palais national, résidence officielle du président, la cathédrale Notre-Dame et le Parlement. Mais c’est surtout les dégâts humains qui sont importants : plus de 280.000 morts, 300.000 blessés et 1,3 million de sans-abri.

 

Le 14 août 2021, un autre séisme de magnitude 7.2 avait encore secoué Haïti, à 12 km de la ville de Saint-Louis-du-Sud, située à 160km de la capitale Port-au-Prince, faisant au moins 29 morts. Haïti est donc un pays habitué à une série de malheurs naturels ou humains. Parmi les exemples, il y a le terrible tremblement de terre de 8,1 sur l’échelle de Richter, du 7 mai 1842, suivi d’un tsunami. Ce séisme ainsi que le tsunami qui s’en suivit détruisirent en moins de 6 minutes le Cap-Haïtien et toutes les villes de la côte atlantique haïtienne, faisant plus de 5.000 morts dans la ville du Cap qui comptait à l’époque une population estimée à 10.000 habitants . Et si l’on ajoute à ces calamités naturelles une situation politique instable, une économie au bas niveau, une situation sociale désastreuse, on a un tableau presque complet d’Haïti.

 

 

 

Petite histoire d’Haïti

En découvrant Haïti en 1492, Christophe Colomb baptisa cette île « la Española » qui devint Hispaniola. Mais son vrai nom américain était Quiqueya (Terre haute), en dehors évidemment d’Haïti qui veut dire « Grande Terre. Sans une raison claire, on appelait aussi cette île des Grandes Antilles « Saint-Domingue », du nom de sa capitale (Santo Domingo) fondée en 1496 par Bartolomé Colomb.

 

La présence des Espagnols dans cette île se justifie essentiellement par ses richesses du sous-sol. En effet, au XVIe siècle, l’occupation était principalement dans la plaine du Sud-Est, autour de Santo Domingo, et à la vallée de Cibao, à cause du manque de métaux précieux. À leur tour, à partir de 1625, les Français s’installèrent à l’île de la Tortue, et dans les petites plaines de la partie occidentale. En 1697, cette occupation française fut reconnue par l’Espagne. Il s’en suivit alors une évolution politique significative et confuse, ainsi qu’un antagonisme entre Français et Espagnols : la colonie française devint indépendante sous le nom de république d’Haïti en 1804. Mais Haïti fut occupé de 1822 à 1843, surtout pendant le régime autoritaire de Jean-Pierre Boyer, à cause de la dette française (indemnité et emprunt) . Après cette occupation, la partie espagnole proclama à son tour son indépendance en 1844 sous le nom de République Dominicaine. Actuellement, Hispaniola est partagée en deux États : à l’ouest, la République d’Haïti, 27.750 kilomètres carrés et, à l’est, la République Dominicaine, 48.730 kilomètres carrés.

 

Aujourd’hui, Haïti est un pays presque dépourvu de vie . Un pays où les autoroutes manquent, où l’insécurité a fait fuir les personnes capables de contribuer à son développement, où la pauvreté trouve sa définition visible, etc. Quand on observe la vie politique d’Haïti aujourd’hui, on peut dire que l’indépendance et les élections ne suffisent pas pour développer un pays. Ce pays est indépendant depuis 1804, il a organisé plusieurs élections. Mais il continue à vivre dans la misère et le désordre indescriptibles. En 2022, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, OCHA, a dû mettre à jour des réponses sectorielles et thématiques pour venir en aide à Haïti à travers les agences humanitaires. Les interventions concernaient notamment : le secteur Abris/Biens non-alimentaires, BNA/Coordination et gestion de camp, CCCM, (54,3 millions de dollars) ; Eau Potable (19,3 millions de dollars), Assainissement et Hygiène (19,3 millions de dollars) ; Éducation (26,6 millions de dollars) ; Nutrition (15,2 millions de dollars) ; Protection contre la violence armée (24,4 millions de dollars) ; Protection de l’enfance (11,2 millions de dollars) ; Protection Violence basée sur le genre, VBG (5,8 millions de dollars) ; Protection des migrants et PDI (7 millions de dollars) ; Santé (20,5 millions de dollars) ; Sécurité alimentaire (199 millions de dollars) ; Logistique (12,3 millions de dollars).

