La COP25, ou la vingt-cinquième session de la Conférence des Parties de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, s’est tenue à Madrid du 2 au 15 décembre 2019. La capitale espagnole a remplacé au dernier moment le lieu désigné, Santiago du Chili, après que l’État sud-américain eut renoncé à son rôle d’hôte en raison des troubles qui s’étaient produits dans sa capitale. Cependant, les sessions à Madrid se sont déroulées sous la présidence du Chili.
Ce fut la quatrième réunion après la Cop21, tenue à Paris en décembre 2015. Quel était l’objectif de la Cop25 ? L’a-t-il été atteint, voire dépassé, ou la Conférence a-t-elle échoué dans son objectif ?
Le pape François a envoyé un message urgent et de grande envergure aux participants de la COP25, adressé à Carolina Schmidt, ministre chilienne de l’environnement et présidente de la Conférence[1]. Le message a été lu par le chef de la délégation du Saint-Siège, le Card. Pietro Parolin, Secrétaire d’État[2].
Cet article entend rendre compte du travail de Cop25 et de ses résultats dans l’optique du message papal.
Les attentes de Paris
Le message du pape François a commencé ainsi : « Le 12 décembre 2015, la COP 21 a adopté l’Accord de Paris, dont la mise en œuvre nécessitera un engagement concerté et le dévouement généreux de chacun[3] ».
L’entrée en vigueur rapide de l’Accord, en moins d’un an, et les nombreuses réunions et débats, visant à réfléchir sur l’un des principaux défis pour l’humanité, celui du changement climatique[4], et à identifier les meilleurs moyens de mettre l’Accord en œuvre, ont révélé une prise de conscience croissante de la part des différents acteurs de la communauté internationale de l’importance et de la nécessité de « collaborer pour construire notre maison commune[5] ».
Le ton plein d’espoir qui s’est dégagé de ces débuts était bien fondé. En 2015, il y eut un certain optimisme quant à la capacité de la communauté mondiale à corriger la tendance des émissions de gaz à effet de serre. Cette attitude positive prit aussi une dimension particulière, sous la forme de milliers de chaussures déposées sur la Place de la République(le pape François y envoya une paire de chaussures usées), qui remplaça symboliquement la marche publique, interdite par les autorités pour des raisons de sécurité à la suite des attentats terroristes à Paris peu avant.
Le cardinal Parolin s’était adressé à Cop21, au nom du pape, avec des mots qui reprenaient les considérations exprimées par François au Kenya[6]. Quelques jours plus tôt, dans un discours à l’Office des Nations Unies à Nairobi, le Saint-Père avait indiqué un aspect positif :
« Un dialogue sincère et ouvert est nécessaire, avec la coopération responsable de tous : autorités politiques, communauté scientifique, entreprises et société civile. Les exemples positifs ne manquent pas qui nous démontrent comment une vraie collaboration entre la politique, la science et l’économie est capable d’obtenir d’importants résultats. Nous sommes conscients, cependant, que les « êtres humains, capables de se dégrader à l’extrême, peuvent aussi se surmonter, opter de nouveau pour le bien et se régénérer » (LS 205). Cette profonde prise de conscience nous conduit à espérer que, si l’humanité de la période post-industrielle pourrait laisser le souvenir de l’une des périodes les plus irresponsables de l’histoire, “l’humanité du début du 21ème siècle pourra rester dans les mémoires pour avoir assumé avec générosité ses graves responsabilités » (LS 165) »[7].
Pour le philosophe, anthropologue et sociologue Bruno Latour, Cop21 a marqué un tournant important : les « pays signataires […] ont compris que si chacun procédait selon ses plans respectifs de modernisation, il n’y aurait pas de planète compatible avec leurs espoirs de développement. Il leur en faudrait plusieurs ; ils n’en ont qu’une[8] ». Autrement dit, tout dirigeant qui ne s’inquiète plus désormais du changement climatique refuse de tenir compte de la réalité. Des dirigeants de ce genre sont toujours au pouvoir, mais il y a au moins un fait positif : la frontière entre fantasme et réalité a été définitivement tracée le 12 décembre 2015.
