Depuis la fin du XIVème siècle environ, dans les banques du nord de l’Italie, s’est répandue une technique comptable qui consiste à identifier un stock comme étant du capital : un navire qui s’apprête à traverser l’Atlantique, un grenier rempli de blé, un champ, une machine… Qu’est-ce qu’un capital ? C’est quelque chose qui doit rapporter un flux de revenus dans le futur et dont on décide que sa valeur aujourd’hui est égale à la somme actualisée (c’est-à-dire convertie dans la monnaie d’aujourd’hui) de ces revenus futurs. Une telle opération pourrait paraître anodine, tant elle est répandue aujourd’hui : elle est à la base de toute la pratique financière de marchés, elle sert de principe directeur à l’analyse coût-bénéfice et à toute l’économie environnementale. Sans elle, l’économie néo-classique s’effondre.
Or cette opération revient à aplatir l’avenir sur le présent : elle consiste à prétendre que l’avenir est entièrement connu du propriétaire d’un capital, et que seuls comptent les revenus monétaires que ce capital pourra rapporter. L’avenir est anticipé si parfaitement qu’on peut le quantifier et attribuer une valeur exacte à la source de ces revenus : le capital aujourd’hui. Plus aucune surprise n’est tolérée à l’avenir sans quoi cela remettrait en cause la valeur du capital aujourd’hui. Le temps n’existe plus. L’espace non plus car la quantification de la valeur monétaire du capital se prétend universelle et permet de tout comparer.
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