 

En Haïti, les douleurs et les traces de l’esclavagisme, du colonialisme, de l’occupation américaine, le massacre de plus de paysans haïtiens protestataires, l’expropriation des paysans par les grandes compagnies, la souffrance des masses, le travail forcé et la dépossession sont une pesanteur difficile à enlever dans la conscience collective. Certains soutiennent même que ces mauvais souvenirs ont forgé le nationalisme haïtien.

 

 

 

Les grandes plaies de Haïti

Parmi plusieurs maux dont souffre Haïti, il y a la fameuse dette de l’indépendance. Ce pays est en effet le seul au monde à payer une redevance à leurs anciens esclavagistes et leurs descendants pendant plusieurs générations, dont la somme est estimée à des centaines de millions de dollars . À propos de cette somme versée à la France, Jean-Bertrand Aristide, alors président d’Haïti, avait demandé, au début des années 2000, des comptes à la France. Au niveau interne, le pays n’a pas été épargné par différents régimes autocrates ou dictatoriaux. Les exemples plus connus sont ceux de François Duvalier « Papa Doc » (président de 1957 à 1971) et de son fils Jean-Claude Duvalier, surnommé « Baby Doc » (22 avril 1971 – 7 février 1986) .

 

Et ce qui caractérise Haïti de nos jours, c’est l’instabilité politique adoubée de la crise socio-économique, du narcotrafic, du grand banditisme, de l’insécurité qui ont conduit à l’assassinat du Chef de l’État dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021 . Les enquêtes préliminaires de cet assassinat montraient en fait les rôles des hauts placés dans le trafic de stupéfiants, d’armes et de blanchiment d’argent.

 

Une telle situation d’incertitude politique, mais pas seulement, pousse la population à quitter le pays. Haïti se voit en effet vidé de sa population par la recherche d’un mieux-être. La migration des Haïtiens, qui n’est cependant pas un phénomène propre d’Haïti , peut donc s’expliquer par les motivations économiques, les persécutions et les menaces de nature politique.

 

Selon l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), le nombre d’émigrants d’origine haïtienne est estimé en 2021 à 1.770.000, avec comme principaux pays d’accueil : les États-Unis d’Amérique, la République Dominicaine, le Chili, le Canada, la France, le Brésil et les Bahamas . Certains voisins d’Haïti en ont marre d’immigrés de ce pays. On a vu par exemple les autorités de la République dominicaine voisine, commencer à expulser en septembre 2020, les ressortissants en situation irrégulière. Quelques mois plus tard, en janvier 2021, le président dominicain, Luis Abinader et le président haïtien, Jovenel Moïse s’étaient mis d’accord pour trouver une solution au flux migratoire irrégulier et améliorer la sécurité dans leurs frontières. Mais la situation des migrants entre deux pays restait toujours d’actualité au point qu’en février 2021, le président dominicain avait annoncé la construction d’un mur à la frontière. En août de la même année, son ministère de la Défense a rapporté plus de 178.000 rapatriements forcés de personnes haïtiennes. Et le 28 septembre 2021, le Conseil national de l’immigration de la République dominicaine a pris une mesure empêchant toute personne étrangère qui présenterait un fardeau excessif pour les finances publiques d’entrer dans le pays, notamment les femmes enceintes de plus de six mois.

 

L’inquiétude du gouvernement dominicain est liée à la résurgence de la violence en Haïti, avec la montée des gangs. Haïti est donc considéré comme une menace pour son voisin. C’est certainement pour refuser d’être une victime collatérale de la situation haïtienne que les autorités dominicaines tentent de réguler la migration haïtienne.