Après quatre ans, aucun progrès n’a été enregistré par les États
Le message du Pape à la COP25 a continué : « Malheureusement, quatre ans plus tard, nous devons admettre que cette prise de conscience est encore assez faible, incapable de répondre de manière adéquate à ce fort sentiment d’urgence d’une action rapide exigée par les données scientifiques dont nous disposons, telles que celles décrites dans les récents rapports spéciaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)[9]. Ces études montrent que les engagements actuels des États pour atténuer et adapter le changement climatique sont loin de ceux réellement nécessaires pour réaliser les objectifs fixés par l’Accord de Paris. Ils démontrent à quel point les mots sont éloignés des actions concrètes ! Actuellement, on s’accorde de plus en plus sur la nécessité de promouvoir les processus de transition ainsi que la transformation de notre modèle de développement, d’encourager la solidarité et de renforcer les liens solides entre la lutte contre le changement climatique et la pauvreté. Les nombreuses initiatives mises en œuvre ou en cours, non seulement par les gouvernements mais aussi par les communautés locales, le secteur privé, la société civile et les particuliers, en témoignent. Il reste cependant beaucoup d’inquiétude quant à la capacité de ces processus à respecter les délais exigés par la science, ainsi qu’à la répartition des coûts qu’ils exigent. De ce point de vue, nous devons sérieusement nous demander s’il existe une volonté politique d’allouer avec honnêteté, responsabilité et courage davantage de ressources humaines, financières et technologiques pour atténuer les effets négatifs du changement climatique, ainsi que pour aider les populations les plus pauvres et les plus vulnérables qui en souffrent le plus ».
L’action pour le climat rencontre toujours une forte résistance ; mais celle-ci a perdu de sa crédibilité. Il y a trop de preuves et trop de rumeurs. De plus, ce ne sont pas seulement ceux des scientifiques et des militants, que les négationnistes tentent constamment de discréditer, mais aussi ceux d’un nombre croissant de personnalités dans les domaines économique et politique. Par exemple, l’Allemagne et le Danemark se sont officiellement engagés à atteindre la neutralité climatique d’ici 2050 et, dans l’intervalle, à rendre compte des progrès accomplis dans cette direction. Même l’armée américaine exprime sa préoccupation quant à la possibilité que, dans les deux décennies à venir, le changement climatique pourrait dépasser sa capacité à garantir la sécurité[10].
Les migrations causées par le climat menacent de faire pâlir tout autre flux de délocalisation humaine forcée. Les troubles sociaux et les migrations sont aujourd’hui étroitement liés au territoire et aux tentatives de parvenir à une vie moins vulnérable. La perte de terres par les indigènes en est l’aspect le plus évident.Les affrontements au Chili aussi, qui ont conduit au transfert du COP25 à Madrid, ont été en partie alimentés par de fortes pressions socio-économiques et une longue période de sécheresse. Ce n’est qu’un cas parmi tant d’autres ; de tels troubles se produisent dans beaucoup de régions.
En Afrique, le problème climatique s’est ajouté aux problèmes politiques et économiques, exacerbant les difficultés des victimes du VIH-SIDA. Par exemple, les décisions des entreprises et la dégradation de l’environnement obligent parfois un grand nombre de personnes à se retirer dans des bidonvilles urbains surpeuplés, où les problèmes sociaux s’aggravent et où les gouvernements qui subissent la pression des institutions financières internationales ne parviennent pas à garantir des soins de santé adéquats.
Cette imbrication de problèmes nous rappelle que nous devons intégrer, et non isoler, les diverses préoccupations et perspectives. En octobre dernier, l’écologie intégrale, promue par le pape François dans Laudato si’ (2015), était un thème clé du Synode pour l’Amazonie. En effet, dans les intentions du pape François ce Synode a été un aboutissement concret de Laudato si’, qui demande une conversion écologique et environnementale. En plus d’être une affaire publique et une discipline scientifique, l’écologie est un défi pour la foi, la spiritualité et la justice des chrétiens. Le Document final du Synode présente les dimensions socio-environnementales de l’évangélisation (nos 74-79) et appelle à une approche sociale de l’écologie, « qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres » (nº 66, qui cite LS 49). Prendre soin de l’Amazonie requiert aussi des formes de développement durables, justes et solidaires.
