À QUAND UNE PAIX VÉRITABLE AU SOUDAN ?
Last Updated Date : 18 décembre 2023
Published Date:15 décembre 2023
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Le Soudan semblait trouver la voix de la paix après la déchéance de l’ancien président Omar Hassan Ahmed el-Bechir en 2019. Mais ce pays peine à se relever, à retrouver la sérénité. Alors qu’il y a une petite accalmie au pays voisin, le Soudan du Sud, une accalmie sans espérance d’une stabilité de longue durée, les militaires et un groupe de leurs milices ont mis le Soudan dans une instabilité avec des victimes collatérales.

Outre la situation du Darfour, il y a les militaires qui ne veulent pas que le pays entame le processus de démocratisation qui laisserait la place aux politiciens. C’est comme si les militaires ne se sentaient plus à l’aise dans les casernes. Dans un pays où la situation de la région du Darfour est toujours explosive et que la solution n’a jamais été trouvée, le conflit entre l’armée et les milices qui la soutenait, les paramilitaires des Forces de Soutien Rapide (FSR), a plongé le pays dans un chaos dont l’issue est loin d’assurer même les voisins comme le Tchad, la Centrafrique, pour ne citer que ces deux pays.

 

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À la racine du conflit

C’est le 15 avril 2023 que la guerre a éclaté au Soudan. Une guerre qui oppose l’armée régulière dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane et les ex-miliciens du Darfour, les paramilitaires des Forces de Soutien Rapide (FSR)[1], menée par le général Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemedti ». Ces deux généraux sont bien connus dans la vie politique soudanaise car ce sont eux qui avaient pris le pouvoir lors du coup d’Etat d’octobre 2021. À cette occasion, le général Abdel Fattah al-Burhan avait dissous les autorités de transition et décréta l’état d’urgence alors qu’il était, jusqu’à ce coup, à la tête du Conseil de souveraineté, la plus haute autorité de la transition composée de civils et de militaires.

La raison de l’affrontement qui a plongé le Soudan dans l’insécurité, c’est l’intégration des paramilitaires dans l’armée. Si l’armée ne refuse pas l’intégration des hommes dirigés par le général Daglo, elle veut imposer ses conditions, dont les conditions d’admission et la limitation de l’incorporation dans le temps. Le général Daglo, quant à lui, réclame une inclusion large et, surtout, sa place au sein de l’état-major. D’où le blocage qui a conduit à l’affrontement. Au début des affrontements, les paramilitaires ont accusé l’armée d’avoir attaqué une de leurs bases à Khartoum. Auparavant, l’armée avait accusé la mobilisation et le déploiement des paramilitaires dans la capitale et dans d’autres villes sans l’approbation ni la coordination avec le commandement des forces armées.

Au début des affrontements (le 15 avril 2023), le porte-parole de l’armée avait indiqué que les combats ont éclaté quand les Forces paramilitaires de soutien rapide, FSR, ont attaqué des bases de l’armée à Khartoum et ailleurs. Dans les premiers moments de ces affrontements, ce sont des lieux symboliques qui sont visés : le contrôle de l’aéroport international et du palais présidentiel. Si aucun camp n’a pas pris l’avantage sur l’autre c’est notamment à cause des forces en présence. L’armée soudaine est estimée à 100.000 hommes, tandis qu’il y a environ 40.000 paramilitaires. Mais plusieurs sources estiment que les paramilitaires peuvent aussi atteindre 100.000 hommes[2].

Pour comprendre le conflit entre les deux généraux, il faudrait aussi voir les tenants et les aboutissants de leur poids et influence dans la vie du pays, avec des ramifications extérieures. En effet, le Président Omar Hassan Ahmed el-Bechir avait souvent recours aux paramilitaires, dont ceux dirigés par le général Mohamed Hamdane Daglo, originaire du Darfour. Le Soudant ayant amorcé la transition économique en 2011, il avait abandonné (du moins en partie) le pétrole au profit de l’or, à la suite d’exportations d’hydrocarbures. Or, les principales mines aurifères se trouvent au Darfour où le général Mohamed Hamdane Daglo a la mainmise. Cette situation a joué en sa faveur et en a profité pour transformer les RSF en une armée de mercenaires semi-indépendants, qui s’est enrichie en faisant sortir clandestinement de l’or du Darfour et en allant prêter main-forte aux forces saoudiennes et émiraties au Yémen[3]. Et en 2013, Omar Hassan Ahmed el-Bechir fut appel aux troupes du général Mohamed Hamdane Daglo pour mater les manifestations à Khartoum. Et en 2019, le chef de FSR changea d’obédience et soutint le renversement d’Omar Hassan Ahmed el-Bechir.