 

Cependant, il y a une situation des immigrés Haïtiens en République Dominicaine qui est souvent éludée : les conditions indignes et injustes, presque d’esclavage d’immigrés ou travailleurs Haïtiens dans les plantations de canne à sucre. En effet, chaque année, des nombreux Haïtiens émigrent en République Dominicaine pour travailler à la récolte de la canne à sucre. Cette activité est connue sous le nom de « la zafra » et considérée par les défenseurs des droits humains comme travail forcé. Beaucoup de ces Haïtiens travaillent au noir, donc illégalement. Ils sont payés à l’ordre de seulement 3 dollars américains pour une journée de douze heures de travail. Face aux indignations de diverses organisations, le gouvernement des États-Unis d’Amérique, par exemple, avait suspendu en novembre 2022 les importations de sucre brut et de ses dérivés en provenance de la République Dominicaine pour lutter contre le travail forcé dont sont victimes les immigrés Haïtiens dans ce pays .

 

Toujours en rapport avec l’immigration, les États-Unis avaient décidé, en mai 2021, de prolonger de 18 mois supplémentaires le statut de protection temporaire de 18 mois accordé aux ressortissants haïtiens vivant aux États-Unis. Malgré la prolongation de ce moratoire, les États-Unis ont poursuivi, en période de covid, les expulsions vers Haïti des personnes haïtiennes migrantes et en quête d’asile arrivant sur leur territoire. En outre, en septembre 2021, des agents frontaliers ont été déployés pour contrecarrer les migrants haïtiens souhaitant entrer aux États-Unis par la frontière mexicaine.

 

Entre le 20 janvier 2021, date de son entrée en fonction, et fin novembre de la même année, l’administration Biden avait expulsé environ 12.000 Haïtiens. La migration reste ainsi un problème majeur en Haïti. Lors du Synode pour les jeunes, en 2018, Mgr Quesnel Alphonse, évêque de Fort-Liberté en Haïti, avait soulevé le fait que c’était un grand défi de faire en sorte que les jeunes ne puissent émigrer. Malgré certaines initiatives pour les inciter à rester, ils préfèrent quitter le pays, dans un grand mouvement migratoire.

 

Il y a cependant un fait historique indéniable de l’immigration positive haïtienne. C’est notamment celle qui a vu plusieurs Haïtiens aller au Congo-Kinshasa, en 1960, (donc à son indépendance) comme assistants techniques du gouvernement. Ainsi, des instituteurs, professeurs, administrateurs et médecins se sont installés à Kinshasa, mais aussi dans les provinces du Bandundu, du Bas-Congo, du Kasaï occidental, du Kivu, du Katanga et dans la province Orientale. Une sorte de migrations de travail pour un peuple attaché par un passé affectif liant les Haïtiens à l’Afrique.

 

Dans le registre purement politique, depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse, la situation est fort tendue et les élections restent au centre de toute l’attention des protagonistes. En vue de ces élections, le Premier ministre Ariel Henry a installé le 6 février 2023, les trois membres du Haut Conseil de la Transition (HCT), issu de l’accord du 21 décembre 2022, après les avoir nommés un mois plus tôt. Le Haut Conseil de Transition a trois grandes tâches : la révision de la Constitution, le renforcement du système judiciaire et la formation du Conseil électoral provisoire. Cependant, l’accord du 21 décembre 2022 n’a pas été accepté par tous les politiciens Haïtiens qui estiment qu’il est issu d’une décision unilatérale qui aggrave la crise, évoquant une absence de consensus entre les différents protagonistes politiques.