La tâche de COP25
Le message du Pape à la COP25 continue ainsi : « De nombreuses études nous disent qu’il est encore possible de limiter le réchauffement climatique. Pour ce faire, nous avons besoin d’une volonté politique claire, clairvoyante et forte, qui s’engage dans une nouvelle voie visant à recentrer les investissements financiers et économiques sur les domaines qui garantissent réellement les conditions d’une vie digne de l’humanité sur une planète “saine” pour aujourd’hui et demain. Tout cela nous appelle à réfléchir consciencieusement à la signification de nos modèles de consommation et de production et aux processus d’éducation et de sensibilisation pour les rendre conformes à la dignité humaine.Nous sommes face à un “défi de civilisation” en faveur du bien commun et d’un changement de perspective qui place cette même dignité au centre de notre action, qui s’exprime clairement dans le “visage humain” des urgences climatiques. Il reste une fenêtre d’opportunité, mais nous ne devons pas la laisser se fermer. Nous devons profiter de cette occasion pour agir de manière responsable dans les domaines économique, technologique, social et éducatif, en sachant très bien à quel point nos actions sont interdépendantes ».
La COP25 visait, entre autres, à vérifier les engagements pris au niveau national, dont la réalisation était attendue d’ici 2020. Cependant, pour les observateurs, il était clair que la réunion décevrait ces attentes. L’émergence et l’interdépendance croissantes des problèmes à l’échelle mondiale auraient requis un résultat différent. Malheureusement, ce ne fut pas le cas[11]. Les principales économies basées sur le carbone ont travaillé ouvertement pour bloquer le progrès[12].
Néanmoins, tout n’était pas perdu. La Plateforme des communautés locales et des peuples indigènes a élaboré un plan de travail qui a été accepté. La mention des droits de l’homme, qui fait référence au préambule de l’Accord de Paris, n’a pas été radiée. De plus, bien que tous les progrès réalisés sur l’article 6 – dédié au marché des crédits carbone – aient été bloqués, au moins les garanties environnementales n’ont pas été compromises.
Toutefois, aucune amélioration n’a été constatée en ce qui concerne l’accord sur les « Pertes et dommages » subis par les pays vulnérables, y compris la manière de trouver les ressources financières pour compenser les dommages (par exemple, ceux des « petites nations insulaires » qui risquent de disparaître à cause de la montée des eaux).
En dehors des négociations, mais toujours dans la « Zone bleue » ou zone de sommet officielle (la « Zone verte » était plutôt l’espace destinée aux activités de la société civile), la Commission philippine des droits de l’homme a rendu compte de l’enquête sur 47 entreprises opérant dans le secteur des combustibles fossiles. Cette enquête avait commencé après la COP21, quand les Philippines présidaient le groupe des « pays les plus vulnérables ». Les recommandations de l’enquête ont été transmises à la COP25. C’est fait significatif, car il s’agissait d’une enquête globale et, si elle indiquait d’une part un modèle d’action juridiquement valable pour de futures actions au niveau local, d’autre part elle se servit pour la première fois de l’attribution science, c’est-à-dire la science qui étudie les causes et les conséquences de la production de carbone.
Une grande partie du dynamisme exprimé lors de la COP25 était due à la présence sociale en dehors des négociations officielles. Bien que les gouvernements aient un statut et un pouvoir juridiques, ils peuvent perdre leur légitimité par leurs actions. L’engagement social est important pour responsabiliser les gouvernements.
Parmi les participants de la « Zone verte », le Mouvement catholique mondial pour le climat a collaboré avec la Conférence épiscopale espagnole et de nombreuses autres organisations catholiques en vue d’un événement important sur Laudato si’[13] et contribué à susciter une large participation des catholiques à la Grève pour le climat.
Générations futures
La conclusion du message du Pape à la COP25 dit ceci : « Les jeunes d’aujourd’hui montrent une sensibilité accrue aux problèmes complexes qui découlent de cette “urgence”. Nous ne devons pas imposer aux générations futures le fardeau d’assumer les problèmes causés par les problèmes précédents. Au lieu de cela, nous devrions leur donner l’occasion de se souvenir de notre génération comme de celle qui a renouvelé et mis en œuvre – avec une conscience honnête, responsable et courageuse – le besoin fondamental de collaborer afin de préserver et de cultiver notre foyer commun. Puissions-nous offrir à la prochaine génération des raisons concrètes d’espérer et de travailler pour un avenir bon et digne ! J’espère que cet esprit animera les travaux de la COP25, auxquels je souhaite plein succès ».