Avant les affrontements qui ensanglantent le Soudan, il y a eu des signes avant-coureurs : les survivants du régime d’el-Bechir, affiliés au Parti du Congrès National, NCP, parti au pouvoir du temps d’el-Bechir, mais qui était officiellement dissous en novembre 2019, commençaient à se réunir publiquement. Après les premiers affrontements, le général Mohamed Hamdane Daglo a ouvertement accusé Ali Karti, secrétaire général d’un Mouvement islamiste en pleine renaissance et ancien ministre des Affaires étrangères d’el-Bechir, d’être l’un des maîtres d’œuvre de ce qu’il a décrit comme une tentative d’entraîner le pays dans la guerre et de recréer le putsch d’octobre 2021. C’est le début de rupture entre le général Mohamed Hamdane Daglo et le général Abdel Fattah Al-Burhan. Le coup d’État avait mis dehors plusieurs civils censés diriger le pays l’armée et les RSF dans un gouvernement de transition postrévolutionnaire. Il se fait que le général Abdel Fattah Al-Burhan avait commencé à confier des responsabilités à plusieurs membres de l’élite du NCP. Ceci n’était pas au goût du général Mohamed Hamdane Daglo qui était conscient que ces membres de l’ancien président ne lui pardonneraient jamais sa trahison.

Par ailleurs, pour les membres de Forces pour la liberté et le changement (FFC), un ensemble des partis politiques et d’associations opposés au gouvernement militaire et fer de lance de la révolution de 2019, et les figures locales du mouvement anti-islamiste, en particulier aux Émirats arabes unis, le général Mohamed Hamdane Daglo est un éventuel rempart contre le retour en force du Mouvement islamiste et de ses alliés militaires. Ceci, bien que beaucoup de Soudanais n’oublient pas ou ne pardonnent au général Mohamed Hamdane Daglo l’implication de ses troupes dans le massacre de Khartoum, en juin 2019 lors de la dispersion violente d’un sit-in de manifestants avait fait au moins 100 morts. Il serait aussi nécessaire de noter le soutien éventuel que peuvent avoir les deux camps. Il est connu par exemple que le général Mohamed Hamdane Daglo s’était rapproché des Émirats arabes unis, tandis que l’état-major de l’armée régulière s’est tourné vers l’Égypte, où les chefs militaires soudanais, y compris le général Abdel Fattah Al-Burhan lui-même, ont autrefois effectué leur formation.

Aussi, le chef des FSR est celui qui a défendu l’accord-cadre de 2022, devant permettre l’instauration d’un gouvernement de transition exclusivement civil et a finalement reconnu que le putsch d’octobre 2021 était une erreur[4]. Dans cet accord, il était question, entre autres, de l’intégration des membres de FSR dans l’armée régulière. Le général Abdel Fattah Al-Burhan estimait que l’intégration des membres de FSR devait avoir lieu avant la mise en œuvre du reste de l’accord-cadre de 2022. Le général Mohamed Hamdane Daglo, quant à lui, s’opposait vigoureusement à l’incorporation de ses membres dans l’armée aussi longtemps qu’il y avait encore des islamistes dans le commandement de l’armée nationale. Ce sont ainsi ces désaccords sont à la base du conflit qui déchire et ensanglante le Soudan.

