Un test éloquent de la façon dont le numérique a changé notre mode de vie est le rapport au temps. Il est désormais établi que la perception temporelle diminue pendant la navigation : on se trouve à la fin de journée sans être conscient de sa durée réelle, de même qu’il est tout aussi difficile de se souvenir de ce que l’on a vu pendant les heures passées devant l’écran. Tout semble s’aplatir dans l’instant, sans souvenir et sans durée. Cet écrasement de la dimension présente de la temporalité n’est pas né avec la toile mais s’inscrit dans un climat culturel plus général qui a profondément revisité notre rapport au temps.
Le rapport avec la mort est un paramètre de référence emblématique. Jusqu’au 19ème siècle, l’espérance de vie moyenne n’excédait pas 30 ans. Ceux qui vivaient jusqu’à 50 ans avaient généralement déjà vu la mort de leurs parents, de leur conjoint et de la plupart de leurs enfants. La familiarité avec la mort conduisait cependant à une attitude proactive envers la vie, car elle était animée par la perspective de l’au-delà, dont le présent est l’anticipation et la préparation, et offrait un sentiment de continuité avec les proches, une tradition et une tâche que ceux qui restent sont appelés à continuer.
Une fois aplatie sur un plan purement horizontal, la mort d’aujourd’hui est devenue « sauvage » – pour reprendre la célèbre expression de Philippe Ariès – ; elle ne fait plus partie de l’imaginaire culturel et de passage, elle est devenue le terminus : « S’il n’y a plus rien de l’autre côté, la mort n’est plus pensable […]. Au 21ème siècle, la revendication du droit de mourir dans la dignité et la prise de conscience de la question de l’euthanasie sont inscrites dans la représentation d’une mort honteuse car elle marque la défaite de l’individu qui se construit lui-même ».
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