 

Aussi, comment serait-il possible d’organiser les élections, et donc avec l’exigence de la campagne électorale, donc mouvement des candidats, dans un pays où l’appareil sécuritaire (armée et police) a perdu le contrôle d’une grande partie du pays, dont la capitale, au profit des groupes armés (gangs) ? La reprise du contrôle par l’armée et la police des zones sous contrôle des gangs semble un préalable pour l’organisation d’élections paisibles, en dehors des querelles des politiciens. Il est alors incertain que le processus électoral en cours pour le retour à l’ordre démocratique soit un apaisement politique, dans un pays habitué à l’instabilité politique. Il serait utile de chercher les causes historique de cette instabilité.

 

 

 

Les racines profondes du mal haïtien

Haïti, ce pays de 11,45 millions d’habitants , depuis qu’elle est une nation, a toujours vu les politiciens chercher la mise à l’écart des chefs d’Etat avant que ces derniers achèvent leurs mandats, malgré les lois ou les différentes constitutions. C’est donc une recherche à tout prix du pouvoir, derrière toutes les raisons avancées pour destituer un président.

 

Pour justifier, par exemple le coup d’Etat contre le président Élie Lescot, en 1946, on évoqua la crise économique et financière. Dumarsais Estimé, qui avait encore droit à se représenter pour un second mandat, a été contraint de partir, sous prétexte de violation de la Constitution. La même Constitution fut évoquée pour Paul Eugène Magloire qui avait voulu rester au pouvoir au-delà du terme de son mandat en 1956 alors que, selon la Constitution, il devait partir depuis le 6 mai de la même année. Un autre prétexte d’instabilité politique qui exige le départ d’un gouvernement, c’est celui de la lutte de classes sous couvert de défense des noirs contre les mulâtres, ou aussi le prétexte de mauvaise gouvernance sous le gouvernement de Jovenel Moise. Il faudrait aussi ajouter les prétextes, apparemment acceptables, lorsque les opposants se mettent à dénoncer l’autoritarisme de certains chefs d’État comme ce fut le cas d’Alexandre Pétion (en charge de 1807 à1818).

Il y a plusieurs formes d’instabilité politique, en Haïti où, entre 1804 et 2021, on compte plus ou moins 82 personnalités ou groupes de personnalités qui ont été à la tête du pays. Cependant, depuis son indépendance, ce sont plutôt 52 présidents de la République qui se sont succédé à la tête d’Haïti, un pays avec un effectif record en termes d’assassinats, de renversements et de départs en exil de chefs d’Etat. Plusieurs présidents de ce pays ont été renversés ou assassinés . Par ailleurs, Haïti est habitué au changement de la Constitution. Il compte, en effet, depuis celle (Constitution) de 1805, adoptée sous Dessalines, 24 Constitutions. Duvalier, à lui seul avait élaboré trois constitutions (1964, 1971 et 1983).

 

Dans l’histoire politique d’Haïti, certains hommes politiques avaient aussi formé leurs républiques en divisant le pays, comme ce fut le cas en 1888, sans oublier les nombreuses sécessions ou tentatives de sécession. Le cas de l’insurrection paysanne de Goman en est un exemple. Elle coupa la Grande-Anse du reste du pays entre 1807 et 1820. Ainsi, le pays a été divisé en deux États : le royaume du Nord et la République de l’Ouest. En sus, après 1844, Haïti a dû faire face à la révolte des Piquets conduite par Louis-Jean-Jacques. On ajoutera aussi que les Cacos, estimés à 40.000, avaient formé une république éphémère vite balayée par l’armée américaine, alors que le pays était sous occupation américaine (1915-1934).

 

Au-delà des coups d’Etat et assassinats, l’instabilité politique haïtienne est aussi manifeste dans les mandats des Premiers ministres ou des hauts fonctionnaires. Souvent, le mandat des Premiers ministres est sujet à des caprices des parlementaires en ce qui concerne l’intronisation ou pour rester à la tête des gouvernements. Les dernières décennies, plusieurs Premiers ministres nommés par les présidents René Préval, Michel Martelly ou Jovenel Moise n’ont pas été intronisés à cause de querelles de mauvaise foi des parlementaires. D’autres Premiers ministres n’ont pas fini leur mandat tout simplement à cause des conflits entre les partis politiques.