On peut légitimement protester contre la querelle de ceux qui cultivent des intérêts forts et restent désespérément ancrés à leurs positions. Toutefois, si le débat est polarisé, il reste polarisé. Pour parvenir à la compréhension et la coopération, il faut reformuler les questions climatiques en termes d’un point de départ commun.
Dans Laudato si’, le pape François mentionne souvent les générations futures et demande : « Quel genre de monde voulons-nous laisser à ceux qui nous succèdent, aux enfants qui grandissent ? » (LS 160). Serait-ce la question à reformuler ? Elle est certainement très significative à la fois pour le responsable d’une société pétrolière et pour un agriculteur indigène de la forêt tropicale, mais aussi pour le technicien d’éoliennes et pour un financier.
Avec l’émergence du militantisme des jeunes – grâce à Greta Thunberg et à d’autres jeunes engagés – le thème des générations futures pourrait être la meilleure base pour surmonter les impasses et faire de réels progrès. Les jeunes du monde entier demandent à haute voix ce qui pousse les puissants à mal comprendre et à entraver les remèdes climatiques : peut-être la cupidité à court terme, sans penser à une catastrophe à long terme ? Peut-être le désespoir, la lâcheté ou la méchanceté ?
En effet, l’élan de Greta et d’autres jeunes militants a contribué à faire pression sur ceux qui font la sourde oreille. En Espagne, le 6 décembre, un demi-million de personnes ont reporté leur départ pour le week-end férié, afin de rejoindre Greta dans la Grève climatique de Madrid. Puis, au cours du travail, à un moment donné, de jeunes militants ont « pris d’assaut » la session plénière principale pour protester contre l’immobilité de la COP[14].
Regardez en arrière et aller de l’avant
Nous nous sommes demandé au début quel était l’objectif de la COP25, et si elle a été atteinte, voire dépassée, ou si l’objectif a été manquée. Quelques semaines après la fin de la Conférence, le pape François en résume les résultats dans son discours annuel au Corps diplomatique : « Malheureusement, l’urgence de cette conversion écologique semble ne pas être acquise dans la politique internationale, dont la réponse aux problématiques posées par des questions globales comme celle des changements climatiques est encore très faible et source de forte préoccupation. La 25ème Session de la Conférence des Parties de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP25), qui s’est déroulée à Madrid en décembre dernier, représente une sérieuse sonnette d’alarme concernant la volonté de la Communauté internationale d’affronter avec sagesse et efficacité le phénomène du réchauffement global, qui demande une réponse collective capable de faire prévaloir le bien commun sur les intérêts particuliers[15] ».
Ces mots font écho à l’évaluation exprimée le 15 décembre par le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres :
« Je suis déçu des résultats de la COP25. La communauté internationale a perdu une occasion importante de montrer une ambition accrue en matière d’atténuation, d’adaptation et de financement pour faire face à la crise climatique ». Guterres a cependant ajouté : « Nous ne devons pas abandonner et je n’abandonnerai pas. Je suis plus déterminé que jamais à travailler pour que 2020 soit l’année où tous les pays s’engageront à faire ce que la science juge nécessaire pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et une augmentation de la température de 1,5 degré maximum[16] ».
L’engagement du Secrétaire général à obtenir des résultats en 2020 est déjà inscrit sur l’agenda. Des réunions préliminaires auront lieu en juin (à Bonn), septembre (au siège des Nations Unies, à New York) et octobre (à Milan) en vue de la Cop26, qui se tiendra du 9 au 20 novembre 2020 à Glasgow. Le choix de cette ville est particulièrement important, car elle a été parmi les plus endommagées par l’industrialisation. Glasgow incarne les luttes pour le développement durable exprimées dans l’objectif 11 du Programme des Nations Unies pour 2030, qui est de rendre les villes et les colonies humaines durables. C’est un domaine où, malgré les grands progrès réalisés ces derniers temps, il reste encore beaucoup de problèmes à résoudre.
