La conception du bonheur à l’époque moderne est très différente de celle du passé. Pour les anciens, y compris pour le christianisme, c’était la récompense de l’homme vertueux, étroitement lié au bien agir, fruit de l’effort et de l’éducation. De plus, il était associé à une dimension religieuse : c’était un don de Dieu. À l’époque moderne, le bonheur tend à devenir synonyme d’émotion, d’un « bien-être » subjectif, un sentiment qui peut être rendu possible non pas tant par une bonne conduite (qui est d’ailleurs assez souvent démentie), mais par un calcul, une technique ou de substances capables de susciter des sentiments de bien-être.
Dans cette conception différente de la vie, le bonheur s’aplatit sur le plan horizontal, empirique ; il se matérialise sous une forme plus précise mais aussi plus réductrice. Cela a des conséquences considérables, et pas seulement pour notre thème.
Le sentiment de bien-être accru et les possibilités prodigieuses offertes par la nouvelle science influencent la conception du bonheur. L’exaltation de l’activité humaine, rendue possible par la révolution scientifique et un siècle plus tard par la révolution industrielle, conduit au « désenchantement du monde », pour reprendre l’image suggestive de Marcel Gauchet. Dans cette nouvelle vision, les êtres et les médiations qui parlaient d’un « autre » monde ne sont plus présents ; parmi eux, il y avait sans doute des éléments fantaisistes et folkloriques (magiciens, sorcières, elfes, esprits) mais aussi des possibilités d’aider la faiblesse de l’homme (sacrements, sacramentaux, miracles, intercession des saints) qui se retrouve désormais abandonné à ses propres forces.
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