 

Conséquences pour le pays

Le conflit armé provoqué par la rivalité entre deux généraux met le Soudan dans un chaos dont les conséquences vont perdurer pour plusieurs années. Déjà le nombre des morts, et par les combats et par la famine, est très élevé. Le chef de la mission de l’ONU au Soudan, Volker Perthes, avait dénoncé le peu de considération pour les civils, pour les hôpitaux ou même pour les véhicules transférant les blessés et les malades, par des belligérants qui s’attaquaient des zones habitées. Et le nombre d’enfants victimes de ces combats est aussi effroyable.

Et comme cela arrive souvent dans des zones des conflits, à mi-mai 2023, le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU, OCHA, avait estimé à plus de 940.000 le nombre de personnes déplacées depuis le début des combats, dont plus de 736.000 à l’intérieur du pays, et près 205.000 qui ont trouvé refuge dans les pays voisins[5]. Et selon l’agence de l’ONU pour les migrations, OIM, avant le début des combats, 3,7 millions de personnes étaient enregistrées comme déplacées internes[6]. À cela s’ajoute le fait que les combats ont aussi privé les Soudanais de communication. L’internet a connu une panne quasi-totale dès la deuxième semaine du conflit. La grande crainte a été aussi le risque biologique. L’Organisation mondiale de la santé, OMS, avait alerté du risque biologique à la suite de l’occupation par des belligérants d’un laboratoire de Khartoum où se trouvaient des échantillons d’agents pathogènes très contagieux.

Ce conflit est venu compliquer une situation sanitaire déjà catastrophique avec notamment le manque de personnel, le sous-équipement, les pénuries, les épidémies. Les humanitaires, dès le début du conflit, ont été eux aussi parmi les premiers à payer le prix. En effet, trois humanitaires du Programme alimentaire mondial, PAM, avaient été tués[7]. Et l’image du pays a été aussi ternie par des actes violents contre les représentations diplomatiques. Tel est le cas de l’ambassadeur de l’Union européenne qui a été agressé.

Par ailleurs, ce conflit a permis aussi aux prisonniers de s’échapper. Parmi eux, des anciens responsables de la dictature au Soudan recherché pour crimes contre l’humanité dont l’un d’eux a annoncé s’être enfui de prison en compagnie d’autres ex-collaborateurs. Cette fuite constitue à la fois une menace pour le pays et serait un défi de l’impunité car plusieurs de ces prisonniers sont recherchés par la Cour pénale internationale, CPI.

Le conflit provoqué par les deux généraux a ravivé aussi des dimensions ethniques en provoquant surtout à Khartoum et au Darfour des affrontements entre combattants tribaux et des milices[8]. Et cette situation peut renvoyer au conflit de Darfour qui a duré plusieurs années, du 26 février 2003 au 31 août 2020. Il opposa les rebelles du Darfour aux forces du gouvernement soudanais et aux milices Janjawid. Ce conflit  avait fait, en 2005, au moins 180.000 morts, (certaines estimations allant même jusqu’à 300.000 morts), avec plus ou moins 1,5 million de personnes déplacées à l’intérieur du Darfour et 200.000 réfugiés au Tchad[9]. Depuis les années 1980, le Darfour avait été le théâtre de nombreux soulèvements de la population contre le gouvernement central. Les tensions étaient principalement liées à l’accès à la terre (et à l’eau) entre les agriculteurs noirs, majoritaires, et les éleveurs arabes, minoritaires mais soutenus par le gouvernement islamique qui menait une politique discriminatoire envers les populations non arabes. En sus, la découverte de gisements de pétrole à la fin des années 1990 avait stimulé et accentué ce conflit.

Ensuite, à partir de 2003, les mouvements rebelles du Darfour commencèrent à réclamer une meilleure redistribution des ressources et des richesses, tandis que le gouvernement essayait de reprendre le contrôle de la région, en s’appuyant sur des milices islamistes armées (janjawid)[10]. Toujours dans cette situation tendue, les rebelles du Darfour voulaient des postes dans le gouvernement, mais s’il y avait aussi d’autres causes, comme les causes naturelles et traditionnelles ou encore le conflit de la terre[11]. Ainsi donc, la crise du Darfour eu lieu dans une région marginalisée aussi bien sur le plan politique qu’économique, et où on trouve les populations sédentaires et nomades. Le parallélisme des deux conflits (celui du Darfour et celui entre les deux généraux) se situe surtout dans la durée. Le conflit actuel risque de se tirer en longueur, tellement les objectifs des deux généraux ne sont pas convergents et que l’un des protagonistes (le général Mohamed Hamdane Daglo) est un habitué de longues guerres. Pendant ce temps, les combattants tribaux et civils se sont mêlés aux combats entre militaires et paramilitaires.