Les maigres progrès réalisés jusqu’à présent par les grands États et les opérateurs industriels, évidents et embarrassants lors de la COP25, augmentent l’importance de la COP26 : la Conférence de Glasgow ne sera donc pas moins importante que la COP21 à Paris, où l’Accord sur le climat a été adopté. Ce sera un moment clé pour vérifier si cet Accord est effectivement appliqué.
Pour l’Église, diverses options s’ouvrent à cet égard. Premièrement, elle peut commencer à souligner la gravité de la situation, comme elle l’a déjà fait sur la base d’une analyse approfondie, de principes solides et l’expérience concrète. C’est une option qui s’est récemment révélée efficace dans le cas du Pacte mondial sur les réfugiés et les migrations (décembre 2018)[17].
Deuxièmement, toujours soutenue par les principes de sa Doctrine sociale, comme l’égalité de la dignité humaine de toutes les personnes, un autre domaine dans lequel l’Église peut offrir un terrain d’entente pour le dialogue pourrait être le concept de « sécurité ». Le sens de ce terme est bien différent pour un dirigeant qui veut construire des murs pour laisser les migrants hors de son pays, que pour les familles sans sécurité alimentaire, pour les travailleurs qui ne sont pas sûrs d’obtenir des revenus suffisants et durables pour garantir une vie acceptable à leurs proches, aux habitants des côtes dénuées de toute sécurité contre la montée des eaux. Plutôt que de déplorer que les grandes puissances ignorent les pauvres et les personnes qui voient leur survie menacée, l’Église est appelée à se prononcer sur des concepts comme la sécurité qui pourraient jeter des ponts sur les abîmes actuels.
Troisièmement, les voix de la nature elle-même, exclue, au bord de l’extinction et mutilée, que des intérêts particuliers ne peuvent pas réprimer, doivent être écoutées. En fin de compte, cela soulève la question de la gouvernance. Qui a son mot à dire dans la maison commune ? Quels sont les processus par lesquels les personnes de bonne volonté peuvent contribuer à une meilleure gouvernance ? Comment le local et le global peuvent-ils se connecter ? Ces défis requièrent le développement d’un discernement social et des stratégies de gestion participative. Dans ce cas aussi, les jeunes d’aujourd’hui et des générations futures sont au centre de l’objectif : la renaissance ou la nouvelle croissance de la communauté dépend de jeunes animés par l’engagement et la passion de servir, comme agents de changement, de développement et donc d’une profonde réconciliation.
Une quatrième contribution est celle, déjà offerte jusqu’à présent, de participer à des réunions mondiales et locales sur le climat de façon large et diversifiée. De plus, une forte présence sociale peut avoir un impact positif sur les réunions, apportant de nouvelles idées et un soutien aux processus. Cependant, même en dehors et au-delà des rencontres, elle peut générer un « effet de chaîne », étendre les communications proactives, ajouter de nouveaux récits, susciter une plus grande capacité d’action et soutenir et renforcer l’engagement pacifique des gens pour le changement. Cela nous donne de l’espoir. Elle s’oppose aux médias sociaux hostiles, qui défendent le statu quo et les positions des partis pris et conseillent l’indifférence ou la passivité.
Parmi ceux qui assistent aux réunions sur le climat, il faudrait qu’il y ait non seulement des experts, des agents de terrain, des parties prenantes et des membres de la communauté, mais aussi des membres de l’Église et des personnes d’autres religions. Leur foi devrait soutenir dans la communauté l’espoir, qui serait aussi renforcé par une attitude de dialogue interreligieux.
Pendant ce temps, les dynamiques sociales en cours influenceront l’évolution continue et future du processus des Cop. L’Église doit continuer à créer des espaces afin que les voix les plus importantes puissent être entendues. Le message de l’Église – basé sur les dernières sections de Laudato si’ consacrées au dialogue, à l’éducation et à l’action personnelle – est porteur un sentiment très nécessaire de gratitude et d’espoir, ainsi que de processus de réconciliation et d’appartenance, dont tous, et particulièrement les jeunes, ont besoin. La dimension religieuse de la résilience communautaire y est aussi liée. S’il est vrai que la réponse à l’urgence climatique exige l’attention et l’engagement de chaque groupe religieux, il est également nécessaire que nous traversions les frontières des religions. Dans l’affirmation que « nous devons prendre soin de notre maison commune », l’adjectif « commune » est décisif, et de ce fait les expressions interreligieuses sont essentielles.
