FRÈRES ET SŒURS DE QUI ? Trois critères pour une fraternité impossible
Last Updated Date : 22 août 2022
Published Date:5 janvier 2022

Il n’y a rien de nouveau à affirmer que nous devons vivre dans un contexte de fraternité humaine. Ni en ajoutant qu’il s’agit d’une question urgente. Nous ne doutons pas non plus que ce cri ait été poussé, à travers les siècles, par des hommes et des femmes qui ont donné leur vie pour cet idéal. En revanche, ce qui requiert toujours de l’innovation, c’est comment le faire dans n’importe quel contexte. Nous devons demander à l’Esprit de nous montrer avec une fidélité créatrice quelles voies nouvelles, quelles pédagogies pastorales actualisées, quelles inspirations originales peuvent nous aider à grandir dans cette utopie à laquelle la foi nous invite et nos guides religieux nous appellent.

Notre expérience nous amène ainsi à proposer trois critères pédagogiques et pastoraux sur la base desquels nous pouvons amener nos frères et sœurs à percevoir cette utopie comme la leur et à s’associer à la construction de ce projet désiré en ce moment[1].

 

Une pédagogie de la lignée ouverte

Chacun de nous appartient à une certaine lignée : nous venons d’une certaine chaîne historique de relations, dont nous constituons un maillon. Peu importe si nous les connaissons, nos généalogies imprègnent la conformation de notre identité par vertu et par défaut. Nous sommes ce que nous faisons avec ce que nous avons hérité sur le plan génétique, familial, culturel, personnel ; si nous l’ignorions, nous commettrions une grave imprudence anthropologique.

Le fait de pouvoir prendre conscience de cette mémoire historique inscrite dans notre personnalité est une action pédagogique utile, qui nous empêche de tomber dans le piège, propre à une subjectivité débordante, de croire que tout commence par notre liberté. C’est l’enracinement dans les fibres nourrissantes de nos relations que se trouve la possibilité d’ensemencer, consciemment, l’horizon de sens que nous attendons de demain.

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[1] Cet article a été publié, en espagnol, par le Centro virtual de pedagogía ignaciana, dans Boletín 66, numéro spécial, avril-mai 2021, disponible sur www.pedagogiaignaciana.com.

[2] Ce sont les premiers mots du Document sur la fraternité humaine pour la paix dans le monde et la coexistence commune, signé par le pape François et le grand imam d’al-Azhar, Ahmad al-Tayyeb. Il a ensuite inspiré l’encyclique de François, Fratelli tutti (FT).

[3] Cf. Compagnie de Jésus – Secrétariat à l’éducation, « Ciudadanía global : Una perspectiva ignaciana » (www.educatemagis.org/es/global-citizenship-an-ignatian-perspective).

[4] François, Message à l’occasion du 150e anniversaire de la proclamation de saint Alphonse Marie de Liguori comme Docteur de l’Eglise, 23 mars 2021.

[5] « L’hyperculture est dispersée. […] L’hyperculture diffère aussi de la multiculture en ce qu’elle a moins de souvenirs liés à la provenance, à l’ascendance, aux ethnies et aux lieux. Mais, malgré cette dynamique, l’hyperculture repose sur une juxtaposition dense d’idées, de signes, de symboles, d’images et de sons différents ; c’est une sorte d’hypertexte culturel. La transculturalité manque précisément de cette dimension de l’hyper. La proximité de la juxtaposition spatio-temporelle, et non la distance du trans, caractérise la culture d’aujourd’hui. Ni le multi ni le trans l’hyper (accumulation, connexion et condensation) représente l’essence de la mondialisation » (H. Byung-Chul, Hiperculturalidad. Cultura y globalización, Barcelone, Herder, 2018, 84).

[6] « Plus que toute autre chose, le Game a besoin d’humanisme. Ses gens en ont besoin, et pour une raison élémentaire : ils ont besoin de continuer à se sentir humains. […] Au cours des cent prochaines années, alors que l’intelligence artificielle nous éloignera encore plus de nous-mêmes, il n’y aura pas de marchandise plus précieuse que tout ce qui fait que les hommes se sentent humains. […] Ce n’est pas le Game qui doit revenir à l’humanisme. C’est l’humanisme qui doit combler une lacune et atteindre le Game. Une restauration obtuse des rites, des connaissances et des élites que nous relions instinctivement à l’idée d’humanisme serait une perte de temps impardonnable. En revanche, nous sommes pressés de cristalliser un humanisme contemporain, où les empreintes laissées par les humains sont traduites dans la grammaire du présent et introduites dans les processus qui génèrent, chaque jour, le Game » (A. Baricco, The Game, Turin, Einaudi, 2018, 259 s.).