 

Conséquences pour la région

Le conflit au Soudan est une préoccupation pour la région qui en subit les conséquences directes ou indirectes, avec ce risque réel de sombrer dans une longue crise humanitaire aux conséquences géopolitiques. En effet, la région est déjà pleine de groupes armés et connait une crise migratoire qui l’a rendu instable avec les crises au Soudan du Sud, en Centrafrique, au Tchad, etc. Avant les récents combats provoqués par les deux généraux, le Soudan accueillait 1,13 million de réfugiés et 3,7 millions de personnes déplacées à l’intérieur de ce pays, la plupart dans l’ouest du Darfour.  Parmi eux figuraient 800.000 Sud-Soudanais, 126.000 Érythréens et 58.000 Éthiopiens. Le Soudan, qui partage des frontières avec le Soudan du Sud, le Tchad, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Érythrée, la Libye et la République centrafricaine, est ainsi l’un des principaux pays d’accueil en Afrique.

Il est donc prévisible que le conflit soudanais puisse embraser la région. Et l’Organisation internationale pour les migrations, OIM, a indiqué le 12 juillet 2023 que le conflit soudanais avait forcé plus de trois millions de personnes à fuir leur foyer. Cette agence de l’Onu a précisé que le nombre de personnes ayant fui à l’étranger les combats au Soudan avoisinait les 724.000, tandis que celui des déplacés dans le pays dépasse les 2,4 millions[12]. Déjà vers fin avril 2023, selon l’OIM, plus de 3.500 personnes ayant fui le Soudan se sont réfugiées en Éthiopie[13]. Aussi, l’Égypte avait indiqué l’arrivée sur son territoire de plus de 14.000 Soudanais et 2.000 ressortissants d’autres pays[14].

Par ailleurs, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, HCR, environ 6.000 personnes, essentiellement des femmes, ont fui le Soudan vers la Centrafrique. En outre, cette agence de l’ONU a indiqué que quelque 30.000 personnes, en majorité des réfugiés sud-soudanais, ont quitté Khartoum pour se rendre dans l’État du Nil blanc, proche du Soudan du Sud. Les réfugiés éthiopiens et érythréens se sont rapprochés, quant à eux, de leurs pays. Et début juin 2023, le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés, HCR, avait annoncé que plus de 100.000 Soudanais, essentiellement des femmes et des enfants venus du Darfour, avaient traversé la frontière dans l’est du Tchad en un mois et demi de conflit. Ces nouveaux réfugiés venaient s’ajouter à plus de 680.000 réfugiés déjà présents au Tchad, dont 60 % de Soudanais[15]. Et cet afflux des déplacés et des réfugiés est un poids pour les pays voisins et provoque une crise humanitaire qui nécessite de l’aide de la communauté internationale.

Or, avec l’insécurité provoquée par le conflit soudanais, beaucoup de services humanitaires ont suspendu leurs opérations au Soudan. Cette situation fait que le Tchad, l’Égypte, l’Éthiopie, le Soudan du Sud, s’alarment pour les répercussions économiques du regain de violences au Soudan, à cause notamment de l’afflux de réfugiés.

 

La réaction de la communauté internationale

Devant le conflit soudanais, la communauté s’est contentée, en général, à condamner. Dès le début des affrontements, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a appelé les deux belligérants, le général Abdel Fattah al-Burhane, et le général Mohamed Hamdane Daglo, pour réclamer « un arrêt immédiat de la violence »[16]. Plusieurs pays ou organisations ont fait les mêmes appels au cessez-le-feu : les États-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, l’Arabie saoudite, l’Union africaine, la Ligue arabe, l’Union européenne.