Les débats sur l’action climatique sont souvent fondés sur un langage négatif de ressentiment et d’opposition : nous entendons des expressions telles qu’« on nous demande un sacrifice excessif » et « on nous contraint à un sacrifice plus élevé que celui des autres ». Ces attitudes sont compréhensibles : c’est normal que les gens éprouvent du ressentiment quand ils sont traités injustement. Toutefois, ces critiques ne doivent pas être reprises dans les discussions sur le climat. « Souvent on vit le changement en se limitant à revêtir un vêtement nouveau et à rester, en fait, comme on était avant », a observé le pape François lors des salutations de Noël qu’il a adressées à la Curie romaine l’année dernière. Toutefois, cela ne doit pas se produire « parce que ce temps que nous vivons n’est pas seulement une époque de changements, mais un véritable changement d’époque. Nous sommes donc dans l’un de ces moments où les changements ne sont plus linéaires, mais d’époque ; ils constituent des choix qui transforment rapidement notre mode de vivre, de tisser des relations, de communiquer et de penser, de se comporter entre générations humaines[18] ».
Peut-être devrions-nous inclure dans notre vocabulaire l’expression « changement d’époque », pour souligner la gravité et la complexité du défi actuel. L’insistance de l’Église sur le développement humain intégral tient compte de cette complexité. Contrairement à certaines voix stridentes, nous refusons de sauvegarder les privilèges de certains êtres humains, en excluant d’autres de la vie pleine, de même que nous refusons d’abandonner certains aspects de l’être humain pour favoriser une notion étroite d’authenticité humaine. Comme le soulignait saint Paul VI, le développement, « pour être authentique, il doit être intégral, c’est-à-dire promouvoir tout homme et tout l’homme[19] ». Il doit impliquer non seulement le corps mais aussi l’âme, non seulement l’âme mais aussi le corps, non seulement la famille humaine mais toute la maison commune et toute la vie qui y est présente, dans la perspective de l’écologie intégrale bien décrite dans Laudato si’.
La crise climatique est multidimensionnelle, ou « multiforme », pour reprendre un terme cher au pape François. Toutes les facettes de ce polyèdre sont d’une importance vitale et d’un intérêt positif. Si nous ne pensions qu’à ce qui est éternel et négligions la maison commune de notre existence terrestre, certaines facettes du polyèdre manqueraient : il manquerait d’intégrité et s’effondrerait. Nous accomplissons notre mission humaine quand nous nourrissons les étrangers affamés et bienvenus, c’est-à-dire quand nous faisons face aux besoins réels des frères et sœurs, au lieu de simplement crier : « Seigneur, Seigneur » (Mt 7,21-23).
Le Saint-Père a souligné la nécessité de s’attaquer en même temps à la pauvreté dans le monde et à la dévastation de l’environnement : deux batailles morales étroitement liées l’une à l’autre dans le destin de notre maison commune. Il s’agit d’une vérité fondamentale, à la fois chrétienne et humaine, que les leaders mondiaux ont du mal à focaliser. Sur le chemin de la COP26 et au-delà, chacun a le devoir de défendre ces idéaux et de donner le bon exemple, de diriger toute la famille humaine vers l’espoir et les actions justes[20].
Traduction Sœur Pascale Nau op
[1] Cf. François,Message aux participants à la Conférence sur le Climat des Nations Unies, 1er décembre 2019.
[2]Le chef adjoint de la délégation était Mgr. BernarditoAuza, nouveau nonce apostolique en Espagne et depuis longtemps observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations Unies. Parmi les membres de la délégation, il y avait le Dr. Paolo Conversi, fonctionnaire du Secrétariat d’État; Mgr. Michael Crotty, premier conseiller de la nonciature apostolique en Espagne;le P. JoshtromKureethadam, du Dicastère pour le service du développement humain intégral; Madame le Prof. Marta Villar, expert en droit fiscal environnemental; et le Prof. Pedro Linares, expert des questions économiques liées à l’énergie.