 

Sans faire un recul trop en arrière, on peut relever que depuis 2015, période marquée par la fin de la présidence de Joseph Martelly, Haïti est plongé dans de graves crises politiques. Les deux cas qui marquent la période actuelle sont la crise sous Jovenel Moïse et sous Ariel Henry. Sous la présidence de Jovenel, il y a eu plusieurs mouvements menés par l’opposition, avec des tendances tantôt nationalistes, tantôt « noiristes » en lutte contre les métis, tantôt les « groupes de gauche ». Ces mouvements ont pu mobiliser de grandes foules dans la rue, organiser des grèves syndicales ou ont conduit à barricader souvent les rues.

 

Ces luttes politiques ont entrainé la formation des militants plus radicaux qui ont mené des attaques armées, formant des mouvements de révolte contre les gouvernements en place ou contre tout le système. En somme, une culture de chaos. Il se forma ainsi, avec tous ces mouvements de déstabilisation, sous la présidence de Jovenel Moise, un blocage quasi-total des activités du pays pendant de longs mois, marqué par des manifestations violentes, l’érection de barricades, les pillages d’entreprises, la destruction des biens divers dont ceux appartenant à l’État, et diverses autres actions. Cette situation perdura jusqu’à l’assassinat du président Jovenel Moise.

 

Quand Ariel Henry, arrive à la tête de l’État le 19 juillet 2021, étant à la fois Premier ministre et (officieusement) Président de la République, l’instabilité politique n’a cessé de s’aggraver. Il a fait face à deux « blocages » (locks) de la distribution de produits pétroliers (septembre-octobre-novembre 2021 et septembre-octobre 2022). Il faudrait ajouter à ces blocages la montée des gangs ou groupes armés disposant de l’armement lourd et sophistiqué et qui sont mieux équipés que la police nationale. Ces groupes contrôleraient 70 % de la capitale Port-au-Prince et probablement 60% de l’espace national, maitrisant totalement le département de Bas-Artibonite. Cette recrudescence des groupes armés a provoqué le déplacement de plus ou moins 100.000 personnes.

 

Les protestations semblent alors laisser la place aux actions violentes des groupes armés qui sèment la terreur avec des enlèvements, assassinats, vols à main armée . Un des groupes armés bien connus est le gang « 400 Mawozo » qui disposerait de près de 3.000 hommes . Les autres principaux gangs sont : Chen Mechan, G9, G-Pèp-la, Gran Ravinn, 5 segonn, G-Pèp, Baz Gran Grif. Chacun de ces groupes de gangs a sa zone d’influence. Il arrive souvent que deux groupes de gangs s’affrontent et prennent la population en otage. C’est ce qui est arrivé en 2022 à Port-au-Prince, dans un quartier du bidonville de Cité Soleil, ou des milliers d’habitants étaient piégés par le combat violent entre deux groupes de gangs, « G-9 Family and Allies » et « G-pèp-la ». Les habitants de ce quartier ne pouvaient sortir de chez eux et n’étaient même pas permis de s’enfuir, au risque d’être tués. Ces affrontements entre deux bandes de gangs provoquèrent au moins 99 morts, 135 blessés, et des dizaines de disparus . Les groupes armés sont tellement puissants qu’ils peuvent même se permettre d’attaquer le convoi du Premier ministre Ariel Henry. En effet, le 1er janvier 2022, le premier ministre Henry, qui se rendait aux Gonaïves (à 150 kms de la capitale Port-au-Prince, où fut proclamée l’indépendance du pays le 1er janvier 1804, a été la cible de tirs à l’arme lourde d’un groupe de gangs.