Mais tous ces efforts n’ont pas pu faire revenir les belligérants en raison. En outre, la recherche d’un cessez-le-feu était perçue juste comme une opportunité d’accalmie pour l’évacuation des étrangers ou du personnel des ambassades et des humanitaires. Plusieurs initiatives pour ramener la paix ont été un fiasco. Une dizaine de cessez-le-feu ou trêves ont en effet déjà été promis et aussitôt violés. Et les deux camps s’accusent réciproquement d’en avoir violé.

Evidemment, quand un pays est en guerre ou traverse une période trouble, la tendance (naturelle) pour beaucoup de pays est de mettre leurs citoyens en sécurité par l’évacuation. Ainsi, plusieurs pays ont procédé à l’évacuation de leurs ressortissants ou de leurs personnels diplomatiques du Soudan. Profitant d’un premier cessez-le-feu conclu entre les belligérants sous l’égide des États-Unis, une dizaine des jours après le déclenchement des hostilités, plusieurs pays procèdent à l’évacuation de leurs par avion, hélicoptère, par bateaux et par routes[17].

 

Quelle solution ?

Le conflit qui a éclaté au Soudan, ce pays de 46.874.204 d’habitants[18], n’est que la continuité d’une situation politique instable depuis la chute d’ Omar Hassan Ahmed el-Bechir en 2019. Les militaires n’ont jamais voulu laisser le pouvoir aux civils. Et dans le conflit qui a éclaté mi-avril 2023, ce sont les militaires entre eux qui se disputent le leadership du pays au détriment de la remise du pouvoir aux civils. Le comble est que rien ne présage un retour à la normale, tant que c’est la force des armes qui fait la loi.

Et le dialogue entre les belligérants n’est pas évident même si la solution passe par là. Déjà dès le début des affrontements, le général Abdel Fattah al-Burhane, chef de l’armée, avait indiqué qu’il n’y aurait plus de discussions politiques avec les paramilitaires des Forces de soutien rapide, FSR. Apparemment c’est la voix des armes qu’il a envisagée. La communauté internationale devrait aller dans le sens de pacifier ce pays et le remettre sur les rails de la démocratie, avec la contribution et la participation des Soudanais. Les déclarations et les condamnations habituelles ne suffisent plus. Elles sont juste la politique de bonnes intentions qui cherchent à amadouer la conscience des pays qui le font.

Il faudrait chercher par tous les moyens à mettre fin à l’effusion de sang, à ce conflit meurtrier mais aussi au régime militaire. Ensuite chercher à (ré)donner le pouvoir aux civils après avoir pansé les plaies de ce conflit qui a causé désolation et morts. Certains pays de la région tentent d’organiser des rencontres afin de trouver une solution pour le Soudan. C’est le cas de l’Égypte et de l’Éthiopie[19].

Il faudrait aussi, avec le concours de la communauté internationale, faire revenir les personnes déplacées ou celles qui se sont réfugiées dans les pays voisins. Le chemin est long vu les derniers événements dans ce pays qui se fragmente, car, non seulement les militaires et les milices ne semblent pas prêts à déposer les armes[20], mais on ne voit pas comment après, les militaires accepteront de bon cœur de céder la direction du pays aux civils à travers un processus démocratique qui passerait par une période de transition.

Et dans l’avenir, le Soudan, tout comme les autres pays qui fonctionnent avec le même système, devrait éviter de faire recours aux groupes paramilitaires. Le Soudan paye aujourd’hui les conséquences d’avoir notamment utilisé durant la révolte de 2013, sous la présidence d’Omar Hassan Ahmed el-Bechir, les milices de FSR pour réprimer les manifestations à Khartoum. Depuis lors, ces milices se sont implantées aussi dans la capitale et faisaient partie des principaux dispositifs de sa sécurité[21]. Pendant ce temps, le peuple soudanais, qui a été l’un des grands protagonistes dans la révolution du 11 avril 2019 ayant chassé du pouvoir le président Omar Hassan Ahmed el-Bechir et qui espérait enfin vivre la démocratie, continue à payer les conséquences de la folie des militaires, dans un conflit qui s’enlise et dont le bout du tunnel est encore loin. Il faudrait, après tout, faire comprendre aux militaires que leur place c’est dans les casernes et non dans la politique. Il reste seulement à savoir par quels moyens et par quelle stratégie on y parviendra.