[3] À la fin de l’Angélus du 13 décembre 2015,le pape François avait affirmé : « La Conférence sur le climat vient de se conclure à Paris avec l’adoption d’un accord, qualifié d’historique par beaucoup. Son application demandera un engagement profond et un dévouement généreux de la part de chacun. En souhaitant que soit garantie une attention particulière envers les populations les plus vulnérables, j’exhorte la communauté internationale tout entière à poursuivre avec sollicitude le chemin entrepris, sous le signe d’une solidarité qui devienne toujours plus concrète ».
[4]Cf. François, Laudato si’(LS), nº 25.
[5]LS 13.
[6]Cf. P. Parolin, Intervention du Secrétaire d’État à la XXIe Conférence des Parties à la Convention – COP21, 30 novembre 2015 (http://www.vatican.va/roman_curia/secretariat_state/parolin/2015/documents/rc_seg-st_20151130_parolin-cop-21_fr.html).
[7]François, Discours lors de la visite à l’Office des Nations Unies à Nairobi, 26 novembre 2015.
[8] B. Latour, Down to Earth : Politics in the New Climatic Regime, Cambridge, Polity, 2018, 5 ; éditionfrançaise : Oùatterrir ? Comment s’orienteren politique, Éditions La Découverte, Paris, 2017.
[9] Cf. Ipcc, Summary for Policymakers of the Special Report on Global Warming of 1.5°C approved by governements, 6octobre 2018 ; Id., Summary for Policymakers of the Special Report on Climate Change and Land, 7 août 2019 ; Id., Summary for Policymakers of the Special Report on the Ocean and Cryosphere in a Changing Climate, 24 septembre 2019.
[10]Office of theUnder Secretary of Defense for Acquisition and Sustainment, Report on Effects of a Changing Climate to the Department of Defense, janvier 2019. Le document identifie les principales menaces dans une liste de 79 installations militaires; les inondations, sécheresses et incendies récurrents et, de plus, la désertification et la dissolution du pergélisol sont considérés comme des risques concrets ;cf. partner-mco-archive.s3.amazonaws.com/client_files/1547826612.pdf.
[11]Le Climate Action Network, un vaste réseau d’organisations de la société civile dont fait partie le Mouvement catholique mondial pour le climat, fournit un bref résumé qui montre clairement sa déception face au résultat :cf.docs.google.com/document/d/lH7bt4cThWPKEk84fRqC20XHaMdmDFlIhHmjMWTuVJvk/edit.
[12] « U.S. Declared “Climate Criminal” as “Stalemated” Cop25 Limps to a Close », The Energy Mix, 13 décembre 2019 (cf.theenergymix.com/2019/12/13/ u-s-declared-climate-criminal-as-stalemated-cop-25-limps-to-a-close).
[13]Cf. Fundación Pablo VI, « El compromisoevangèlico de cuidar la Casa Comun » (www.fpablovi.org/index.php/foro-cop25), 12 décembre 2019.
[14] Cf. « Youth Climate Activists Storni Cop25 Stage », EcoWatch(www.ecowatch.com/COP25-youth-climate-activists-2641580292.litml), 12 décembre 2019.
[15]François, Discours aux membres du Corps diplomatique accrédités auprès du Saint-Siègepour la présentation des vœux pour la nouvelle année, 9 janvier 2020.
[16]Déclaration du Secrétaire général sur les résultats de la Conférence COP25 sur les changements climatiques, 15 décembre 2019 (https://www.un.org/press/fr/2019/sgsm19914.doc.htm).
[17]Cf. M. Czerny, « Il “Global Compact” sullemigrazioni », Civ. Catt. 2018 IV 549-563 ; M. Gallagher, « La Santa Sede e il “Global Compact” sui rifugiati », Civ. Catt. 2019 I 59-70.
[18]François, Discours lors de laPrésentation des vœux de Noël de la Curie romaine, 21 décembre 2019. Cursive dans le texte original.
[19]Paul VI, s., PopulorumProgressio, nº 14.
[20]Les auteurs remercient les pères Pedro Walpole, sj, éco-coordinateur des jésuites,JoshtromKureethadam et Augusto Zampini Davies, du Dicastère pour le service du développement humain intégral, ainsi que M. TomàsInsua, Directeur exécutif du Global CatholicClimateMovement, pour leur contribution à cet article.