 

Le trafic de drogues est aussi un des maux qui fait mal à Haïti. Il atteint même le monde politique. Le 4 novembre 2022, le ministère américain des Finances avait mis en place des sanctions visant directement deux responsables politiques haïtiens, dont le président en exercice du Sénat, M. Joseph Lambert . La mort du président Jovenel Moise est due même, selon certains analystes, à sa tentative de lutter contre des trafiquants d’armes et de drogues. Il dressait une liste de puissants politiciens et d’entrepreneurs impliqués dans le trafic de drogue, pour la remettre au gouvernement américain, ne voulant épargner personne, même pas les faiseurs de rois qui l’avaient propulsé au pouvoir mais qui étaient dans ce dossier louche de drogue.

Une autre plaie d’Haïti c’est la corruption. L’indice de perception dans le secteur public était de 83 points en 2022, les principales causes étant en partie politiques et culturelles. On déplore notamment l’inefficacité des poursuites judiciaires.

 

 

 

Qui sauvera Haïti du gouffre actuel ?

C’est depuis des décennies que l’on dit ou entend dire la même chose sur Haïti : le pays vit des moments difficiles, les conditions économiques et sociales se dégradent. Déjà en 1983, lors de son passage dans ce pays, le Pape Jean-Paul II n’avait pas manqué de demander que les choses puissent changer dans ce pays. Dans son homélie à la messe de clôture du Congrès eucharistique (9 mars), il avait soulevé et décrit la triste réalité sociale des Haïtiens qui, disposant d’un beau pays, vivaient dans la division, l’injustice, l’inégalité excessive, la dégradation de la vie, la misère. Il n’avait pas oublié les paysans qui étaient incapables de vivre de leur terre, des gens qui s’entassaient sans travail dans les villes, les victimes de diverses frustrations.

Le pays, malheureusement, est caractérisé par la pauvreté le caractérise, les « vices » d’une catégorie de sa population le rendent fragile. Pis encore, les menaces naturelles (séismes, ouragans, maladies, etc.) ne l’épargnent pas. Rien ne semble changer positivement dans ce pays à court, moyen ou long terme. Les Haïtiens sont-ils eux-mêmes en mesure de sortir de leur enfer ? Pour le moment il est difficile d’entrevoir cet espoir car le pays a de la peine à se stabiliser et à répondre notamment aux besoins fondamentaux de sa population. Difficile même de projeter ou de proposer une solution tellement les donnes sont complexes et compliquées.

 

Certaines conjonctures dépendent des Haïtiens eux-mêmes (banditismes, crises politiques à répétition, corruption dans l’appareil de l’État, émigration, etc.), mais d’autres dépendent de l’extérieur (trafic de drogue, notamment). Il faudrait donc de nouvelles approches et stratégies, sans oublier les moyens pour y parvenir. Une des priorités à laquelle le gouvernement haïtien devait s’y atteler, c’est la lutte et l’élimination des groupes armés (gangs) qui imposent la loi par toutes de violences et d’exactions. Il faudrait pour cela doter la police et l’armée de moyens conséquents et sanctionner les politiciens qui collaborent avec ces groupes armés.

 

En outre, les Haïtiens doivent être conscients de leur responsabilité dans la recherche du changement et de la fin de la crise dramatique qui a conduit la société haïtienne à vivre écrasée par la peur et la souffrance. Il est à espérer que la signature de l’accord du 21 décembre 2022 puisse être un premier pas pour conduire le pays vers la tenue d’élections fiables et transparentes, qui aboutiront à la formation d’un gouvernement fort, capable de faire face à la situation actuelle. Assurer la sécurité à tous les niveaux est une condition préalable à la réalisation de ces objectifs, en mettant fin aux bandes armées qui, en dehors de la loi, imposent leur loi. La douleur du peuple haïtien est un appel à tous les acteurs politiques et sociaux haïtiens et à la communauté internationale pour qu’ils s’engagent à trouver une solution définitive aux nombreux problèmes qui affligent cette population déchirée.