 

 

[1] Créées en 2013, les FSR regroupent des milliers d’anciens Janjawids, ces miliciens arabes recrutés par Omar el-Béchir pour mener la politique de la terre brûlée au Darfour (ouest). Il faudrait savoir qu’en 2015, les FSR ont rejoint la coalition emmenée par les Saoudiens au Yémen et, selon des experts, certains de ses hommes combattent aussi en Libye, renforçant les réseaux internationaux de leur patron. Par ailleurs, en 2019, les FSR ont été accusées d’avoir tué une centaine de manifestants pro-démocratie à Khartoum.

[2] Cf. Agence France Presse (AFP) du 21/04/2023. Military Balance Plus et International Institute for Strategic Studies (IISS) soutiennent que l’armée compte 100.000 hommes, contre 40.000 paramilitaires, tandis que plusieurs experts avancent le chiffre de 100.000 paramilitaires, tout en donnant la supériorité numérique à l’armée. Pour Alex de Waal, spécialiste de l’Afrique, les deux forces « ont la même taille et la même capacité de combat ». Mais, il difficile de donner les chiffres exacts de l’armée soudanaise et des paramilitaires.

[3] Cf. W. BERRIDGE, « Soudan. Un peuple pris en tenailles », in Courrier international, no 1695 du 27 avril au 3 mai 2023.

[4] Les dirigeants militaires et civils soudanais avaient signé le 05 décembre 2022 un premier accord visant à mettre fin à la crise profonde qui sévit leur pays depuis le coup d’État du général Burhane, le 25 octobre 2021, qui a fait dérailler une transition difficile vers un régime civil.  Cf. « Crise politique au Soudan : signature d’un premier accord entre militaires et civils », in France24, (https://www.france24.com/fr/afrique/20221205-crise-politique-au-soudan-signature-d-un-premier-accord-entre-militaires-et-civils), 05/12/2022.

[5] Cf. « Soudan : plus de 940.000 personnes déplacées par les combats (ONU) », in ONU Info, (https://news.un.org/fr/story/2023/05/1135157), 15 mai 2023.

[6] Cf. AFP du 09/05/2023.

[7] Cf. dépêche de l’AFP du 16/04/2023.

[8] Cf. FRANCE 24, « De violents combats au Soudan prennent une ‘dimension ethnique’, selon l’ONU », in France24, (https://www.france24.com/fr/afrique/20230702-de-violents-combats-au-soudan-prennent-une-dimension-ethnique-selon-l-onu), 02/07/2023.

[9] Cf. J. TUBIANA, « Le Darfour, un conflit identitaire ? », in Afrique contemporaine 2005/2 (n° 214), p. 165-206.

[10] Cf. A. BALVAY, « GUERRE DU DARFOUR », in Encyclopædia Universalis (https://www.universalis.fr/encyclopedie/guerre-du-darfour/), consulté le 13 juillet 2023.

[11] Par causes « naturelles » et « traditionnelles », il faut voir les origines de la guerre du Darfour sous l’angle de la sécheresse, qui avait aggravé des conflits traditionnels entre des populations ayant des modes de vie différents (agriculteurs sédentaires et éleveurs nomades, ou parfois semblables). Ils eurent alors des heurts fréquents entre éleveurs nomades pour des ressources de plus en plus rares. Par ailleurs, certains pensent que c’était un conflit pour la terre en évoquant la volonté des Arabes de prendre des terres aux non-Arabes, volonté attisée par la sécheresse, l’augmentation de la population et du bétail et la tendance à la sédentarisation des nomades. Cf. à ce sujet J. TUBIANA, « Le Darfour, un conflit identitaire ? », op. cit.