[7] Cf., par exemple, S. Sinay, La sociedad de los hijos huérfanos. Cuando padres y madres abandonan sus responsabilidades y funciones,Buenos Aires, Ediciones B, 2007 ; L. Ricolfi, « La società senza padre », Il Messaggero (www.fondazionehume.it/societa/­la-societa-senza-padre), 6 novembre 2017 ; M. Recalcati, Cosa resta del padre ? La paternità nell’epoca postmoderna, Milan, Raffaello Cortina, 2017 ; C. Miriano – F. Nembrini – A. Polito, « Alla ricerca del padre perduto. Dialogo sulla possibilità di un’educazione oggi » : www.standard1932.it/risorse/alla-ricerca-del-padre-perduto.pdf/ ; C. Domínguez Morano, Creer después de Freud, Cordoba, Educc, 2010.

[8] « Il n’est pas toujours facile aujourd’hui de parler de paternité. En particulier dans le monde occidental, les familles désagrégées, les occupations professionnelles toujours plus prenantes, les préoccupations et souvent la difficulté d’équilibrer le budget familial, l’invasion dissipante des mass media au sein de la vie quotidienne sont parmi les nombreux facteurs qui peuvent empêcher une relation sereine et constructive entre pères et fils. La communication devient parfois difficile, la confiance vient à manquer et le rapport avec la figure paternelle peut devenir problématique; de même qu’il devient problématique également d’imaginer Dieu comme un père, n’ayant aucun modèle de référence adéquat. Pour ceux qui ont fait l’expérience d’un père trop autoritaire et inflexible, ou indifférent et peu affectueux, ou même absent, il n’est pas facile de penser avec sérénité à Dieu comme un Père et de s’abandonner à Lui avec confiance » (Benoît XVI, Audience générale, 30 janvier 2013).

[9] À cet égard, le pape François offre une excellente analyse dans l’Exhortation apostolique post-synodale Amoris Laetitia (AL), au chapitre deux : « La réalité et les défis des familles ».

[10] Cf. E. Sicre, « La familia que Dios quiere » (emmanuelsicre.blogspot.com/2016/08/la-familia-que-dios-quiere.html).

[11] Cf. C. Domínguez Morano, « A nadie llaméis padre », dans : Id., Creer después de Freud, 255-288.

[12] Cf. Id., « La paternidad de Dios », Experiencia cristiana y psicoanálisis, Cordoba, Educc, 2005, 55-91.

[13] M. I. Rupnik, Gli si gettò al collo. Lectio divina sulla parabola del padre misericodioso, Rome, Lipa, 1977, 27 s.

[14] E. Hillesum, Diario 1941-43, Milan, Adelphi, 1986, 194.

[15] Cf. H. Byung-Chul, « Il nomos della terra », dans : Id., Nello sciame, Milan, nottetempo, 2015.

[16] Cf. F. Canillas del Rey, « Caín y Abel : iconografía del primer fratricidio », Revista digital de iconografía medieval 11 (2019) 131-156.

[17] Le rapport entre fraternité et violence est comme le fil conducteur des histoires du premier livre de la Bible. Les pôles sont bien connus tout au long de l’intrigue : la violence se manifeste dans la rivalité presque instinctive dans le ventre de la mère (Gn 25,23) ; dans le cri amer et indigné du frère raillé (Gn 27,32-34) ou dans le complot des frères aînés (Gn 37,18-20). La réconciliation et l’avenir de la paix et de la collaboration sont décrits avec de belles nuances dans la rencontre des frères réconciliés (Gn 33,8-11), dans les larmes du père qui retrouve son fils perdu avec ses frères (Gn 46, 28-30) ou, mieux encore, dans la sagesse avec laquelle le conflit entre frères est lu comme permis par Dieu pour le salut de la famille (Gn 45,1-5 ; 50,15-21) » (A. Ferrada, « Una lectura narrativa de Gn 4,1-16 : hermandad y violencia », Teología y Vida 57 [2016] 335-366).