[12] Cf. « Plus de trois millions de déplacés et réfugiés par la guerre au Soudan, selon l’ONU », in France24, (https://www.france24.com/fr/afrique/20230712-plus-de-trois-millions-de-d%C3%A9plac%C3%A9s-et-r%C3%A9fugi%C3%A9s-par-la-guerre-au-soudan-selon-l-onu), 12/07/2023.

[13] Cf. dépêche de l’AFP du 24/04/2023.

[14] Cf. dépêche de l’AFP du 27/04/2023.

[15] Le Monde et AFP, « Le Tchad appelle à l’aide internationale face à l’afflux de réfugiés soudanais », in Le Monde, (https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/06/26/le-tchad-appelle-a-l-aide-internationale-face-a-l-afflux-de-refugies-soudanais_6179240_3212.html), 26/06/2023.

[16] Cf. dépêche de l’AFP du 16/04/2023.

[17] Avec ces évacuations, on se rend compte du nombre d’étrangers qui vivaient ou vivent au Soudan. Les évacués sont ainsi des citoyens de plusieurs pays de l’Union européenne (France, Allemagne, Autriche, Belgique, Italie, Grèce, Suède, Finlande, Espagne, Roumanie, Hongrie, Bulgarie, etc.), mais aussi de l’Arabie saoudite, la Grande-Bretagne, la Jordanie, le Liban, l’Ukraine, la Turquie, le Bangladesh, les Emirats arabes unis, le Pakistan, les Philippines, l’Inde, le Japon, la Chine, l’Indonésie, la Corée du Sud, le Qatar, l’Irak, la Syrie, le Koweït, les Etats-Unis, le Canada. Quelques pays africains ont aussi évacué leurs citoyens : le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, l’Egypte, le Mali, le Maroc, le Nigeria, la Mauritanie, le Niger, l’Afrique du Sud, la Tunisie, etc. Par contre, certains pays ont déploré la mort de leurs ressortissants. Tel est le cas de la République démocratique du Congo dont dix citoyens ont trouvé la mort dans des bombardements à Khartoum (Cf. S. MWANAMILONGO, « Dix Congolais tués dans des bombardements au Soudan », in DW, (https://www.dw.com/fr/deces-des-congolais-rdc-demande-comptes-soudan/a-65843120), 06/06/20236 juin 2023.

[18] Cf. https://data.worldbank.org/indicator/SP.POP.TOTL?locations=SD. 10/07/2023.

[19] Cf. Le Figaro avec AFP, « Soudan : 87 corps retrouvés dans une fosse commune au Darfour », in Le Figaro, (https://www.lefigaro.fr/international/soudan-87-corps-retrouves-dans-une-fosse-commune-au-darfour-20230713), 13/07/2023.

[20] Plusieurs initiatives ou sommets sur le Soudant ont eu lieu que ce soit sur le continent ou en dehors de celui-ci. Mais il n’y a aucune solution ou cessez-le-feu durable qui ont eu lieu. Le 13 juillet 2023, un sommet a eu lieu au Caire, en Egypte, réunissant le président égyptien et de six autres dirigeants d’Etats limitrophes du Soudan. Ce sommet n’a non plus abouti à une solution concrète capable de trouver une solution au conflit soudanais. Cf. E. BRACHET, « Au Soudan, les médiations échouent et la crainte de régionalisation du conflit augmente », in Le Monde, (https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/07/14/au-soudan-les-mediations-echouent-et-la-crainte-de-regionalisation-du-conflit-augmente_6181926_3212.html), 14/07/2023.

Il est donc évident que depuis le début du conflit, les différents efforts diplomatiques se sont en effet révélés infructueux, marqués essentiellement par la violation systématique des multiples cessez-le-feu conclus sous l’égide des États-Unis et de l’Arabie saoudite. (Cf. Le Figaro avec AFP, « Soudan : 87 corps retrouvés dans une fosse commune au Darfour », in Le Figaro, (https://www.lefigaro.fr/international/soudan-87-corps-retrouves-dans-une-fosse-commune-au-darfour-20230713), 13/07/2023)).

[21] Lire à ce sujet l’article de W. BERRIDGE, « Soudan. Un peuple pris en tenailles », in Courrier international, no 1695 du 27 avril au 3 mai 2023.